L'Express et Libération sont entrés dans le même groupe de presse. La nouvelle est moins surprenante que la qualité du propriétaire du nouveau groupe, Patrice Drahi, propriétaire de Numéricable. Celui ci s'intéresse maintenant, bien curieusement, à la Presse après avoir croqué l'opérateur de téléphonie SFR. Bien curieusement parce que la valeur des titres de presse s'est effondrées et s'effondre de jours en jours, et que la rentabilité de ces groupes est souvent négative, au mieux juste équilibrée. Pour un industriel, un entrepreneur, un croqueur de bénéfices, une telle opération est donc pour le moins curieuse.
Examinons quels sont les propriétaires de la presse aujourd’hui.
Serge Dassault possède Le Figaro . Xavier Niel s’approprie Le Monde et le Nouvel Obs et il est par ailleurs propriétaire de Free (tiens un autre opérateur de téléphonie).
Bernard Arnault, patron de LVMH, possède Les Echos et l'Opinion deux quotidiens économiques. François Pinault patron de Kering ex PPR ( St Laurent, Gucci, Balenciaga etc.) s’est acheté l'hebdomadaire Le Point.
Arnaud Lagardère patron de Matra est aussi patron du journal du Dimanche et de Paris-Match.
Le groupe Amaury détient le quotidien Le Parisien (ainsi que l'Equipe) qui lui appartient encore même si les discussions semblent bien avancées pour une reprise du quotidien par Vincent Bolloré patron de Havas, de Vivendi, des entreprises de négoce ou portuaires en Afrique et accessoirement des autolibs.
Un point commun à tous ces patrons, ils figurent tous parmi les plus grandes fortunes françaises, (Bernard Arnault occupant d'ailleurs la 1ère place)
Il manque bien quelques titres à part dans cette presse nationale quotidienne ou hebdomadaire, l'humanité/l'huma dimanche, toujours en sursis, ou Politis. Mais leur tirage est faible. Ils existent heureusement, et Le Monde Diplomatique (mensuel) conserve un tirage important mais se bat pour subsister.
« Marianne » est un cas particulier instructif. Marianne vit avec un fort tirage et pourtant très peu de publicité. Pourquoi ? Lisons dans Les Echos : « sa ligne éditoriale contestataire et anti-pensée unique ayant du mal à convaincre les annonceurs ». On ne saurait dire avec plus de tact que la ligne politique de cet hebdomadaire ne convient pas aux entreprises privées. Et en conséquence que les entreprises privées (les grandes) font vivre la seule presse dont les idées sont compatibles avec les leurs, voire qui les défendent et les promeuvent.
Hommage soit ici rendu à ceux qui vivent sans pub, en tout premier lieu au « canard enchaîné », hebdomadaire, libre de toute publicité, donc libre... et aussi à Charlie, bien sûr, fer de lance de la liberté d'expression, qui occupe nos pensées.
Jours après jours, semaines après semaines, cette presse des grandes entreprises délivre les informations en façonnant cette pensée unique ou conforme. Elle continue pourtant à évoquer la gauche et la droite : « Attali » et « Minc » pardi et tout est dit...
Mais la presse serait pluraliste, diverse. C'est ce qu’affirment les éditorialistes et les journaux de droite, pour se convaincre eux-mêmes ainsi que leurs lecteurs. En effet, si elle peut prendre des positions diverses quand aux sujets sociétaux, si elle peut soutenir ou au contraire critiquer tel ou tel Président, sur le plan économique en revanche, elle est unanime pour défendre et promouvoir le libéralisme économique.
En témoignent les écrits du directeur de Libération, il y a peu : il faut « un gouvernement social-démocrate qui, dans le cadre de l'économie de marché, réduise autant que possible les inégalités, fasse fonctionner le capitalisme » sachant « qu'il n'y a pas de bolchevique au gouvernement ».
Il faut en effet être sérieux, pourrait on voir un propriétaire de journal et d'une très grande entreprise admettre que sa propriété combatte ses propres idées ? Non ? Alors tout est dit. Pour défendre le libéralisme économique en se qualifiant de gauche, Libération (et il en est de même pour Le Monde) valait bien de gros efforts de capitaines d'industrie ou de banques pour être renfloué.
Les pertes subies par ses patrons du fait de leur presse n'est pour eux pas grand chose alors que détenir 99 % de la presse nationale est un gigantesque moyen d'influence. Ne nous y trompons pas, il n'y a pas que la lecture de la presse qui modèle l’opinion, mais le fait que seule cette presse soit citée par toutes les radios et télés, le fait que les éditorialistes de cette presse soient tous les soirs ou presque sur les plateaux de télévision.
Mais au fait quelle est la télé la plus importante aujourd’hui ? C’est TF1, et TF1 appartient à … Bouygues.
Les médias, leurs patrons, à partir du pouvoir d'influer, détiennent finalement le pouvoir.
Pour en savoir plus, vite, achetez, regarder, aller voir le film « les nouveaux chiens de garde » en référence au livre de Serge Halimi.
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