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Billet de blog 11 décembre 2013

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Classes préparatoires : un témoignage

Je viens tout juste de finir mes études. Entre le lycée, l’école d’ingénieur, le master puis la thèse en université, la classe préparatoire (math sup et spé) restera pour moi une expérience inoubliable et la plus enrichissante de tout mon parcours.

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Je viens tout juste de finir mes études. Entre le lycée, l’école d’ingénieur, le master puis la thèse en université, la classe préparatoire (math sup et spé) restera pour moi une expérience inoubliable et la plus enrichissante de tout mon parcours.

C’est avant tout un moment très particulier : de 8h au matin jusqu’à minuit, on ingurgitait des math avec grand maximum 30’ de répits par jour. Pour celui qui aime accumuler du savoir en masse, la prépa est un petit paradis, on vit uniquement pour cela, et pendant deux ans tous les moyens sont donnés, aussi bien aux profs qu’aux élèves, pour faire apprendre et apprendre. Et c’est une chance extraordinaire pour celui qui est prêt à mettre de côté tout le reste pendant deux ans : pour vous donner une idée, j’étais en internat, et durant la semaine on ne sortait pas de l’enclos du lycée.

Mais avant de parler spécifiquement des classes préparatoires, il faut savoir comment les futurs taupes sont choisies. Grosso modo, à mon époque, le candidat sélectionnait une liste de lycées (les classes préparatoires se trouvent dans les locaux des lycées publics). Chaque lycée recevait ensuite le dossier du candidat : si le dossier était accepté, la procédure s’arrêtait, si le dossier était refusé il était remis au lycée suivant dans la liste des souhaits du candidat.

Remarquez que j’ai reçu une réponse favorable avant de participer aux épreuves du bac : les prépas considèrent ici que ce diplôme est une pure formalité pour leurs futurs élèves.

Le lycée d’origine, ie. celui des études secondaires, comptait pour beaucoup dans la possibilité d’admission en classe préparatoire. En effet, ce qui est demandé dès le premier cours de mathématiques (en physique c’était moins vrai) en prépa est très au-dessus du niveau demandé aux bacheliers. Autrement dit, pour avoir une chance de succès en classe préparatoire, il vaut mieux avoir poursuivi des études dans le secondaire plus poussées que le strict niveau officiel (certains élèves de ma classe sup – 1ère année de prépa – avait déjà vu des notions qui ne sont pas inscrites officiellement dans le programme de terminal, mais qu’il convient d’avoir abordées pour appréhender sereinement la classe préparatoire). Ainsi, mes parents ont toujours porté une attention très particulière à mes études (ainsi qu’à celles de mes frères), et même si les finances ne suivaient pas toujours, ils ont très largement préféré nous placer dans le privé (de la 6è jusqu’à la terminale). Nous avions aussi parfois accès aux bourses (cela a été très variable) : dans une famille de trois enfants, avec un seul actif, la possibilité d’être admis au CROUS (bourse sur critères sociaux) est assez élevée : il faut savoir que l’échelon 0 vous permet d’entrer dans la catégorie des boursiers sans pour autant recevoir d’argent (c’est bon pour truquer les statistiques), car cela ouvre droit à des frais d’inscription gratuits ou encore à être prioritaire sur certaines listes d’attente (ce fut le cas pour l’internat en classe préparatoire, évitant d’engager des frais supplémentaires dans la location d’un appartement). Bref, pas besoin d’être pauvre ou de faire parti des classe populaires pour être boursier.

Or, les classes préparatoires connaissent assez bien les lycées et leur niveau, et y prêtent attention lors de leur sélection sur dossier : financer des études de prépa coûtent très chers, on minimise donc le risque d’abandon dès la sélection des candidats, en ne prenant que ceux qui ont le maximum de chance de réussir. Comme le nombre de postulants est très largement supérieur au nombre de places, cette politique de sélection peut s’appliquer sans vergogne. Bien que venant d’un lycée privé et ayant un très bon niveau (relativement aux critères du bac, j’étais parmi les meilleurs de mon lycée et j’ai passé mon bac sans réviser), j’ai été choisi à la marge (j’étais le seul de mon lycée dans ma classe, avec deux ou trois autres personnes dans les autres filières, tandis que d’autres lycées fournissaient un paquet d’élèves dans ma propre classe de 30 personnes). Il va sans dire que mon premier trimestre fut des plus difficile : je commençai bon dernier ma math sup, pour remonter un peu jusqu’à la vingtième place (sur ~30 élèves) dans mes bons jours à la fin du second trimestre.

C’est donc un premier point à savoir : notre niveau scolaire ne dépend pas uniquement de notre aptitude au travail (je vais y revenir) et encore moins de notre mérite, mais très certainement des établissements qu’on fréquente. Les professeurs des classes préparatoires le savaient très bien, et la sélection des candidats intégrait parfaitement cette logique en prenant en compte le lycée d’origine.

