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Billet de blog 12 février 2013

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Discours à l’usage de mes enfants

Une soir d’été, la fraîcheur descend des étoiles ; vous palabrez avec quelques uns de vos bons amis, vous revoltez contre ce monde qui ne tourne pas rond, imaginez des solutions, partagez vos idéaux pour une meilleure société. Et bien ceci, “refaire le monde”, est l’acte le plus authentiquement politique qui puisse être !

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Une soir d’été, la fraîcheur descend des étoiles ; vous palabrez avec quelques uns de vos bons amis, vous revoltez contre ce monde qui ne tourne pas rond, imaginez des solutions, partagez vos idéaux pour une meilleure société. Et bien ceci, “refaire le monde”, est l’acte le plus authentiquement politique qui puisse être !

Moi, Humanité, proclame l’émancipation de tous les hommes. Ces hommes nouveaux, tout à la fois conscients d’eux-mêmes tant dans leur bestialité que dans leur excellence, conscients de la société tant dans sa nécessité pour la préservation du genre humain que dans sa capacité à surpasser la somme des individus, conscients de la nature tant dans les catastrophes qui les accablent que dans l’abris et la nourriture qu’elle leur procure, ces hommes alors, deviennent citoyens libérés. Ils brisent les chaînes qui aliènent leur esprit, exploitent leurs semblables, asservissent la nature.

Tout homme pour lequel il serait établi qu’il cherche, par quelques moyens que ce soient, à restaurer les anciens maillons pour faire esclaves ces semblables, détruire la force de leur raison, faire exclusivement sien la nature, alors, cet homme, sera qualifié de tyran. Et le tyran sera réputé avoir perdu la tête ; la société aura alors toute légitimité à faire effectivement rouler sa tête aux pieds de son corps inerte.

Ainsi, l’émancipation est réputée accomplie avec les consciences acquises, préalable à la victoire sur la servitude de l’homme–animal, le corps bestial satisfait et à jamais repu, assuré de sa survie ; la bête sociale est citoyen libre, soucieux de l’autre, responsable de la terre qui l’a vu naître et grandir. Hier encore enfant turbulent, adolescent parricide, le jeune adulte est. Le citoyen nouveau enfante une vie nouvelle, une société nouvelle, un monde nouveau.

L’esprit débarrassé de ses carcans, de ses preoccupations matérielles, peut vagabonder, se perdre, voyager au-delà de ce que le monde physique permet. L’exploration n’a plus de limites. Toutes les connaissances de l’homme sont accessibles à chacun, et chacun enfante de toutes les connaissances de l’homme. Les arts nouveaux fleurissent ; l’imagination débridée repousse les frontières de l’humanité ; les sensibilités s’épanouissent. Les puissances de l’esprit ne sont plus outil d’exploitation ; la raison devient maîtresse de l’humanité ; les libertés individuelles sont acquises dans toute leur étendue.

Le troupeau, instinct de protection de l’individu, est subblimé ; il est la société. Chaque être y participe ; il décide avec elle, il travaille pour sa perpétuation, il s’enrichit grâce à elle. Le devoir n’est plus le respect contraignant des droits de son semblable et de la société ; le devoir est la conséquence logique des droits, et les droits sont la cause naturelle du devoir. Plutôt que d’emprisonner l’esprit et le corps, la société les libère. Chacun place sa force vive au service de l’intérêt général, décrété comme objectif indépassable et atteint en tout lieu et en toute chose, son élaboration met à contribution toutes les intelligences ; la société devient action rationnelle matérialisée par les individus, pour les individus, et avec les individus.

La nature devient préoccupation de l’humanité. Elle la rend nostalgique, comme son berceau éveille ce sentiment chez un homme. La préservation du monde  et la préservation de l’espèce humaine se rejoignent ; l’intérêt général de la nature est l’intérêt général de l’humanité car celle-ci ne peut se perpétuer que seulement par l’équilibre de celle-là. La diversité naturelle devient source d’épanouissement de l’homme, objet de curiosité, moyen d’accomplissement, et de l’individu, et de la société toute entière. Ainsi l’univers est à l’image de l’esprit humain et l’esprit humain à l’image de la nature, supposés tout à la fois rationnels et sans limites.

