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Billet de blog 25 juin 2023

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L’évidence écologique à géométrie variable

Pourquoi les discours écologiques médiatiques font-ils aussi souvent l’impasse sur des pans déterminants de nos choix de vie ?

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Illustration 1
Un stylo vert et le journaliste Pascal Praud

Très peu d’activistes ou militants écologistes ont accès aux plateaux télé, radio et aux dits grands journaux. On est capable de citer une poignée de noms. Ce sont celles et ceux que des journalistes ont bien voulu mettre en avant, à qui on demande leur avis. Ce sont rarement des scientifiques ou techniciens du sujet, mais généralement de formidables vulgarisateurs et mobilisateurs – vulgarisatrices et mobilisatrices. Elles et ils parlent bien, on a plaisir à les écouter si on n’est pas un vieux réactionnaire aigri. Des années 1980 à aujourd’hui, presque rien n’a visiblement changé sur ce plan.

Remercions ces personnes pour leur travail d’agitation et de relai d'information. Elles alertent remarquablement l’opinion sur l’urgence climatique. Le discours des militants popularisés est à mon avis et le plus souvent très juste et enthousiasmant. L’activiste médiatique est généralement clair sur le diagnostic des problèmes écologiques autant que sur les paramètres à modifier pour atteindre l’horizon souhaité, en premier lieu vivre dans un monde vivable. Généralement clair, sauf sur quelques points cruciaux.

Curieusement, parmi les paramètres à modifier politiquement pour opérer la transformation radicale voulue, il en est souvent un auquel toucher serait aberrant aux yeux des militants performateurs. Le plus intrigant est que c’est toujours présenté comme une évidence, alors que les points non négociables ne sont pas toujours les mêmes selon qui parle. J’ai l’impression que ça rejoint presque la diversité des points de vue qu’on entend chez les activistes anonymes.

Pour certains, c’est la voiture individuelle qu’on doit évidemment garder : on continuera de la développer mais en version électrique. Pour beaucoup, c’est la consommation de produits animaux : on continuera de manger de la chair et du lait mais issus de « petits élevages paysans ».   Idem avec la pêche : pas question d’arrêter mais les poissons seront pris par des « petits pêcheurs ». Pour à peu près tout le monde, c’est le smartphone, la vidéo internet ou autre technologie énergivore, dont on peine à percevoir quelle modération d’usage est proposée. Pour une partie non nulle, c’est tout simplement le libéralisme, le productivisme, la croissance économique : pas question d’y toucher mais elle sera verte. Pour beaucoup, c’est la natalité : politiser le sujet est impensable, y réfléchir collectivement est hors de propos.

Je précise n’avoir pas d’avis définitif sur le dernier point notamment. Il se trouve que le levier le plus facilement activé dans ma vie de citoyen fut l’alimentation. C’est assez simple de manger des végétaux qui couvrent nos besoins nutritionnels, avec ajout de la fameuse vitamine B12 afin de pouvoir se passer de produits animaux. Sans doute la question d’avoir ou non des enfants est-elle plus flottante pour ce qui me concerne à l’instant où j’écris ça ; pour autant, je ne vois pas en quoi elle devrait être sortie du champ politique, dès lors qu’il ne s’agit pas seulement d’un choix personnel mais d’un choix aux conséquences fortes sur la collectivité, sur le bien commun, sur autrui, de même que favoriser ou non l’exploitation des animaux, la voiture, l’avion ou le libéralisme économique.

La pureté militante ne mène certes pas au changement de société. Le bouleversement doit être global donc politique, d’où qu’il vienne, par où qu’on l’enclenche. Mais alors, pourquoi certains aspects écologiquement néfastes de nos modes de vie restent relégués aux choix individuels dans les discours, tandis que d’autres pans de nos existences, ni plus ni moins conséquents, sont présentés comme devant résulter de politiques publiques, d’orientations économiques, de choix de société ? Pourquoi presqu’aucun activiste médiatique du climat en France ne revendique avoir adopté un régime végétal ou au moins végétarien, alors qu’abandonner la viande est un des principaux leviers d’action nécessaire pour lutter contre le réchauffement ?

Peut-être simplement parce que nous ne désirons pas tous le même monde. Beaucoup de militants écologistes sont peu soucieux de l’intérêt individuel des mammifères qu’on envoie à l’abattoir et continueront à défendre l’élevage car le fromage de chèvre, c’est bon. D’autres, qu’il n’est pas question de blâmer, auront à cœur d’avoir deux enfants dans un pays riche où leur impact climatique, même s’ils deviennent véganes, restera gigantesque ; ces parents vous expliqueront le plus sincèrement du monde que donner la vie est un engagement écologique puisque, autrement, pourquoi se battre, si ce n’est pour nos enfants. Ne serions-nous pas tous un peu biaisés dans l’argumentaire, selon l’horizon souhaité ?

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