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À l’âge de 25 ans, j’ai découvert les aphorismes de Samson François, suite au choc que m’avait procuré son interprétation du mouvement lent dans le concerto en Sol de Ravel. « Qui est-ce ? » demandai-je à Thomas Sprauel, ami violoncelliste puissant. « Mais Ravel, voyons ! par Samson François. »
Thomas, élu de la provocation et de l’intériorité. Son goût, ses jugements sûrs et implacables. Il empoigne le violoncelle comme un bûcheron sa cognée pour en tirer des larmes.
Une évidence pour lui, une évidence pour moi ce soir-là : Samson François. La cassette usée jusqu’à la corde, le souffle du magnéto, les pianissimo d’outre-tombe, l'épaisseur du legato, l'égalité, et jusqu'au bout, jusqu'au trilles suspendues, conclusives ou ambiguës, la vertigineuse, abyssale retenue de Samson François. Le gars ne lâche rien.
Et Ravel. Mouvement lent en Mi majeur, descente des basses, rarement la tonique, instabilité permanente, brouillage des cartes, quartes discrètes, accalmie dans les harmonies, quand, soudain, trois dissonances audacieuses pointent la tête hors de l’eau et replongent aussitôt, tu n’as rien vu, et cette mélodie d'enfer, lydienne, un cauchemar à retenir, avec décalage permanent du temps fort, mais d’une beauté inégalée, les mots sont faibles, il n’y a plus de mots, un sommet, une crème Mont-Blanc praliné, Tout, j’ai tout retrouvé.
Les aphorismes, d’une vérité criante : « Aimez le clavier dans sa totalité. Chaque note est longue, longue, longue. Descendez vers le bémol avec humilité, hissez-vous vers le dièse. »
Samson François a passé sa courte vie au piano.
Au piano, comme l'écrivait Echenoz. Comme on dirait à table ! Mélange de plaisir et de nécessité.
Extrait de Mets du Jour, éditions Stellamaris, 2021.

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