Urgence de République sociale
Il s’est écoulé neuf jours entre l’annonce de la panthéonisation de Missak Manouchian et la mort de Nahel, tué par un policier au cours d’un contrôle routier à Nanterre. Le 18 juin, nous célébrions les résistants étrangers tombés pour la France, au nom de nos valeurs républicaines. Le 27 juin, nous étions sous le choc après la mort d’un jeune homme de 17 ans, décédé parce que notre République a une nouvelle fois fait défaut.
Ce récit tragique est le nôtre et nul ne peut s’en départir, sauf au prix de contorsions intellectuelles spectaculaires. Être républicain, c’est célébrer Missak, Mélinée et tous leurs compagnons, mais c’est aussi pleurer la mort de Nahel, laquelle, hélas, vient s’ajouter à une liste bien trop longue.
Être républicain, c’est considérer que la paix civile doit être absolument préservée, singulièrement lorsque le danger menace les plus fragiles. C’est au nom de ce principe que nous avons appelé au calme, et non par volonté de nous distinguer ou de nous rendre respectables.
Nous souhaitions la concorde parce que nous savions, en particulier grâce à l’action héroïque de nos maires présents partout en France, que le chemin emprunté par ces très jeunes allait les conduire à la morgue ou en prison.
Nous avons refusé de nous y résoudre. Nous avons refusé de tourner le dos à ces parents apeurés, qui se sont couchés tard la nuit, la boule au ventre, craignant d’être réveillés par un coup de fil leur annonçant que le pire était arrivé à leur enfant. Nous avons refusé de nous taire en voyant ces enfants, nos enfants, détruire leurs propres services publics, alors que ceux-ci constituent, selon les mots de Jaurès, le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. En agissant ainsi, certains ont brisé les outils — déjà trop faibles en nombre — de leur émancipation et il faudra plusieurs années pour les rebâtir. La route sera longue, mais je ne doute pas une seconde de l’incroyable volontarisme de nos élus locaux. Je pense à cet instant à Patrick Jarry, maire de Nanterre, et à son équipe, qui ont toujours fait montre d’une proactivité et d’un dévouement qui suscitent mon admiration.
Le principe de paix civile exige également de repenser durablement les relations entre les policiers et les citoyens, en particulier ceux de nos quartiers populaires, cibles répétées de violences insupportables. Nous devons regarder la vérité en face, avec nuance, et trouver les voies et les moyens de sortir de cette spirale infernale.
Être républicain, c’est faire en sorte que l’égalité des droits s’applique partout sur notre territoire, hexagonal et ultra-marin. Or nous savons que celle-ci est aujourd’hui chimérique. Le plan Borloo, abandonné par le Président de la République, l’avait parfaitement démontré. Concrètement, dans nos quartiers populaires, le taux de chômage est deux fois plus élevé ; 45 % des jeunes n’ont pas d’emploi, 4 habitants sur 10 n’ont aucun diplôme, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Le taux de pauvreté est lui trois fois plus élevé que dans l’ensemble du pays. Le département de la Seine–Saint-Denis, source de tous les fantasmes, est le 8e contributeur de cotisations sociales du pays alors même qu’il est le 3e département le plus pauvre de France.
La litanie pourrait s’étendre sans mal. Elle a été parfaitement résumée par mon camarade Stéphane Peu, député communiste de Seine–Saint-Denis : il n’y a pas de territoires perdus de la République, il n’y a que des territoires que la République abandonne.
Ces émeutes ont touché les villes des métropoles, mais aussi parfois des petites communes tranquilles de territoires ruraux. Dans les deux cas, elles se sont nourries par le sentiment du déclassement social, économique et politique. En cela, elles ne sont pas sans rappeler le soulèvement des gilets jaunes qui était animé par la même peur de la relégation. À Nanterre comme à Sanvignes-les-Mines, à Marseille comme à Bergerac, cette colère reflète les difficultés d’accès au logement, à la santé, à l’éducation, au transport. Certains lecteurs de ce blog ne seront pas surpris de lire que je plaide instamment pour la mixité sociale à l’école. Il s’agit selon moi d’un outil indispensable pour lutter contre une ségrégation scolaire contraire à nos principes républicains. Il est utile de rappeler que notre système éducatif est l'un de ceux, parmi les pays de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), où la réussite scolaire d'un enfant dépend le plus de son origine sociale. Les jeunes de nos quartiers populaires en savent quelque chose et payent un lourd tribut.
Il n’y aura pas d’égalité des droits sans politiques publiques d’envergures en la matière. Si la gauche se cherche un nouvel horizon philosophique commun, c’est par là qu’elle devrait commencer : construisons un projet politique au service de l’émancipation et de la dignité humaines, dans nos villes, dans nos quartiers, dans les périphéries et dans nos villages. Je mesure parfaitement l’immensité de l’œuvre à édifier. Jaurès, encore lui, écrivait que l’histoire nous enseigne la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements. Mais n’oublions jamais que par son action en 1936, le Front populaire a permis à des millions d’ouvrières et d’ouvriers de se rendre sur la route des vacances. Il est toujours possible de changer la vie.
Être républicain, c’est estimer que la nation est un projet politique, constituée de citoyennes et de citoyens de toutes les origines, réunis autour des principes hérités de la Révolution française. Une nation aux antipodes de celle prônée par les tenants d’une nation ethnique, obsédés par la couleur de la peau et la religion de celles et ceux qui la fondent. Il est donc parfaitement antirépublicain de renvoyer les jeunes de nos quartiers populaires à leurs origines (supposées, voire fantasmées) ou leur concéder un degré de « francité » moindre, comme cela a été fait par certains membres des Républicains dont on se demande parfois s’il ne leur reste de républicain que le nom de leur parti. Dire, à l’instar de l’Action française, qu’il existe en quelque sorte des Françaises et des Français de papier, c’est sortir du cadre républicain. Point.
Tels sont les principes et les perspectives politiques de celles et ceux qui se réclament de la République sociale. Reste à nous en saisir, urgemment et puissamment, afin d’offrir, selon les derniers mots de Missak Manouchian, « le bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. ».