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Billet de blog 21 février 2023

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Missak Manouchian au Panthéon : nous y sommes presque

Le 21 février 1944, Missak Manouchian et 21 de ses camarades des FTP-MOI de Paris et sa région étaient fusillés au Mont-Valérien par les nazis. 79 ans plus tard, je me bats, avec d’autres, pour que Missak Manouchian fasse son entrée au Panthéon. Je vous explique pourquoi.

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Missak Manouchian au Panthéon : nous y sommes presque 

La vie de parlementaire est rythmée par des évènements toujours plus nombreux à mesure que l’élu affine son expertise politique. Mes collaborateurs peuvent en témoigner : mon agenda est une citadelle prise d’assaut qu’il convient de préserver autant que possible. Je le ressens d’autant plus que je me trouve dans ma sixième année de mandat de sénateur. Six ans que j’occupe le Palais du Luxembourg. Six ans durant lesquels je me suis investi sur des sujets qui me tiennent à cœur et dont j’espère avoir été un digne représentant. Parmi ceux-là, il en est un auquel j’accorde beaucoup d’importance. Je veux bien évidemment parler de la panthéonisation de Missak Manouchian.

Voilà désormais quelques années que je fais partie de cette aventure initiée par Jean-Pierre Sakoun, président d’Unité laïque et Denis Peschanski, historien et responsable scientifique du Projet Missak Manouchian au Panthéon.

Ceux qui me connaissent ne furent pas tellement surpris par cet engagement. « La pomme ne tombe jamais très loin de l’arbre » affirme l’adage et il est peu dire que cette maxime me colle au teint, moi le petit-fils d’Albert Ouzoulias, militant communiste, plus connu sous le nom du Colonel André, dirigeant des FTP, organisation dont dépendait notamment la MOI (Main-d’œuvre étrangère) dans laquelle figurait Missak Manouchian et ses camarades. 

Très jeune, j’ai eu le privilège de baigner dans cet univers d’anciens résistants. Je me souviens parfaitement de ces vacances estivales dans ma Corrèze familiale au cours desquelles, dans la fraicheur de notre maison en pierre ou dans sa mairie de Palisse, mon grand-père recevait d’anciens résistants et des rescapés des camps qui avaient besoin de son aide pour faire reconnaître leurs droits. Il leur faisait des certificats, car il était le rare témoin de leur action, alors que le propre de la Résistance était la clandestinité.

Je me souviens aussi très bien de la première fois où il m’a parlé de Missak Manouchian. Il leur devait la vie, à lui et à ses compagnons, eux qui n’ont jamais rien dit malgré la torture. Je me rappelle avoir ressenti un immense vertige devant la grandeur d’un tel acte. Comment pouvait-il en être autrement ?

Dans son très beau livre Quand tu écouteras cette chanson, Lola Lafon écrit que pour un enfant juif, «Naître après (la Shoah), c’est vivre en dette perpétuelle. Chaque enfant sera un miracle. Il aura le devoir d’être sur-vivant. Elle laisse sans voix, sans possibilité de s’y mesurer. » C’est sans doute ce que ressentait mon grand-père et c’est d’ailleurs pourquoi, à la Libération, sans le dire à personne, il a acheté une concession en face de celle de Missak Manouchian, à Ivry-sur-Seine. 

Illustration 1
Illustration 2

Cet héritage familial n’est pas des plus simples à revendiquer. Il rend humble. Il m’oblige à mettre mes pas dans ce chemin de dignité exceptionnel emprunté par nos ainés, morts au nom de la très haute idée qu’ils se faisaient de l’Humanité.

La reconnaissance des étrangers morts pour la France

Missak Manouchian était Arménien et communiste. Nul ne l’ignore. Néanmoins, la force symbolique de son transfert au Panthéon tient dans la puissance évocatrice de la formule qui le justifie : un étranger mort pour la France. Apatride comme tous les Arméniens chassés de Turquie après le génocide, il s’engage dans l’armée française puis dans la Résistance patriotique parce qu’elle représente pour lui et ses camarades de combat un idéal politique. Elle est ce pays plus grand que lui-même qui poursuit l’idéal révolutionnaire universaliste d’une République étendue au monde entier, d’une République universelle qui reconnaîtrait à chaque humain une citoyenneté et le droit au bonheur. À l’heure grave qui voit l’extrême droite combattre cette idée républicaine de la citoyenneté pour y substituer une conception identitaire de la nationalité fondée sur le droit du sang, il est essentiel de rappeler que Missak Manouchian et ses camarades défendaient la France comme projet politique.

Ne perdons pas de vue ce modèle. En ces temps troublés, nous sommes en quête de phares susceptibles de nous donner des perspectives humanistes, afin de sortir de la noirceur d’une période qui voit la guerre revenir à nos portes, la planète souffrir comme jamais et la pauvreté s’acharner toujours un peu plus sur des millions de personnes. Je ressens particulièrement cette quête de sens chez les jeunes qui se montrent très touchés par les parcours de vie de Missak et Mélinée Manouchian. Ils n’en peuvent plus de vivre dans une société atomisée, concurrentielle, sans destin collectif. Ils espèrent mieux de notre époque et ils ont raison. J’invite d’ailleurs ceux d’entre eux qui voudraient s’intéresser à cette histoire à visionner sans tarder l’excellent film réalisé par Robert Guédiguian, l’armée du crime, avant de se plonger dans les nombreux ouvrages historiques consacrés à cette question des étrangers dans la résistance.

De ces étrangers, il a beaucoup été question durant le colloque organisé samedi dernier par Unité laïque au Palais du Luxembourg. J’ai eu l’honneur de parrainer cet évènement, qui s’est déroulé en présence d’historiennes et d’historiens, de Katia Giragossian, nièce de Missak et Mélinée Manouchian, mais aussi de Madame Tolmajian, ambassadrice d’Arménie en France, ainsi que de Madame Mirallès, secrétaire d’État chargée des anciens combattants et de la Mémoire. L’émotion fut totale quand cette dernière signa, dans une salle comble réduite au silence par le poids de l’histoire, le document attribuant la mention « mort pour la France » à Szlama Grzywacz, dernier membre du groupe Manouchian à ne pas l’avoir reçue.

C’est une première étape avant l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon. La décision en revient au Président de la République, lequel a déjà fait montre de sa volonté d’aller au bout sur ce sujet. Je l’espère. Nous l’espérons tous.

La République française doit se montrer à la hauteur des derniers mots que Missak Manouchian adressa à sa femme Mélinée :

«Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement.»

Nous devons exercer notre devoir de mémoire, même si cette expression demeure bien faible pour décrire ce qui nous unit encore à eux. Rudolf Hermann Lotze écrivait dans son Mikrokosmus (1856-1854) qu’il n’y a pas de progrès si les âmes qui ont souffert n’ont pas droit au bonheur. Cela signifie que Manouchian et ses camarades vivront encore en nous tant que les idées pour lesquelles ils ont donné leurs vies continueront de guider nos existences et d’éclairer nos projets d’avenir.

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