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Billet de blog 26 février 2024

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Panthéonisation de Missak Manouchian : retour sur un moment suspendu

Depuis jeudi, je ne cesse plus d’écouter l’affiche rouge telle qu’elle a été interprétée par Feu ! Chatterton au soir de la cérémonie de panthéonisation. Je suis pour ainsi dire obnubilé par cette prestation absolument incroyable, magistrale, merveilleuse. La voix du chanteur, Arthur Teboul, m’a plongé et me plonge encore dans un moment suspendu, hors des vicissitudes de la vie profane.

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Depuis jeudi, je ne cesse plus d’écouter l’affiche rouge telle qu’elle a été interprétée par Feu ! Chatterton au soir de la cérémonie de panthéonisation. Je suis pour ainsi dire obnubilé par cette prestation absolument incroyable, magistrale, merveilleuse. La voix du chanteur, Arthur Teboul, m’a plongé et me plonge encore dans un moment suspendu, hors des vicissitudes de la vie profane. Durant les six minutes de la chanson, j’ai le sentiment que mes doigts sont posés sur le fil d’or de cette histoire qui nous touche si profondément.

À vrai dire, ce ressenti a été le mien durant toute cette cérémonie que j’ai trouvé grandiose. J’avais pourtant des raisons de craindre que ce ne soit pas le cas, notamment du fait des contraintes organisationnelles et des polémiques qui allaient inévitablement advenir.

Il y eut d’abord « l’affaire » Léon Landini, dernier FTP-MOI de ce monde, combattant du groupe Carmagole-Liberté dans la région Rhône-Alpes, qui s’est publiquement plaint de ne pas avoir reçu d’invitation. J’y reviens ici, ayant été personnellement impliqué dans cette histoire.

Je connais Léon et je l’apprécie. Comme beaucoup, je suis admiratif de son parcours, qui nous rend tout petit, et de sa vivacité d’esprit extraordinaire pour un homme de son âge. J’espère pouvoir en dire autant un jour et je profite de l’occasion pour m’excuser d’avoir utilisé une formule malheureuse à son encontre, dans Libération.

Il aurait été scandaleux — je pèse mes mots — qu’il ne soit pas invité à cette cérémonie. C’est pour cela que j’ai transmis son nom dès la fin du mois de janvier à l’Élysée, qui lui a envoyé cette invitation en date du 13 février, laquelle, manifestement, n’est pas arrivée à bon port. C’est pour cela que mon parti l’a inscrit dans sa liste des 50 convives auquel il avait le droit pour l’occasion. C’est pour cela que j’ai personnellement appelé le cabinet de la ministre des anciens combattants pour que Léon soit des nôtres, au Mont-Valérien, durant la veillée du cercueil de Missak Manouchian. Il a décliné cette invitation, sans doute pour se ménager, ce que je comprends parfaitement. Enfin, le lendemain, jour de la cérémonie, j’ai œuvré pour que Léon et sa fille soient pris en charge par l’Élysée, dans le plus grand des conforts, ce qui, après tout, était bien la moindre des choses. 

Après la lecture de ces lignes, vous réaliserez mieux pourquoi j’ai très peu gouté aux raccourcis journalistiques et militants consistant à dire que Léon s’était vu refuser de la cérémonie de panthéonisation, ce qui n’était absolument pas le cas. Il a simplement été victime d’un dysfonctionnement organisationnel d’ampleur dont beaucoup trop de personnes ont eu à souffrir, à commencer par votre serviteur.

Ainsi, alors qu’il y avait assez peu de doute sur ma présence durant cet événement que j’ai ardemment souhaité, je n’ai reçu mon invitation qu’à 14 h 30, le mardi, soit après Léon. Pire, mon papa, fils du colonel-André, a découvert le jour même qu’il avait reçu un précieux sésame pour le Panthéon (logé dans les spams), mais c’était bien évidemment trop tard, pour mon plus grand malheur. Je pourrai sans peine vous citer une dizaine de cas comparables.

 Cette démonstration se veut non-acrimonieuse. Elle a simplement pour objectif de montrer que Léon Landini, glorieux combattant des FTP-MOI, n’a pas été écarté pour des considérations politiques. Auquel cas, il faudrait se poser la question jusqu’au bout : quel aurait été l’intérêt de la présidence de la République de le marginaliser ? Aucun. Absolument aucun. Tandis que les inconvénients engendrés par sa non-invitation allaient fleurir sur la place publique, comme ce fut le cas, plusieurs jours avant la cérémonie.

Il n’y avait donc aucune raison objective de ne pas inviter Léon Landini et c’est heureux. J’ai été très touché de le voir accueillir le Président de la République, avec son drapeau, au côté de Robert Birenbaum, l’un des derniers résistants encore en vie.

