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Billet de blog 17 décembre 2017

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Normes et démocratie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bâle III. C’est sous ce nom qu’une nouvelle norme concernant la solvabilité des banques vient d’être adoptée. Les régulateurs bancaires de nombreux pays, US et UE notamment, ont produit cette nouvelle norme qui résulte d’un compromis entre la position des régulateurs des EU et ceux de l’UE.

Les EU voulaient un critère standard de fonds propres minimaux, dépendant des engagements des banques par un coefficient affecté à ceux ci (par exemple 3 % des engagements). Une formule donc standard prédéfinie. L’UE voulaient un calcul résultant d’un modèle « interne » à chaque banque établi sous la supervision de l’autorité de contrôle. Chaque banque appliquant donc sa propre formule.

La nouvelle norme est un compromis des deux méthodes avec en particulier « un plancher en capital », la méthode par modèle interne ne pouvant être inférieure à 72,5 % de ce qu’aurait donné la méthode standard. Ce plancher est introduit très progressivement : 50 % seulement en 2022, et non 72,5 %.

Pour une banque donnée, son modèle interne a toujours tendance à prévoir beaucoup moins de fonds propres que n’aurait donné la méthode standard. Mais les banques européennes reprochaient à la méthode standard d’ « avantager » les banques US qui pouvaient, disaient elles, pratiquer alors une concurrence déloyale. Les régulateurs US reprochaient au système « modèle interne » le fait que chaque banque pouvait quasiment faire ce qui l’arrangeait.

Les contrôleurs européens et la Banque Centrale Européenne, dont ils dépendent en fait, ont en réalité repris les positions des banques européennes. Le lobby bancaire a été fort bien relayé par la Banque de France (François Villeroy de Galhau) et la BCE (Mario Draghi).

Il y a quelques années, pour les organismes d’assurances en Europe, le calcul de la marge de solvabilité obligatoirement détenue par chaque organisme a été modifié. Du modèle standard de calcul ( 4 % des engagements) ils sont passés à un modèle « interne » qui, systématiquement ou presque, vise à minimiser cette marge de solvabilité obligatoirement détenue par l’organisme d’assurance. Même si l’organisme en cause détient largement cette marge, plus elle est petite, plus l’organisme peut se vanter de détenir x fois « la marge ».

Au delà de la vérification des assiettes, les contrôleurs doivent donc aussi « valider » chacune des formules.

1°) D’un point de vue technique.

Mieux vaut un critère simple et robuste (au sens mathématique du terme ) qu’un critère complexe et susceptible de biais systématiques. Le sens technique des formules « internes » n’est pas évident. Un contrôleur ne pourra pas grand-chose face à une équipe de haut niveau d’un grand organisme.

2°) D’un point de vue citoyen.

Lors de crise de 2008, ce sont les Etats, chacun des Etats, qui ont du gérer cette crise et ont de facto consacré des sommes énormes, pour protéger le système bancaire, les déposants et en fait toute l’économie de chacun des pays.

Dès lors que toute crise a des conséquences fortes sur la société et que toute crise naît souvent d’un manque de fonds propres des organismes bancaires, il apparaîtrait comme tout à fait normal et naturel que la validation des normes qui fixent ces fonds propres soit opérée, au final, par les parlementaires. Cela permettrait en plus de prendre des critères qui ne traversent pas l’esprit des dirigeants de la BCE ou de la BdF ni d’ailleurs de la plus part des dirigeants de banque. En effet, leur seule préoccupation est, pour la plus part d’entre eux, la maximisation des profits réalisés avec le plus petit « capital » possible.

3°) Une machine dirigée aussi contre les organismes d’économie sociale.

Dans une coopérative bancaire ou une mutuelle d’assurance, les administrateurs sont des représentants des sociétaires-clients. Ils ne sont surtout pas des banquiers ou des assureurs. Ils ne sont pas forcément des polytechniciens ou des actuaires. Ces administrateurs pouvaient contrôler tous les projets de la »direction générale » avec un critère simple : il fallait toujours disposer au minimum de la marge de solvabilité. Et celle ci était facile à calculer pour les organismes d’assurance : 4 % des engagements, des provisions mathématiques donc, pour l’existant et pour toute nouvelle opération.

