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Billet de blog 22 octobre 2025

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La casse française du covid long, la responsabilité gouvernementale

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La casse française du Covid long, la responsabilité gouvernementale  

Les pouvoirs publics partout dans le monde ont eu affaire à la pandémie du Covid à partir de début 2020. Le traitement vaccinal massif auquel il fut recouru permit globalement de la contenir. La pandémie eut cependant chez un grand nombre d’individus des effets durables directs ou consécutifs à la vaccination, dénommés dès octobre 2020 « Affection post-Covid-19 » par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et communément « Covid long ». La prise en charge de cette affection-ci est depuis en France problématique, la situation des malades du Covid long devient très préoccupante : par suite d’arrêts de travail successifs, de mises en invalidité et de coûteux soins médicaux et para-médicaux à la charge des patients, on assiste aujourd’hui à une dramatique précarisation matérielle de leur situation.

Dans le monde on a estimé entre 200 et 400 millions le nombre d’individus durablement frappés par l’« Affection post-Covid-19 ». En France, la Haute Autorité de la Santé a reconnu dès le 5.03.2021 l’existence de cette « affection » et en a décrit dans le détail les symptômes. La même HAS éditait le 19.01.2023 une fiche de « Réponses rapides dans le cadre de la COVID-19. Symptômes prolongés à la suite d’une Covid-19 de l’adulte. Diagnostic et prise en charge ». Santé publique France publiait le 21.06.2023 les résultats d’une évaluation de « la prévalence du Covid long en France » : en partant de la définition du Covid long de l’OMS, 4% de la population générale adulte, soit 2,06 millions étaient atteints. Cette étude insistait sur les impacts de la maladie : « notamment sur les activités de la vie quotidienne, la qualité de la vie, la capacité de travailler ». L’INSERM titrait un article du 26.06.2023 : « Interminable. C’est quoi le Covid long ? ». Au cours de 2023 des épidémiologistes français (Joël Coste, …) publièrent des études sur le Covid long en France. Les « symptômes » en étaient d’une déroutante variété (autour de 200 selon certaines études). Faute de la connaissance scientifique des causes, dépourvus de thérapies spécifiques, les médecins généralistes ou internistes en 1e ligne pour les soins sont obligés dans l’urgence de proposer des thérapies symptomales qui peuvent apaiser les souffrances et réduire les angoisses des malades mais ne les guérissent pas.

Alors que le Covid long apparaissait et persistait, qu’ont fait en France les pouvoirs publics « en même temps » que la vaccination en 2020 et après 2020, et que font-ils aujourd’hui ? Il a fallu attendre fin 2021 pour que, à son initiative, la représentation nationale s’empara de cette question et le 24.01.2022 pour que l’Assemblée nationale vota la loi « n°2022-53 visant la création d’une plateforme de référencement et de prise en charge des maladies chroniques de la covid-19 ». S’appuyant sur les travaux de l’OMS et de la HAS, le rapport établi au nom de la Commission des affaires sociales par Michel Zumkeller, faisant état de symptômes « parfois très invalidants et pouvant bouleverser le quotidien des personnes malades », estimait alors le nombre de malades autour d’un million et poursuivait : « S’il appartient à la science d’apporter des réponses à ces questions et de proposer des solutions thérapeutiques, il revient au politique de reconnaître pleinement l’existence de ces symptômes et d’apporter une réponse globale aux difficultés multidimensionnelles rencontrées par les malades chroniques de la covid-19 […] Face à l’ampleur du phénomène, il devient urgent d’organiser une réponse sanitaire ambitieuse. Une première étape consisterait à recenser dans notre pays les cas de Covid long, sous toutes ses formes. […] C’est pourquoi, la présente proposition de loi prévoit la mise en place d’une plateforme permettant aux patients ayant développé des symptômes prolongés de se faire référencer ». Et l’avant-propos se terminait ainsi : « Cet outil permettrait en outre de faciliter l’orientation des patients et de limiter l’errance médicale, qui est à la fois coûteuse et chronophage. Les patients seraient alors pris en charge soit par leur médecin traitant dans le cadre d’un protocole déterminé, soit dans une unité de soins spécialisée pour les cas les plus graves. Les soins délivrés au titre des symptômes persistants de la covid-19 seraient intégralement pris en charge par l’assurance maladie et les complémentaires santé. […]. Ce texte n’épuise évidemment pas tous les leviers qu’il convient de mobiliser pour traiter le Covid long. Il est impératif de mobiliser tous les canaux de communication pour sensibiliser le grand public sur cette question, à commencer par les médecins généralistes dont une partie semble encore ignorer la variété des symptômes de même que les dispositifs mis en place par les autorités sanitaires ». S’agissant des patients présentant un état de santé sévère, le rapport préconisait une orientation « vers une unité de soins post-covid d’un établissement de santé. Dans cette hypothèse, les ARS [Agences régionales de Santé] devront veiller à ce que ces établissements disposent des moyens humains et financiers nécessaires afin de garantir une offre de soins rapide et personnalisée ». Le rapport dessinait ainsi un véritable plan de combat national et une voie sérieuse à mettre en œuvre par les pouvoirs publics.

