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Billet de blog 3 mars 2024

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Oligarchie décomplexée, mépris de classe et politique réactionnaire

Un stade nouveau vient d’être franchi dans le mouvement réactionnaire à l’œuvre depuis les années Sarkozy qui avait réhabilité les idées de droite au sein de l’opinion avec cette fameuse « droite décomplexée ». Le pouvoir macroniste va plus loin. Après la droite décomplexée, c’est l’oligarchie dont la supériorité est affirmée et partant la légitimité à détenir le pouvoir revendiquée.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Selon la définition du Robert « l’oligarchie est un régime politique dans lequel la souveraineté appartient à une classe restreinte et privilégiée ».

L’éphémère ministre de l’Éducation Nationale, Amélie Oudéa-Castera par ses différentes prises de positions hostiles à l’enseignement public et les révélations sur les passe-droits et avantages financiers dont elle a bénéficié nous a offert un cas d’école en la matière. Elle a suscité de nombreuses polémiques et de vives réactions mais elle reste ministre. Certes elle n’a pas pu se maintenir comme Ministre de l’Éducation Nationale dans la version aboutie du gouvernement Attal mais elle est confirmée dans son poste de Ministre des Sports. C’est semble-t-il la compétence qui prime... (si tant est qu’elle soit avérée…). Dans ce monde là, c’est surtout l’appartenance à une classe que l’on reconnait et qui vous reconnait qui compte. En faire partie exempte de bien des contraintes et des obligations  auxquelles sont soumis les simples citoyens et suffit à être protégé, maintenu voire promu.

Mais là n’est pas la question dès lors que ceux qui sont aux manettes œuvrent pour le bien commun et l’intérêt général. Ainsi le premier ministre, Gabriel Attal, nouvellement nommé a déclaré lors de son discours politique générale à l’Assemblée Nationale : « Ce qui est important ce n’est pas ce que sont les gens, mais ce qu’ils font ».  

Concernant Amélie Oudéa-Castéra. Qui est-elle et d’où vient-elle et qu’a-t-elle fait de si remarquable pour justifier la situation et les privilèges dont elle bénéficie ? Bien née, issue d’une famille parisienne, son père est haut fonctionnaire et a dirigé Publicis, sa mère est DRH. Elle est la nièce du médecin Jean-François Duhamel et des journalistes Alain et Patrice Duhamel. Ancienne joueuse de tennis de haut niveau quand elle était adolescente, elle fait les études qu’il convient de faire dans son milieu : Droit, Sciences Po, Essec et ENA (dans la même promotion que celle d’Emmanuel Macron). Elle devient magistrate à la Cour des comptes puis fait carrière à la direction d’AXA puis de Carrefour avant de devenir directrice générale de la Fédération française de tennis. Elle est nommée Ministre des sports, des jeux olympiques et paralympiques dans le gouvernement d’Elisabeth Borne en 2022. Elle est mariée à Frédéric Oudéa, recordman de longévité à la direction générale de la Société Générale. Finalement rien de remarquable ni d'exceptionnel concernant sa carrière ne semble émerger si ce ne sont les affaires, les passe-droits et les conflits d’intérêts qui jalonnent son parcours surtout depuis qu’elle a pris ses fonctions au sein de la FFT et où son mode de management très violent a été très mal vécu par les salariés. Une grande partie ont d’ailleurs quitté la Fédération.

Au travers du parcours d’Amélie Oudéa-Castéra, on serait tenté de penser qu’elle est emblématique de ce qu’est l’ensemble de l’équipe gouvernementale : une caste de bien nés qui défendent des privilèges qui leurs sont dus en raison de leur origine sociale et de l’appartenance à un milieu où l’entre-soi est la règle. En fait ce n’est pas vraiment le cas, c’est à la fois surprenant et très logique en même temps. 

 La plupart des membres du gouvernement actuel ne sont pas des hypers privilégiés, pour une grande partie d’entre eux, ils ont plutôt bénéficié de la méritocratie républicaine

Regardons quels sont les parcours des principaux ministres de ce gouvernement :

Gabriel Attal, Premier ministre, naît et grandit dans une famille parisienne aisée. Il est le fils du producteur Yves Attal. Il fait ses études à l’École Alsacienne puis entre à Sciences Po. Son parcours est d’abord celui d’un militant politique au Parti Socialiste, il a été de conseiller Marisol Touraine, ministre de la Santé en 2012. Il est élu conseiller municipal de Vanves en 2014. Il quitte le Parti Socialiste en 2016 et adhère à « En Marche ». Il est élu député La République en Marche (LREM) en 2017 après l’élection d’Emmanuel Macron. La suite on la connaît, il enchaine les responsabilités à l’Assemblée nationale puis à différents postes ministériels jusqu’à sa nomination récente comme Premier ministre. C’est un politique influent, fidèle sans faille du Président, qui est  devenu le plus jeune de l’histoire de la Vème République à exercer le poste de Premier Ministre.

