Ce malheur de plus pour l'Oise, m'émeut particulièrement. Voici plus de 20 ans déjà, à plusieurs reprises, j'ai été commis expert judiciaire pour éclairer la justice sur les difficultés et / ou la fermeture de diverses entreprises. J'ai passé une nuit dans une grande entreprise occupée. Je n'oublierai jamais ces situations dramatiques que j'ai côtoyées.
Je peux citer aussi une ville, au sud de la France, Valréas, connue non à titre judiciaire, mais pour prévoir des investissements productifs, dont j'ai suivi depuis cette même période (plus de 20 années), l'inexorable descente aux enfers.
Où est passée la «main invisible», joker des économistes dont l'économie de marché - et en fait, la société de marché - était leur bible? Actuellement, les dizaines - pour ne pas employer l'ordre des centaines - de milliers de personnes licenciées de leur emploi, ne peuvent même pas travailler 35 heures. De qui se moque t-on à entretenir un double discours répété depuis des années sans réfléchir à la vérité des faits?
Si les économies se régulent, pourquoi les banquiers de l'Oise qui ne vont plus percevoir les mensualités d'emprûnt pourront envoyer les huissiers expulser les personnes qui ne demandent qu'à travailler et payer leur maison? (Mais au fait, il semble que les banques ont connu des «difficultés», et que l'Etat leur a attribué des sommes importantes).
Pourquoi ces affrontements, ces incohérences, ces énergies considérables mises en jeu (en temps, argent, contraintes, stress, énergies et privations), tandis que pour tout poste, on exige diplômes et expériences confirmées? Où sont les calculs élémentaires qui auraient du alerter sur de tels désastres?
Où sont les réelles compétences? Indignons nous contre les propos prétendant -et outrageusement prétentieux- que l'actuelle situation était complètement imprévisible! Tandis que des propos mesurés, raisonnables ne cessaient d'être tournés en dérision depuis des décennies.
Je me garderai de jeter la première pierre pour lapider. Mais il faut être lucide, et arrêter net sans concession le massacre planétaire. On crie au feu à juste titre de toute part, or parmi les crieurs, figurent aussi les pompiers pyromanes. Revenons sur quelques données simples, sur un secteur clé pour Continental, l'automobile.
Secteur primordial, devenu obèse, puisque participant globalement à 10% de l'économie; Quelques chiffres comparatifs entre 1980 et 2008:
C'est dire que la production (particulières et utilitaires légers) a été multipliée par 3,8 avec 1/3 du personnel d' il y a 29 ans. Suite à l'accroissement considérable de la productivité due aux robots, avec beaucoup moins de personnes. Une voiture dure en France environ 15 ans actuellement.
Toyota fabrique 1 voiture / minute. Une usine produit globalement 300.000 voitures / an. Il existe environ 14 usines en France, hors véhicules industriels; et le reste du monde -avec 74 marques dans 36 pays- ne reste pas inactif, en produisant 74 millions de voitures / an (+ 6% en 2007). De 1998 à 2002, 19 pays (dont France) ont augmenté leur production, 5 pays (dont USA), l'ont maintenue, et 14 pays, (dont l'Allemagne), l'ont réduite. La production française (sur sol national + PSA et Renault monde entier) est 9,2% de la production mondiale. Celle depuis 2006 à l'étranger excède celle de son territoire. Les ventes extérieures à la France représentent 57,5% et les français achètent 66% chez les constructeurs nationaux.
Pour schématiser en France:
Disponible à la vente: (6,81-0,263/T)x(1-0,575)= 2,782475 M véhicules
Capacité d'achat: 0,66x36,39/15 = 1,601160 M véhicules
Stock résiduel restant à vendre: 1,181315 M véhicules
Fin 2008 le plan de relance du Gouvernement prenait acte de plus de 1 million de voitures françaises en attente d'acheteurs (plus de 300.000/Renault, plus de 700.000/PSA).
Pourtant, Christian Streiff de PSA, annonce la poursuite de son plan de restructuration de 2007, qui a multiplié par 5 le bénéfice de 2006, avec son "plan social" de 8.200 suppressions d'emplois (29.000 selon Performance Bourse), prévoit un bénéfice de 5% en 2008, pour atteindre 6% en 2010, et avec augmentation des tarifs. En 2008, Renault supprime 4900 emplois. Soit une incidence directe sur 30.000 à 50.000 personnes (voire 135.000), et bien davantage sur le commerce induit (qui lui aussi va se mettre à licencier faute de clients solvables).