Petite anecdote sur le travail : j’ai déjà dit que j’avais passé mon bac sans réviser, de même mon bac blanc de physique m’a valu un 19 (salaupio de prof. il m’a enlevé un point parce que ma présentation était dégueulasse !). Je ne dis pas cela pour me vanter : je croyais être un cas isolé mais, dès le premier jour en classe préparatoire, je me suis rendu compte que nous étions beaucoup (pas tous ceci dit, loin de là…) à ne pas savoir ce que voulait dire “travailler” et à s’être baladé durant tout notre parcours scolaire. On peut dire que nous avions des facilités. C’est en classe préparatoire que j’ai découvert ce qu’était le travail (et quel travail ! de 8h à minuit je le rapelle). Ceci dit, il ne fait aucun doute qu’il y avait, dans ma propre classe, une reproduction de ce phénomène : certains n’avaient pas à bosser, comprenaient tout du premier coup… et était déjà plus ou moins présentis pour entrer à l’ENS (peloton de tête en spé étoilée).

Passons à un exemple illustrant assez bien la mentalité qui règne dans une classe préparatoire. Un des exercices, très redouté, des concours est bien sûr l’oral. Pour nous y préparer, nous avions chacun deux colles (ou khôlles) par semaine (par groupe de trois, pendant une heure, menée par un des profs). C’est un exercice qui, officiellement, permet de vérifier nos connaissances et notre capacité à restituer par cœur ce que nous avions appris en cours. Ce qui est déjà sujet à caution, en terme de pédagogie : on reproche d’ailleurs au système des classes préparatoires d’être trop ancré dans l’esprit des concours. En effet il suffirait d’avoir une excellente mémoire pour les réussir. Toutefois, cette analyse est sujette à caution : il n’y a aucune espèce de chance d’accumuler la masse de savoir énorme nécessaire à la réussite des concours. Il faut comprendre et assimiler ce savoir, et avoir des facilités pour, et ceci n’est pas une question de travail, ne s’apprend certainement pas en prépa, même si on y découvre quelques méthodes de travail efficaces. Ainsi, dans le cas des colles, on apprend à relever ce qui, dans nos cours, est important, et à reconstituer le savoir ex nihilo durant la colle (en mathématique, typiquement, on apprend les “clefs” : étape plus importante, plus originale aussi, dans une démonstration, tandis que les autres peuvent être facilement devinées avec un peu de pratique). Bref, je ne sais pas si je suis très clair : grosso modo, la classe préparatoire offre une excellente formation, et celui qui l’aborde de manière trop terre à terre (à savoir une préparation aux concours avec une masse énorme de savoir à apprendre) va se planter à tous les coups. Au contraire, ce n’est pas ce qui est attendu des élèves.

Les colles sont un exercice qui met en exergue ce point : elles représentent à elles seules une charge de travail impressionnante, et pourtant… ce qui est évalué durant cet exercice, n’est pas le savoir de l’élève, son travail, mais sa capacité à tenir face à la pression. En effet, beaucoup de professeur se croient dans le devoir (et certains s’en font un plaisir…) de pousser l’élève jusque dans ses derniers retranchements, avec la petite dose d’humiliation qui va bien. On a tous, ex-taupes, plus ou moins entendu des histoires d’élèves sortis en pleurs d’une colle. Il en est de même lors de l’épreuve de concours. C’est un point central du système prépa : la pression est maintenue à un tel niveau, que si je n’avais pas été “bien dans ma tête”, si je n’avais pas été parfaitement au clair avec la raison qui me poussait à poursuivre de telles études, si j’avais été préoccupé (par des affaires de famille ou d’argent par exemple), alors j’aurai eu du mal à survivre dans ce milieu là. Il faut vraiment avoir une grande confiance en soi (et pas mal d’égo) pour résister à l’humiliation des colles (ce n’est pas systématique, mais j’ai eu nécessairement à passer sur le grill à un moment ou un autre) et à la pression permanente (une charge de travail qui dépasse, et de très, très, très… loin ce que j’étais capable d’accomplir). À vrai dire, c’est le fait d’être en internat qui m’a permis de supporter tout ça : nous formions une bande plutôt soudée, nous avions compris que nous étions tous dans la même galère, et on s’entraidait énormément (on faisait systématiquement nos travaux en groupe de 4 ou 5, alors qu’officiellement on devait être deux maximum, officieusement les profs n’étaient pas dupes…).

Pour les concours : pas grand chose de plus à dire. Globalement les places sont comptées et les postulants nombreux. Personnellement, ça a été ma plus grosse déception : on apprend énormément en classe préparatoire, mais au final l’école d’ingénieur que j’ai suivi ne me demandait pas même la moitié de ce qu’il m’a été nécessaire de restituer durant le concours pour accéder à la dite école.

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