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Billet de blog 12 janvier 2023

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Qui veut la peau de la loi de 1905 ?

Après le dépôt de ma proposition de loi visant à constitutionnaliser l’article 2 de la loi de 1905 et les polémiques entourant les fêtes de fin d’année, je veux alerter la gauche et le camp laïque : la loi de 1905 est en danger.

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Qui veut la peau de la loi de 1905?

Pour cette nouvelle année, j’ai décidé de consacrer plus de temps à l’entretien de ce blog, inauguré en 2022 par ma recension de l’ouvrage co-écrit par Sandrine Rousseau. Rassurez-vous, je n’ignore rien des lois qui régissent cet exercice, aussi je tâcherai d’être le plus direct et le plus sincère possible dans mon expression.

J’aimerais revenir avec vous sur ce qui s’est passé depuis le dépôt de ma proposition de loi[1] visant à constitutionnaliser l’article 2 de la loi de 1905. Pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi — vous êtes certainement nombreux dans ce cas — il s’agirait d’inscrire au premier article de notre Constitution les mots « Elle (la République) ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » de sorte que la séparation des Églises et de l’État, voulue par les législateurs de 1905, puisse enfin aboutir sur l’ensemble du territoire de la République. Il existe aujourd’hui plusieurs régimes dérogatoires à la loi de 1905 parmi lesquels figurent le concordat de 1802 qui demeure en Alsace-Moselle et l’ordonnance de Charles X du 27 aout 1828 qui subsiste en Guyane. Même si les modalités d’application de ces régimes sont différentes, les deux cas ont en commun le financement public du culte : catholique pour la Guyane, catholique, protestant (luthérien et réformé) et juif pour l’Alsace-Moselle. Les raisons qui ont conduit au maintien de ces régimes dérogatoires sont multiples. Elles tiennent à l’hypocrise politique de certains élus qui n’ont pas voulu et ne veulent pas revenir sur ce qui a été décidé au XIX siècle, alors que les opportunités pour le faire ont été nombreuses. J’en veux pour preuve les discussions récentes autour du projet de loi confortant les principes de la République. Il est peu dire que mes collègues sénateurs communistes et moi nous sommes sentis bien seuls lorsque nous avons demandé l’abrogation de ces régimes ! Les Républicains, soutenus par la République en Marche — tout change pour que rien ne change — ont refusé d’y toucher, au motif que cela remettrait en cause l’harmonie sociale qui existe dans ces territoires, comme si l’extension de la laïcité entrainerait de facto la guerre civile. Ce sont les mêmes qui proposent, à l’Assemblée nationale et au Sénat, d’inscrire dans notre Constitution que les racines de la France sont judéo-chrétiennes et bien plus encore, comme j’y reviendrai dans la deuxième partie de ce billet.

Le Conseil constitutionnel a lui aussi sa part de responsabilité dans l’application partielle de la loi de 1905. Alors que le principe de laïcité a fait son entrée dans la Constitution de 1946, grâce à l’adoption de l’amendement du député communiste Étienne Fajon, avant de figurer au premier article de notre Constitution actuelle, les sages de la rue de Montpensier ont joué de duplicité pour maintenir les régimes dérogatoires à la loi de 1905. Ainsi, dans sa décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, le Conseil constitutionnel a estimé que les constituants de 1946 et 1958, en instaurant la laïcité comme constitutive de la République, n’avaient pas eu pour dessein d’abroger les régimes dérogatoires en vigueur dans certains de ses territoires. Bien que ce point soit contesté par une partie de la doctrine, il a donc jugé que les dispositions relatives à la rémunération des ministres du culte en Alsace-Moselle et en Guyane étaient conformes à la Constitution. Dans cette même décision, le Conseil constitutionnel indique qu’il ne retient pas le principe de non-subventionnement des cultes. L’interdiction de salarier un culte, c’est-à-dire de rémunérer les ministres d’un culte, doit ici être distinguée de l’interdiction de subventionner un culte.

En vertu de ces dispositions, le législateur a autorisé le maintien des régimes dérogatoires à la loi de 1905 et le subventionnement des cultes, de façon directe ou indirecte, ainsi que la jurisprudence libérale du Conseil d’État l’a définie : avantages fiscaux, subventions délivrées en matière d’édifices cultuels, bail emphytéotique administratif (ce qui revient à prêter un terrain à une association cultuelle pendant de très longues années) et garanties d’emprunts. En ce sens, la loi confortant les principes de la République est venue noircir le tableau, en favorisant les immeubles de rapport, de sorte que les cultes puissent tirer bénéfice de leur patrimoine, tout en renforçant une logique concordataire à travers l’obligation pour les associations cultuelles de se signaler tous les 5 ans auprès du préfet.

L’histoire que je viens de présenter n’est pas exhaustive, mais elle permettra aux plus curieux de comprendre comment nous en sommes arrivés là et surtout pourquoi cette situation ne peut pas satisfaire ceux qui se revendiquent du camp laïque. Je fais partie de ceux-là. La laïcité est à mes yeux un principe consubstantiel à notre idéal républicain, étant entendu que la laïcité se définit de la manière suivante : liberté de conscience et de culte, séparation de l’Église et de l’État et neutralité de ce dernier en matière religieuse, ce qui lui impose de ne reconnaître aucun culte et de n’en salarier aucun. La laïcité est aussi un puissant outil d’émancipation, à condition qu’il soit accompagné de politiques sociales capables de briser les chaines du déterminisme. En d’autres termes, je suis un partisan de la République laïque et sociale, telle que Jean Jaurès l’appelait de ses vœux. Dans l’un de ses plus grands discours[2], le tribun socialiste rappelle que la démocratie et la laïcité sont deux termes identiques puisqu’ils visent à garantir l’égalité des droits. Selon Jaurès, « (…) il n’y a pas d’égalité des droits si l’attachement de tel ou tel citoyen, à telle ou telle croyance, à telle ou telle religion, est pour lui une cause de privilège ou une cause de disgrâce. »[3]. Une fois encore, celui qui fut lâchement assassiné le 1er juillet 1914 au café du croissant, avait parfaitement raison. Ma proposition de loi s’inscrit dans cette histoire.