Qu’est devenue cette loi ? Plus de 3 ans et demi après son vote, les décrets d’application ne sont toujours pas publiés ! Comment expliquer cette obstination de 5 gouvernements successifs à refuser de mettre en œuvre une loi de la république et ainsi à bafouer ouvertement la démocratie parlementaire ?

Soucieux de ne pas légiférer dans le vide, de nombreux parlementaires ont multiplié les « questions écrites » au Ministère de la santé. La réponse ministérielle systématiquement faite à ces parlementaires a été toujours la même, dressant un bilan gouvernemental très satisfaisant : 130 cellules de coordination ont été créées sur tout le territoire, les appels d’offre de recherche ont reçu de nombreuses réponses, 88% des personnes ayant consulté les sites en ligne officiels ont été satisfaites des informations ! S’agissant des unités Covid long créées, nombre d’entre elles ont fermé selon l’observation d’un de ces parlementaires (Olivier Falorni). Les malades de Covid long ayant recouru à ces cellules ont fait unanimement une expérience cruciale : quand ils parviennent enfin à en joindre une, elles délivrent des recommandations destinées au médecin généraliste sans assurer de suivi ultérieur ni ordinaire ni consécutivement à des relances de patients les ayant consultées. Conséquences : les patients doivent se débrouiller seuls avec, en première ligne, des médecins généralistes démunis face à une maladie aussi protéiforme. Condamnés dès lors effectivement dans ces conditions à une errance médicale accrue, ces patients ont le sentiment d’être délibérément négligés par les pouvoirs publics.

Datant de début juillet 2025, deux événements, l’un en France, l’autre à l’étranger, ont donné un peu d’espoir aux malades du Covid long. Le 2.07.2025, jugeant recevable une requête d’associations de patients du Covid long, le Conseil d’Etat remettait sur l’agenda politique la question des suites de la loi Zumkeller. Faisant référence à une réponse de la ministre C. Vautrin concernant des mesures diverses prises par son ministère, le Conseil d’Etat a considéré que ces mesures « ne peuvent être regardées comme les dispositions réglementaires qu’appelait l’article 1er de la loi du 24 janvier 2022 », que le retard de plus de 3 ans pour la publication des décrets « excède le délai raisonnable imparti au pouvoir réglementaire pour prendre le décret prévu par cet article », et prescrivait « au Premier ministre de prendre les dispositions réglementaires prévues par l'article 1er de la loi du 24 janvier 2022 visant à la création d'une plateforme de référencement et de prise en charge des malades chroniques de la covid-19, dans un délai de douze mois à compter de la notification de la présente décision ». De son côté l’Espagne a reconnu le 5.07.2025 officiellement le Covid long comme maladie chronique ouvrant la voie à une meilleure prise en charge médicale spécifique. Au regard des urgences pour les malades, les pouvoirs publics oseront-ils attendre juillet 2026 pour appliquer la décision du Conseil d’Etat ?...

Il est impératif et même urgent changer de braquet en France. Plus que jamais, il faut « mobiliser tous les canaux de communication pour sensibiliser le grand public » au service des malades du Covid long (rapport Zumkeller) et d’abord pour faire pression sur les pouvoirs public pour la publication rapide des décrets d’application et la mise en œuvre d’un contenu à actualiser. Au niveau national, ne faudrait-il pas mettre en place une haute institution (fondation, … ?) qui, durablement et conjointement, puisse penser et organiser recherches et soins, recueillir des fonds publics et privés et rendre compte publiquement et régulièrement des différents avancements ? Sur le terrain, en régions et départements, pour épauler le système médical public et privé en première ligne, créer, non plus des cellules d’aiguillages formels, mais dans les CHU des services spécifiquement dédiés aux soins pour le Covid long afin d’éviter les errances médicales des malades qui ont empiré depuis 2022 ? Enfin prendre les mesures de Sécurité sociale et de Mutuelles adéquates face à la gravité des situations des patients ?

Infectiologues, virologues, épidémiologues, cardiologues, neurologues, neuro-psychiatres, … sont à l’œuvre, des rencontres internationales sont annoncées, mais on en est encore hélas au temps des tâtonnements. Les thérapies spécifiques viendront : des institutions y travaillent, comme  l’Institut Pasteur en France. En attendant dans l’angoisse la mise au point de ces thérapies, les malades du Covid long continueront leur coûteuse (économiquement et moralement) errance médicale. Les pouvoirs publics français ne peuvent sacrifier des centaines de milliers de patients sur l’autel de politiques court-termistes, en l’occurrence de restriction budgétaire, le gouvernement du jour (le 6e depuis 2022 !) devra prendre à son compte de relever sans tarder le gant de l’injonction du Conseil d’Etat sur la loi du 24.01.2022 et agir dans l’urgence et au bon niveau. En ces temps de panthéonisation d’une figure de l’Etat de droit, il serait urgent que soit respecté l’Etat de droit dans le domaine de la santé.

Le 15.10.2025

Pierre Robert Baduel

Directeur de recherche honoraire au CNRS en sociologie politique

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