Jusqu'où ira cette incohérence, de pleurer sur la mévente de voitures tandis que l'on prive de ressources ceux qui pourraient en acheter? Ou l'on pense que les voitures fabriquées seront vendues dans d'autres pays, mais malheureusement, la situation est semblable, et tous les constructeurs sont touchés.
Pour en revenir à Continental, cette industrie est directement dépendante des constructeurs automobiles et de l'usage des véhicules.
Trois points :
* Secteur économiquement disproportionné
* Confusion entre la finalité et les moyens
* Disproportion entre la maîtrise intellectuelles et philosophique des moyens, et leur puissance d’action
Au delà des effets immédiats, cela pose la question cruciale de la fin et des moyens. L'automobile, en gros 10% de l'activité économique, est un secteur disproportionné en regard de toutes les autres activités. Soit on en néglige un certain nombre que l'on estime secondaires (culture, arts, activités sociales, sports et loisirs), soit chacune à une importance très minime, dans les 90% restants, en dépit de son utilité (santé, éducation, habitat, aide aux personnes).
Il apparaît que les entreprises ont misé sur une course effrénée à la performance, en voulant produire toujours davantage parallèlement à la réduction des coûts; Sans se préoccuper des hommes, de leurs besoins réels, et de leurs possibilités d'achat. Que valent aujourd'hui les ambitieux plans de production sur objectifs, que les responsables ne pouvaient même pas tenir? dont certains ont même mis fin à leurs jours! Quel sens a tout ce gâchis?
On confond fin et moyens: La voiture est un moyen d'accéder à certaines activités par le transport. Ce ne doit pas être une fin en soi, de produire coûte que coûte toujours davantage. S'obliger à des records de production par une vie infernale pour ceux qui fabriquent, forcer les clients à acheter (voire s'endetter) pour faire "tourner" les secteur industriel, tandis que de plus en plus de personnes sont licenciées pour augmenter la "rentabilité" des usines.
La finalité de l'existence n'est-elle pas précisément d'accéder à une vie paisible, par l'éducation, le partage des connaissances, des savoirs et des cultures, et non de faire tourner les usines d'automobile ou les hôpitaux pour produire toujours plus d'argent. Le but premier est de rendre un service - et bien entendu, de faire vivre ceux qui l'assument; et que chacun puisse contribuer à la mesure de ses possibilités et aspirations, à une œuvre d'intérêt sociétal évident.
Mais le vendeur forçant la main du client potentiel, est dépendant de la production de son groupe lui-même entraîné à acquérir des robots imposés par les vendeurs des concepteurs, les équipementiers voulant aussi augmenter leur chiffre d'affaires, etc...
L'actuelle situation est née d'une négation totale des personnes et de leurs besoins réels, des multiples interférences en transversalité des productions concourant au "vivre ensemble". Une compétition acharnée, où l'esprit et le bon sens foulés au pied, a épuisé vainement l'énergie de tous.
Ce déficit de philosophie en regard des progrès technologiques, où l'esprit ne parvenait pas à prendre le pas sur les instincts ou volonté de détruire, fut déjà une des causes profondes du second conflit mondial. Aujourd'hui, si nous n'y prenons pas garde, les forces en présence de toute nature, sont décuplées, voire centuplées, et une interdépendance s'est créée à l'échelle de la planète. Il faut arrêter d'épuiser ses forces à se combattre au nom d'idéologies, de religions, de dogmes économiques qui en attente de démontrer leur validité, ont prouvé depuis des siècles leur incapacité à réunir dans l'action.
La solution: Chasser à tout jamais les objectifs prioritaires de performance quantitatifs, observer avec impartialité ce qui est nécessaire et suffisant pour répondre aux besoins réels des personnes, et travailler dans un esprit de coopération, au lieu d'un contexte d'agressivité, avec pour objectif la qualité et la pérennité du résultat. Construire ensemble des projets et des biens intégrant totalement les trois piliers du développement durable, avec le seul souci la qualité de vie des femmes et des hommes, semble être un objectif infiniment plus gratifiant pour les entreprises, dirigeant et personnels, que l'actuelle situation où des individus inqualifiables et sans scrupule nous ont entraînés depuis des décennies. Il faut donner corps à une pensée de Malraux: «Les personnes unies dans l'effort et dans l'action, atteignent un état que seules celles unies dans l'amour connaissent»
Pierre Masselin