 Bruno Le Maire, ministre de l’Économie : bien né, fils de cadres parisiens ayant des responsabilités de direction. Il fait ses études au lycée Louis Legrand. Il fait des études supérieures brillantes : École Normale Supérieure, agrégation de lettres modernes, Sciences Po et ENA dont il sera diplômé en1998. Après intégration au ministère des affaires étrangères, il entre dans l’équipe de Dominique de Villepin Secrétaire général de l’Élysée auprès du Président Chirac. Il le suivra dans ses divers postes ministériels jusqu’en 2006. A partir de 2007, il entre en politique et devient député UMP. C’est un homme politique de droite aux convictions profondément libérales. Il fait carrière à différents postes de ministres au sein du gouvernement Fillon et ensuite sans discontinuer depuis 2017 sous la Présidence d’Emmanuel Macron.

Eric Dupont-Moretti, garde des Sceaux, est issu d’un milieu très modeste, fils d’un ouvrier et d’une femme de ménage dans le nord de la France. Il devient avocat par vocation après les manquements de la justice en lien avec sa vie familiale (disparition de son grand-père dans des conditions mystérieuses sans ouverture d’une enquête) mais également application de la peine de mort en France. C’est une forte personnalité et avocat talentueux qui obtient l’acquittement de très nombreux de ses clients dont des personnalités controversées et dans de grands procès criminels. Sa posture « antisystème »  - notamment par refus de la Légion d’honneur en 2013 et par sa critique des magistrats - et quelques affaires en défense d’un député LREM et  de l’État pour les policiers dans le procès de Jean-Luc Mélenchon n’est sans doute pas étrangère au fait qu’il soit devenu ministre de la Justice depuis 2020. Il est un soutien des défenseurs de la chasse.

Rachida Dati, ministre de la culture : fille d’immigrés maghrébins. Elle fait partie d’une famille de douze enfants élevés dans le quartier du Pré-Saint-Jean à Châlons-sur-Saône. Certains de ses frères ont été condamnés pour trafic de stupéfiants. Dans ce contexte elle réussit, tout en travaillant à faire des études et fait une carrière d’abord en entreprise et à la B.E.R.D à Londres comme auditrice financière puis comme magistrate au tribunal d’Evry. Elle devient conseillère en 2002 de Nicolas Sarkozy. C’est une personnalité ambitieuse qui a su utiliser et cultiver son réseau professionnel et politique sans état d’âme pour progresser dans sa carrière jusqu’à devenir une femme politique qui a occupé de nombreuses fonctions. Ministre de la Culture aujourd’hui, elle fut garde des Sceaux après l’élection de Nicolas Sarkozy.

Gérald Darmanin : ministre de l’Intérieur, issu d’un milieu modeste avec des parents d'origine tunisienne et maltaise. Il milite et s’engage à droite très jeune au sein du RPR. Diplômé de l’Institut d’études politiques de Lille, il fera toute sa carrière au sein des de l’appareil politique de la droite RPR, UMP et LR. Ses positions sont très à droite et proches de l’extrême droite sur certains sujets notamment l’immigration. Très critique d’Emmanuel Macron durant la campagne de 2017, cela ne l’empêchera pas de devenir dès l’élection de celui-ci ministre des comptes publics au sein du gouvernement d’Edouard Philippe. Il est exclu de LR en octobre 2017 et adhère à LREM en novembre. C’est un politique dont l’ambition semble passer avant ses éventuelles convictions.

Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités : issue de la bourgeoisie de Reims. Parcours classique en entreprise puis collectivité. Elle s’engage à droite au RPR dès 1981 après l’élection de François Mitterrand. Elle a un parcours politique de députée, de secrétaire d’État et ministre pendant la présidence de Jacques Chirac, elle a été présidente de la Communauté Urbaine de Reims. C’est une personnalité politique dont les positions sont très conservatrices (opposée au mariage pour tous, à l’adoption par les couples homosexuels, à la procréation médicalement assistée (PMA) et à la gestation pour autrui GPA et à l’euthanasie)

Nicole Belloubet, ministre de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse : issue d’une famille assez modeste aveyronnaise de Paris, elle est agrégée en droit public . Elle a un parcours de rectrice et d’enseignante à l’Université puis à l’IEP de Toulouse dont elle a la responsabilité de présidente du conseil d’administration. En 2001, elle rédige un rapport à la demande de Jack Lang, ministre de l’Éducation Nationale, où elle fait des propositions pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans les établissements scolaires. Elle a été membre du Conseil constitutionnel de 2013 à 2017. Elle s’est engagée au Parti Socialiste en 1983 et a eu plusieurs mandats politiques à Toulouse et au Conseil régional Midi-Pyrénées. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, elle a déjà eu une première responsabilité ministérielle comme garde des Sceaux de 2017 à 2020.C'est un des rares membres du gouvernement avec le Premier ministre actuel à être issu de la gauche.

Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire : issu d’une famille traditionnelle du Loir et Cher, c’est un homme très attaché au milieu et à la culture agricole (son père était directeur général de l’Association française des comités économiques de fruits et légumes (Afcofel)). D’abord diplômé en sciences de la vie, il exerce des responsabilités au sein de la Chambre d’agriculture du Loir et Cher. Après l’obtention de son diplôme de Sciences Po en 1983, il s’engage en politique d’abord à l’UDF et ensuite au MoDem. Il a occupé des responsabilités politiques locales dans son département d’origine de maire, de président d’intercommunalité et de conseiller régional. Il devient député en 2017 et président du groupe MoDem à l’Assemblée Nationale. Il a été nommé ministre des relations avec le Parlement dans les gouvernements d’Edouard Philippe et de Jean Castex.

Sébastien Lecornu, ministre des Armées : issu de la classe moyenne de la région parisienne, il a fait des études de droit. Il s’engage en politique très jeune comme militant de l’UMP et devient à 19 ans le plus jeune assistant parlementaire, puis à 22 ans le plus jeune conseiller ministériel auprès de Bruno Lemaire. Il fait toute sa carrière politique dans l’Eure comme maire de Vernon, il a été président du Conseil départemental. Il a occupé plusieurs postes ministériels depuis 2017 (secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot, ministre des Collectivités Territoriales, ministre des Outre-mer) jusqu’au poste ministre des Armées (qu’il occupe depuis 2022). Il est exclu de LR depuis sa première nomination au gouvernement. C’est le type même de professionnel de la politique.

 En dehors d’Amélie Oudéa-Castéra qui est représentative d’une classe d’ultra privilégiés très liée aux intérêts du CAC 40 et de la Finance, il y a deux catégories de ministres. D’une part ceux qui sont issus de la bourgeoisie et qui font un parcours classique et homogène de grandes écoles, Sciences Po et souvent ENA. On trouve dans cette catégorie Gabriel Attal, Bruno Le Maire, Catherine Vautrin, Marc Fesneau et Nicole Belloubet.

 Une autre catégorie est constituée de personnalités issues de milieux modestes qui ont bénéficié de la promotion sociale et de ce qu’il est coutume d’appeler la méritocratie républicaine. On retrouve dans cette catégorie Eric Dupont-Moretti, Rachida Dati et Gérald Darmanin. Sébastien Lecornu est un peu à part dans cette catégorie car il doit sa place à son engagement en politique très jeune auprès de Bruno Le Maire.

Les seules personnalités qui viennent de la gauche et qui subsistent dans ce gouvernement sont le Premier ministre et Nicole Belloubet, la ministre de l’Education Nationale.

 Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il semble ça n’est pas l’origine sociale et l’appartenance à une classe d’ultra-privilégiés qui caractérise les profils des membres de ce gouvernement. C’est peut-être parce ce qu’ils sont désormais au-dessus du plafond de verre et qu’ils se sentent faire partie de l’élite qu’ils se donnent pour mission de maintenir l’ordre établi et les inégalités au profit d’une oligarchie de rentiers détenant le pouvoir économique, obsédée par la réduction de la protection sociale et qui méprise les économiquement faibles. Ils mettent ainsi en œuvre la politique plus réactionnaire que l’on ait connue depuis la seconde guerre mondiale.

 Dans ce monde figé qui favorise la reproduction sociale, il n’est pas certain qu'une partie d’entre eux aient pu accéder aux responsabilités qui sont les leurs aujourd’hui. C’est le paradoxe de l’histoire.

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