L’expression débridée des pourfendeurs de la loi de 1905

La séquence qui a suivi la publicisation de ma proposition de loi a été riche d’enseignements. Elle m’a permis de comprendre à quel point le principe de laïcité est en réalité remis en cause par ceux qui se prétendent en être les plus grands défenseurs.

J’ai d’abord été la cible des membres du parti Alsacien[4], lesquels n’ont pas hésité à me qualifier « d’ayatollah du laïcisme », tout en prétextant que les élus communistes deviennent communautaristes lorsqu’il s’agit de capter le vote musulman. J’invite mes contradicteurs à lire mes propositions et mes écrits : ils verront que ma plume ne faillit pas dès qu’il faut combattre les dominations, qu’elles soient religieuses[5], patriarcales ou capitalistes. J’ai également reçu de nombreux messages, provenant parfois de camarades alsaciens ou mosellans, interpellés par ma démarche et apeurés à l’idée que ma proposition de loi vienne toucher le droit local dont on sait qu’il est bien plus favorable que le droit commun. Je leur ai répondu qu’il n’en était pas question et que mon but, au fond, était d’abroger le concordat et d’obtenir l’extension du droit local sur l’ensemble du territoire national.

Je me suis ensuite retrouvé au cœur de la polémique durant les fêtes de fin d’année, au motif que j’ai protesté contre une affiche financée par le conseil départemental de la Vendée sur laquelle il est représenté une scène religieuse de la nativité.

Illustration 1

Il m’a semblé évident que cette affiche contrevenait au principe de laïcité dégagé par la loi de 1905 et plus spécifiquement à la neutralité des services publics. Les réactions ne sont pas faites attendre, en particulier à droite. Mon collègue sénateur Bruno Retailleau s’est fendu d’un tweet[6] dans lequel il a écrit que Noël est avant tout une fête religieuse chrétienne qui appartient à notre héritage culturel commun. Ce à quoi je lui ai répondu que la loi de 1905 faisait elle aussi partie intégrante de notre héritage culturel commun, en plus d’être une loi fondamentale de notre République. J’ai récemment déposé une question écrite, adressée à Gérald Darmanin, afin de savoir pourquoi celui-ci n’a-t-il pas sommé le préfet de saisir le juge administratif pour obtenir le retrait de cette affiche contraire à la loi. Je ne manquerai pas de vous transmettre sa réponse.

La polémique a également été nourrie par l’installation de crèches[7] dans certaines municipalités tenues par la droite et l’extrême droite. Mon collègue Stéphane Le Rudelier (LR) est allé plus loin, en rédigeant une proposition de loi[8] visant à modifier la loi de 1905 afin qu’il soit possible d’installer des crèches, des santons, des galettes des Rois et des œufs de Pâque dans les monuments publics.

Si la proposition peut faire sourire tant elle semble déconnectée des principes de réalité dans lesquels vivent nos concitoyens, la bataille menée par les élus des Républicains en dit beaucoup sur les menaces qui pèsent sur la loi de 1905. Il y a fort à parier qu’une fois revenue au pouvoir, une partie de la droite voudra remettre en cause cette loi essentielle de notre contrat social, au nom de logiques identitaires peu compatibles avec notre histoire républicaine. Et que dire du péril qui pourrait toucher notre République laïque  si par malheur le Rassemblement National parvenait jusqu’aux plus hautes responsabilités, avec, comme perspectives, la fin de la séparation des Églises et de l’État et la mise en place de politiques discriminatoires envers nos compatriotes de confession musulmane.

Une bataille politique et culturelle est en train de se jouer devant nous. Je suis fier de la mener au nom de mon parti[9] et j’aimerais que la gauche fasse bloc pour poursuivre l’œuvre émancipatrice voulue par nos augustes prédécesseurs. Au moment du vote de la loi de 1905, Georges Clemenceau disait que la séparation des Églises et de l’État n’était pas achevée, mais ne faisait que commencer. Force est d’admettre qu’il avait raison et je crois qu’il convient de relancer le débat autour de ce principe laïque auquel nos concitoyens sont très attachés.

[1] http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-133.html

[2] Qu’est-ce que la laïcité ? Discours prononcé à Castres en 1904 et publié dans l’Humanité du 2 aout 1904

[3] Op.cit

[4] https://www.unserland.org/articles/111067-le-concordat-comme-modele-dintegration-du-fait-religieux

[5] https://www.humanite.fr/en-debat/port-du-voile/le-voile-patriarcal-et-la-separation-des-eglises-et-de-l-etat-769703

[6] https://twitter.com/BrunoRetailleau/status/1605963411363221504

[7] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/propositions-de-loi-recours-en-justice-les-creches-font-debat-20221225

[8] http://www.senat.fr/leg/ppl22-215.html

[9] https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/fabien-roussel-et-pierre-ouzoulias-il-faut-parvenir-a-la-separation-complete-des-eglises-et-de-letat

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