Le modèle interne fait, lui, dépendre les administrateurs de la direction générale. Ou alors il faudrait que les administrateurs puissent bénéficier d’ actuaires consultants indépendants de la direction mais ayant la possibilité d’accès aux données internes ! Dans bien des cas les administrateurs sont obligés de se contenter des dires de la direction.

De plus, et pour mieux gêner les organismes d’économie sociale, il leur est demandé d’avoir des administrateurs « qualifiés ». Certes cette demande est faite aussi aux organismes capitalistiques mais leur problème n’est pas le même puisque les administrateurs des organismes capitalistiques représentent alors les actionnaires et surtout pas les clients.

Effectivement pour valider un modèle interne ou pour le mettre en cause il faut une certaine qualification que beaucoup d’administrateurs d’organismes de l’ESS n’ont pas. Mais ce n’est pas ce qui doit leur être demandé d’abord, et il y a là un véritable manque, voire une contradiction, dans l’esprit des autorités de régulation. Mais celles ci aujourd’hui ont tendance à ne refléter que le lobby des sociétés capitalistes. Il suffit de constater que, par exemple, la mutuelle d’assurance Macif, dernière créée des grandes sociétés d’assurance, est devenue en quelques années seulement le numéro 1 sur le marché automobile des particuliers. Grâce à sa direction générale certes, mais aussi à ses administrateurs de l’époque dont le « bon sens » et, en réalité leur qualification valait beaucoup mieux que bien des « directeurs de compagnies ».

Cela montre aussi la limite, et la nocivité, de la politique tendant à n’avoir qu’un seul représentant patronal pour la profession, la FFA pour les assurance et la FFB pour les banques au lieu d’avoir par exemple, un représentant national spécifique pour les mutualistes (le défunt GEMA) au coté de celui des « autres » (la FFSA). Et ce, même si l’ « administration », largement « sensible » aux lobbies capitalistiques, a largement poussé à cette évolution.

Justement, et c’est bien là que le bât blessait, un organisme mutualiste a dans la pratique plus de faciliter à augmenter ses fonds propres -par affectation de ses bénéfices- qu’un organisme capitalistique qui doit avec ses bénéfices servir aussi des dividendes à ses actionnaires.

Cela étant, l’adoption de modèles « internes » est donc incontestablement une gêne pour l’ESS, mais aussi en réalité pour les contrôleurs et donc pour les citoyens.

4°) Une gêne pour les consommateurs et les particuliers.

L’adoption de modèles internes visent sans doute à empêcher toute forme de comparaison entre les organismes.

Avec un modèle standard il était possible de classer les organisme en fonction de leur solvabilité. Untel avait 200 % de la marge de solvabilité et tel autre avait 180 % seulement et on pouvait faire la comparaison puisque la marge était calculée de la même façon pour tout le monde. Avec des modèles internes, il n’est quasiment plus possible de classer les organismes, même si le modèle est validé par un contrôleur.

Quand on dit cela à un soi disant professionnel du secteur il rétorque avec beaucoup de mépris -et de mauvaise foi- que l’on ne demande pas les fonds propres d’un constructeur automobile quand on achète une voiture ! En matière d’Assurance et de Banque, il n’y a pas que le seul acte d’achat qui compte mais la durée du processus et c’est aussi pourquoi il s’agit d’activités réglementées et nécessitant un agrément préalable.

De même le calcul des frais de gestion a été aménagé de façon à ce que ces frais soient difficilement connus. Alors qu’il était courant de voir des classements d’organismes selon leurs frais de gestion.

>>>Voilà maintenant dix ans que la crise financière a eu lieu.

Il y a manifestement un recul des processus réels de contrôles, un recul de la transparence nécessaire des organismes bancaires ou d’assurance. Et une nouvelle attaque contre l’existence dans ces secteurs d’organismes d’économie sociale.

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