La panthéonisation de Missak Manouchian ne manque pas de réveiller les thèses les plus obscures.
Dans une tribune publiée dans L’Express le 11 février dernier, Stéphane Courtois, coutumier du fait, s’est livré à une opération de réécriture de l’histoire des FTP-MOI qui demanderait d’être commentée dans son ensemble. Nous ne réagissons ici qu’aux assertions qui nous concernent directement, comme fils de Joseph Epstein pour l’un et petit-fils d’Albert Ouzoulias pour l’autre.
Selon lui, « le PCF a construit une mémoire collective qui a peu à peu effacé la participation des juifs à l’action des FTP-MOI parisiens ». Il cite un extrait de L’Humanité clandestine, en date du 1er mars 1944, comme la preuve de cette opération de dissimulation et considère qu’Albert Ouzoulias, le colonel André, en demandant au Conseil de Paris, en 1951, de donner à une rue parisienne le nom de « groupe Manouchian » a fait partie intégrante de cette entreprise de falsification.
Les données historiques sont nombreuses pour montrer que la démonstration de Stéphane Courtois est, au mieux, fallacieuse. Ainsi, dans un article du 10 octobre 1944, L’Humanité décrit le cortège qui est venu rendre hommage aux fusillés dans le cimetière d’Ivry et souligne la présence de « groupements juifs dont les panneaux glorifient les israélites morts pour la France ». On a connu plus efficace comme stratégie d’invisibilisation.
Les archives personnelles d’Albert Ouzoulias sont elles aussi riches d’enseignement. Déposées au Musée de la Résistance nationale à Champigny, elles attestent que, dès la Libération, il avait réuni des témoignages et des documents afin d’écrire un opuscule pour rappeler la place déterminante qu’avait eue Joseph Epstein, le colonel Gilles, dans l’organisation des FTP de la région parisienne. Dans son livre, Les bataillons de la jeunesse, publié en 1967, il fait de lui « le meilleur officier de toute la Résistance française » (p. 320). Dans son second ouvrage, Les fils de la nuit, publié en 1975, il poursuit : « commissaire national aux opérations, ce n’est pas moi qui aie établi la technique du combat dans les villes […] c’est le colonel Gilles qui a dégagé les données militaires, tactiques du combat de partisans dans les villes » (p. 357). Ceux qui ont assisté aux nombreuses conférences réalisées par Albert Ouzoulias savent qu’il n’a eu de cesse, toute sa vie durant, de rappeler le rôle déterminant joué par Joseph Epstein dans la définition et la mise en œuvre de la tactique militaire des FTP parisiens en 1943. Jamais l’hommage rendu au « groupe Manouchian » n’a eu pour objectif de cacher l’importance de Joseph Epstein et plus généralement des combattants juifs de la MOI. Dire le contraire, c'est salir la mémoire de femmes et d'hommes, profondément humanistes et universalistes, dont la probité morale n'est pas plus à démontrer.
Dans le même article, Stéphane Courtois estime que Joseph Epstein et Missak Manouchian, comme Joseph Davidovitch (Dawidowicz), ont livré de nombreuses informations aux inspecteurs de la brigade spéciale de la préfecture de police.
C’est faux.
Non seulement Joseph Dawidowicz n’a pas été torturé, mais il a en outre été remis en liberté. Persuadé de sa trahison, la direction de la MOI a organisé son exécution dont a été chargée Boris Holban, en décembre 1943. En revanche, comme l’écrivent Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski, dans Le sang de l’étranger, « les témoignages fournis à la Libération par les rares militants survivants et par les policiers résistants convergent : Epstein a été littéralement “massacré” par les inspecteurs des BS, mais n’a pas lâché un nom. Il n’a même pas livré sa véritable identité. » (p. 352).
Stéphane Courtois revient donc en 2024 sur les faits qu’il a lui-même établis avec ses coauteurs en 1989. Il aurait été moralement juste et déontologiquement nécessaire qu’il nous donnât les raisons et les preuves historiques de son revirement. Faute de mieux, cette schizophrénie historique a de quoi nous laisser perplexes et donne un sérieux crédit à ceux qui affirment que Stéphane Courtois fait désormais carrière sur un révisionnisme historique qui le rapproche indubitablement des nostalgiques de cette sombre époque.
Au fond, nous comprenons bien à le lire qu’il s’oppose au transfert au Panthéon du « groupe Manouchian » et qu’il considère que le Président de la République aurait été abusé par la propagande communiste ! C’est nous faire trop d’honneur.
Nous lui demandons simplement de cesser sa croisade idéologique et de nous laisser célébrer comme il se doit cette panthéonisation.
Georges Duffau-Epstein, fils de Joseph Epstein, Président de l’association pour le souvenir des fusillés du Mont Valérien
Pierre Ouzoulias, Vice-président du Sénat, petit-fils d’Albert Ouzoulias, commissaire militaire national des FTP