Cette image augurait de la beauté d’une cérémonie dont je me souviendrais dans le moindre détail jusqu’à la fin de mon existence.

Je n’oublierai pas non plus que Marine Le Pen, Jordan Bardella et Sébastien Chenu étaient présents au Panthéon. C’était prévisible. Si Marine Le Pen entend devenir la prochaine présidente de la République, elle ne peut plus être marginalisée et se soustraire à des cérémonies de cette ampleur. A son corps défendant et contre les volontés des descendants de l’affiche rouge, elle devait figurer sur la photo de famille de ceux qui furent réunis durant quelques dans le plus haut-lieu de la mémoire républicaine.

Elle n’avait pourtant rien à y faire.

Car si nous sommes les héritiers de Manouchian et d’une vision politique de la nation, ils sont les héritiers de Vichy, bourreaux des FTP-MOI, et d’une vision ethnique de la nation. Cet antagonisme historique et politique était vrai hier et perdure encore aujourd’hui.

Sinon, comment expliquer que depuis l’annonce officielle de la panthéonisation (18 juin 2023), Marine Le Pen n’avait pas prononcé un mot à ce sujet, si ce n’est pour dénoncer un hypothétique électoralisme d’Emmanuel Macron dans ce choix ?

Sinon, comment expliquer cette séquence durant laquelle Marine Le Pen a publiquement insulté les communistes, mangé avec les fascistes de l’AfD et revendiqué un lien avec Missak Manouchian à travers la Légion étrangère, dans laquelle, il faut le rappeler, son père torturait des Algériens ?

Pendant deux jours, nous avons obligé le Rassemblement national (RN) à se justifier sur ses origines nauséabondes, faisant ainsi craquer le vernis de respectabilité que le parti fondé par Jean-Marie Le Pen a patiemment étalé durant de nombreux mois. Depuis quand n’était-ce pas arrivé ? Depuis quand n'étaient ils pas apparus si minables ?

C’est un message pour mes amis qui considèrent que le RN ne doit plus être contesté par ce biais. À travers ces déclarations scandaleuses, Marine Le Pen est venue nous rappeler que c’était au contraire bien nécessaire. Il faut dénoncer l’inconséquence sociale du RN, mais également, son inconséquence républicaine.

Ce n’est pas notre cas. N’en déplaise aux plus réactionnaires, depuis mercredi soir et l’entrée de Missak et Mélinée Manouchian et de leurs camarades au Panthéon, l’histoire communiste est officiellement devenue une composante à part entière de notre histoire républicaine.

Illustration 1

C’est un point d’appui politique à partir duquel nous devons désormais construire.

À travers leurs glorieuses actions, les FTP-MOI ont montré que le patriotisme et l’internationalisme étaient parfaitement solubles l’un dans l’autre, suivant en cela Gary et Jaurès, le premier affirmant que « le patriotisme, c’est l’amour des siens » et le second qu’un « peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène. »

Ils nous ont montré que le drapeau rouge et le drapeau tricolore pouvaient parfaitement se conjuguer. Que l’on pouvait tout à la fois chanter l’internationale et la Marseillaise. Que l’on pouvait se réclamer de la grande Révolution française, de la Commune et de 1917. Que la République laïque et sociale est la nôtre, tout comme l’universalisme et la fraternité.

En un mot : que le communisme républicain — merveilleuse appellation — existe et que nous devons lui donner de la consistance politique. C’est ce que je retiens, pour ce qui nous concerne, après cette fabuleuse cérémonie.

***

Je dois bien l’admettre, je ne suis pas tout à fait la même personne depuis que la panthéonisation a eu lieu. J’ai beaucoup pensé à mon grand-père et à ces étrangers, ces résistants, tombés pour reprendre notre liberté des mains de ceux qui nous l’avaient confisquée. J’entends encore les enfants, placés au bas de la rue Soufflot, crier « mort pour la France » à l’évocation de chacun des noms composant les FTP-MOI fusillés le 21 février 1944. J’ai le cœur qui bat plus fort en me souvenant de l’entrée des cercueils de Missak et Mélinée Manouchian dans l’enceinte du Panthéon. Je repense à ces 23 étrangers, nos frères, qui ont incarné mieux que nul autre la grandeur du genre humain.

Mercredi soir s’est exprimé une certaine idée de la France. La plus belle.

Et si vous en doutiez encore, écoutez ça :

https://www.youtube.com/watch?v=YaA3R3ghrV4&list=RDNSYaA3R3ghrV4&start_radio=1

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