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Billet de blog 15 mars 2024

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Retour sur une rencontre avec des habitantes de la Cité Pablo Picasso

J’ai eu le privilège de faire connaissance avec des habitantes de la cité Pablo Picasso de Nanterre. Ce collectif s'est constitué après la mort tragique de Nahel et travaille pour que ces drames ne se reproduisent plus. Avant toute chose, ces citoyennes réclament une République de l’égalité devant le service public, service public ressenti comme ciment indispensable à la possibilité d’un avenir.

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J’ai eu le privilège de faire connaissance longuement la semaine dernière au Sénat des habitantes de la cité Pablo Picasso de Nanterre, dans les Hauts-de-Seine.

Des citoyennes réunies par deux associations Afemin et La voix des femmes des Pablo et par l’engagement de Laureen Genthon adjointe au maire de Nanterre, déléguée au droit des femmes.

Nanterre, une ville dont les médias ont beaucoup parlé au moins de juillet dernier. De Nanterre et d’autres villes de la banlieue parisienne, de la France entière, soulevée en même temps, « ensauvagée » pour reprendre les termes de la droite. Pendant une semaine, les nombreuses images de feux et de dégradations sont venues relayer les chiffres du ministère de l’Intérieur. 

Une fois l’attention des médias passée, ces femmes avec lesquelles j’ai échangé la semaine dernière pour la première fois, se sont constituées en groupe de travail citoyennes, rassemblées dans le souci de comprendre le surgissement de la violence à deux pas de chez elles, intervenue suite à la mort de Nahel, tué par un policier après un refus d’obtempérer.

 Aux émeutes, opportunément qualifiées de « violence urbaines » — comme si les dégradations étaient en mesure de recouvrir le drame initial — le gouvernement a tenté de répondre de deux manières.

En braquant l’attention sur les parents, paradoxalement infantilisés. Le Garde des Sceaux, ministre de la justice proposant lors d’une séance de question au gouvernement le 5 juillet 2023, la rédaction d’« un flyer » pour expliquer « en termes simples », à ceux qui les « auraient oubliées » quelles sont leurs obligations. La ministre des Solidarités et de la Famille annonçant le 11 décembre de la même année la mise en place de « travaux d’intérêt général pour les parents défaillants » ou encore de « stages de responsabilité parentale ».

En célébrant aussi, très vite, la rapidité et la sévérité de la réponse pénale — près de 2000 condamnations, plus de 3000 interpellations — et en annonçant un plus grand contrôle des quartiers jugés sensibles : encadrement de certains jeunes par des militaires, extension des pouvoirs de police municipale…, sans que l’on sache bien, ni ne comprenne bien, encore, les contours de l’énième projet de loi sécuritaire à venir.

Les ministres passent, les mots restent.

Les femmes rencontrées — à travers leur vécu de mère, d’habitantes, de citoyennes de la cité Pablo Picasso — m’ont fait part d’une autre réalité, et d’une tout autre attente que celle imposée par les discours et des images.

Réalité d’abord de la colère et de l’injustice ressenties alors que les caméras et les commentaires étaient braqués sur les dégâts matériels et qu’elles étaient, parmi d’autres, visées en tant que parents manquant à leurs devoirs.

Motif suffisant — la colère, l’injustice, l’intériorisation pleine et entière que ce qui est arrivé à Nahel aurait pu arriver à l’un de leur fils, ami, voisin — pour se rassembler et élaborer ensemble un autre chemin. 

Et commencer, une fois l’émotion passée, par le même constat, que ni les pouvoirs publics, ni les médias ne semblent en mesure d’entendre, de voir et de comprendre. L’envers d’un décor qui permet de mesurer l’ampleur du sentiment d’abandon vécu par ces habitants.

Constat du désengagement de l’État et de son renoncement à assurer ses missions régaliennes. Un « gouffre » selon le mot de ces femmes, et cause en grande part du « décrochage scolaire », de la perte de repères et de perspectives de leurs enfants et finalement du sentiment de n’être que des citoyens de seconde zone.

La réalité décrite, quotidiennement vécue, étant la suivante : professeurs qui manquent, personnel qui manque, en maternelle, à l’école, au collège, orientation réduite à une plateforme numérique, accompagnement qui manque, jeunes sans perspective de stage, humiliations d’être systématiquement réduits à la situation de jeunes de banlieue et donc potentiellement dangereux…

Face à cette réalité, ces femmes, loin de se poser en victimes, m’ont fait part de leur désir plein et entier de République, d’intégration de leurs enfants par la République. Sans utiliser ce mot, vidé de son sens dans les banlieues, ce qui est attendu des pouvoirs publics relève bien d’une promesse républicaine trahie : celle de l’effectivité des droits dans les domaines de l’éducation, de la santé, des transports, de la formation…

Une République de l’égalité devant le service public, service public ressenti comme ciment indispensable à la possibilité d’un avenir.

Les propositions de ces femmes, tirées de leur expérience quotidienne et formulées dans des domaines primordiaux (« le manque de professeurs, c’est comme le manque de médecins, ça ne devrait pas exister »), constituent un rappel très clair. Rappel d’une promesse qui, il n’y a pas si longtemps aurait été mobilisée en lieu et place du « réarmement civique » voulu par le chef de l’État.

Je n’en cite que quelques-unes :

  • scolarisation obligatoire dès 2 ans jusqu’à 18 ans
  • professeurs expérimentés et stabilité des équipes
  • égalité de traitement entre les collèges publics et entre le public et le privé
  • service d’orientation de proximité

Le Gouvernement promet d’égalité des chances. La promesse républicaine de l’effectivité des droits n’a pas grand-chose à voir avec la chance. La chance d’aller à l’école, d’être instruit, de grandir — et par extension la chance d’avoir du talent ou pas, de bénéficier d’un réseau ou pas, d’avoir un collège ou pas —, mais avec le droit de n’importe quel citoyen et la dignité à faire cité.

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