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Billet de blog 1 août 2025

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À Gaza, la sécurité alimentaire n’est pas restaurée

Sous l’effet des pressions internationales, une timide reprise des approvisionnements humanitaires s’amorce. Les livraisons cosmétiques annoncées ne sont pourtant en rien résolutives du drame que connaît la population civile de ce territoire depuis plus de 18 mois maintenant. Les responsables israéliens prolongent une fois encore la « stratégie de la perfusion contrôlée ». Par Pierre Micheletti, président d’honneur d’Action Contre la Faim.

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Après l’éviction de l’UNRWA et le niveau record de morts parmi les différents acteurs de l’aide humanitaire, nous avons assisté au déploiement inédit d’un dispositif qui prétendait apporter de quoi survivre, tout en organisant les exécutions d’une partie de ceux qui, dans une cohue absolue, risquaient le tout pour le tout afin d’accéder à des approvisionnements anarchiques qui les reléguaient au rang de bétail contraint de se rapprocher périodiquement de l’abattoir : la Fondation Humanitaire de Gaza.

Organisation nébuleuse, créée pour la circonstance, dont les financements, les acteurs, les pratiques opérationnelles et les stratégies de contrôles des personnes aidées s’inscrivent dans un total déni des principes fondateurs de l’action humanitaire.

Et voici que s’ouvre un nouveau chapitre : sous l’effet des pressions internationales, une timide reprise des approvisionnements humanitaires s’amorce.

Les responsables israéliens, comme c’est le cas depuis 2005, prolongent une fois encore la « stratégie de la perfusion contrôlée ». Les mécanismes qui aboutissent à la crise actuelle sont ainsi connus et dénoncés depuis plus d’un an[2]. Les flux alimentaires vitaux ont été maintenus, à la limite constante de la suffocation ; juste suffisants pour éviter une mortalité massive qui viendrait parachever le drame qui se joue depuis octobre 2023.

Avec une telle mortalité, le risque serait trop grand qu’enfin se dégage un consensus qui pourrait balayer l’incroyable inertie qui prévaut dans la gouvernance des relations internationales. Les autorités israéliennes le savent.

Les livraisons cosmétiques annoncées ne sont pourtant en rien résolutives du drame que connaît la population civile de ce territoire depuis plus de 18 mois maintenant.

Elles empruntent des modalités qui, dans le sillage du calamiteux dispositif de la Fondation Humanitaire pour Gaza[3], continuent de déroger à toute préoccupation d’efficacité et de respect des principes humanitaires à l’égard d’une population civile qui vit dans un territoire occupé par une puissance extérieure.

Car les mesures annoncées contreviennent à la mise en œuvre effective d’une sécurité alimentaire qui repose sur 4 piliers[4]. D’abord la disponibilité des denrées. C’est sur ce seul axe que portent l’accroissement annoncé des volumes d’aide délivrée. Avec une volumétrie qui soulève cependant des doutes : 100 camions annoncés là où avant le conflit massif plus de 500 étaient mobilisés chaque jour. L’ONU estime à 62 000 tonnes par mois la nécessaire disponibilité de denrées alimentaires[5].

Le deuxième pilier concerne l’accessibilité effective de la population civile aux denrées ayant franchi la frontière. Une accessibilité qui porte sur la capacité à se déplacer pour accéder à la nourriture, - accessibilité géographique - particulièrement cruciale pour les malades, les blessés et les personnes âgés, des dizaines de milliers de personnes en l’occurrence ; l’exposition à la violence militaire met en jeu l’accessibilité sécuritaire ; et selon les circuits de répartition ensuite empruntés par les aliments, des coûts qui peuvent être prohibitifs si livrés à la dérégulation d’un marché noir favorisé par l’absence d’encadrement sur le terrain - accessibilité financière -.

Le 3ème pilier repose sur la capacité des populations à utiliser effectivement les produits entrés sur le territoire. C’est-à-dire de pouvoir disposer des ustensiles de cuisine, du combustible et des autres ingrédients dont l’eau qui permettent la préparation des aliments qui nécessitent une cuisson. Les blessés graves ou inconscients nécessitant par ailleurs une nutrition parentérale spécialisée et contrôlée par des professionnels de santé dont la mortalité a également été massive depuis octobre 2023.

Et enfin, quatrième composante de la sécurité alimentaire : la stabilité dans le temps des 3 piliers précédents et non, comme cela est le cas depuis 18 mois, des livraisons erratiques dans le temps et dans l’espace.

La sous-nutrition aiguë qui peut conduire à la mort, résulte ainsi d’un équilibre entre les apports qui construisent la sécurité alimentaire et les excès de pertes, le plus souvent liées à des diarrhées aiguës très fréquentes là où la qualité de l’eau de boisson ne peut être garantie. Tel est le cas pour la population de Gaza, concentrée sur de faibles surfaces territoriales, vivant au milieu des déjections humaines et animales, sans non-plus les moyens d’une hygiène corporelle minimale, et alors-même que la sous-alimentation chronique expose en particulier les enfants à une plus grande mortalité par déficit immunitaire.

Ce sont toutes ces composantes vitales que ne peut résoudre la seule augmentation modeste en volume qui est annoncée par les autorités israéliennes. Cette décision relève du marketing humanitaire si elle reste isolée.

Cette punition collective n’a que trop duré pour les 2 millions de personnes qui errent sur un territoire de 40km de long sur 10 de large. Malgré les récentes annonces, la vigilance reste de mise pour que les approvisionnements dérisoires - largement médiatisés - ne soient pas érigés en solution généreuse et durable…

Un véritable cessez-le-feu doit être instauré, et des décisions politiques prises pour qu’enfin se dégagent les perspectives d’une paix durable.  La prochaine Assemblée générale des Nations-Unies en septembre 2025 à New York constitue une opportunité de prendre des décisions pour « le jour d’après » la période de conflit. Des initiatives politiques se multiplient, en particulier autour de la reconnaissance de l’Etat de Palestine par un nombre croissant de pays[6].

Pierre Micheletti, médecin, Président d’honneur d’Action Contre la Faim, ancien président de Médecins du Monde. Membre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH).

Auteur de 0,03% ! Pour une transformation du mouvement humanitaire international. Editions Parole, 2020[1].

[1] https://www.monde-diplomatique.fr/2021/03/ROBERT/62861

[2] https://share.google/qJIMTvioiX8aF1Mwn 

[3] https://institut-rousseau.fr/gaza-crise-aide-humanitaire/

[4] https://openknowledge.fao.org/server/api/core/bitstreams/cfea87ea-d388-4bd6-9c6d-0c3073dc2e13/content#:~:text=Les%20quatre%20piliers%20de%20la,r%C3%A9forme%20du%20CSA%2C%202009).

[5] https://share.google/oyg4JeS8r2VawyvKx

[6] https://share.google/YwMGiKzkivf5kPsos 

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