L’intelligence de l’homme a créé la machine pour assurer sa survie et le servir. Ainsi défait de sa responsabilité, pour la première fois de l’histoire de l’humanité, le corps de l’homme peut se consacrer tout entier à l’avènement du citoyen libéré. Le travail n’est que la supervision des machines laborieuses et l’accomplissement des tâches qu’elles ne peuvent encore réaliser. Communément établi et également réparti, il n’occupe que la plus infime fraction du temps et des préoccupations du citoyen libéré. Grâce à la machine, les besoins naturels sont satisfaits au prix d’un travail minimum. La mère de toutes les peurs, celle de perdre la subsistance de son propre corps, est naturellement exilée du genre humain. Pleinement conscient de l’abondance, l’homme ne ressent plus le besoin de s’accaparer le monde matériel ; seule la propriété d’usage, la seule reconnue comme naturelle, persiste ; les autres formes de propriété sont solennellement abolies. C’est un événement historique que de constater que l’humanité toute entière, sans exception, n’est plus aliénée par son corps et qu’elle n’aliène plus la nature en la faisant sienne.

Il reste encore à se débarrasser du reste des chaînes illusoires, qui font croire que le travail est nécessaire et souhaitable. L’oisiveté est dorénavent la règle commune et admise par tous. Alors que le travail minimum et égalisé est institué, l’oisiveté occupe toute entière le reste du temps de l’homme. Elle n’est pas productive ; et elle procure à chacun des richesses infinies. L’oisiveté est sacralisée comme but ultime de l’humanité. Elle est toute entière consacrée aux loisirs du citoyen libéré. Selon le goût et les désirs de chaque individu, elle trouvera un bonheur inégalé à la connaissance humaine, aux arts, à la république.

Sciences naturelles et humaines, ainsi que philosophie deviendront activités pratiquées par tous. Car la raison n’est rien sans connaissances, l’homme aura à cœur d’instruire et de s’instruire. Ainsi, c’est sur la base d’une haute conscience du monde, de sa réalité que l’homme aura plaisir à exercer sa raison afin de repousser les limites du monde. À la fois réceptacle et producteur des savoirs, chacun pourra contribuer à la science commune, condition indispensable de l’émancipation de l’individu aussi bien que de la société. L’esprit, toujours en éveil, assimile, synthétise, construit afin d’augmenter sa connaissance individuelle. Mais, car rien ne se partage plus que les idées, la connaissance ne peut s’acquérir qu’en communauté. Ainsi l’homme aura à cœur de partager avec les moins instruits. L’oisiveté est alors la condition essentielle à la recherche du bonheur par les connaissances ; sans elle, l’homme trop occupé ne pourra s’investir dans ce qui lui paraîtrait alors superficiel. Au contraire, toute activité productive suplémentaire rendue inutile, il pourra alors cesser de se consacrer à des buts trop immédiatement futiles et vains. Il aura alors à cœur de se donner de hautes visées, et de produire et transmettre ses savoirs.

Parallèlement, l’oisiveté signera la renaissance des arts, sublimant la nature humaine, transposant ses émotions, ses envies, ses passions en réalisations concrètes. Car l’art est ce qui a été donné à l’homme pour communiquer ses sentiments à d’autres hommes, il ne peut avoir d’existence que populaire. Ainsi, là encore, l’oisiveté de tous est la condition nécessaire à la naissance d’un art réel. Car l’art est un message, ce message doit être créé par tous pour tous. L’art se doit donc d’être conçu, pensé, produit par et pour tous. L’art, loin de renier ce qui fait de l’homme une bête, est la condition nécessaire à toute civilisation pour pleinement subblimer la nature humaine. Ainsi, le sport devient l’art du corps, proche de la danse, de la performance et des jeux d’acteurs, tandis que les arts de l’image, animée ou non, de la musique, de la sculpture, architecture ou encore des jardins laisseront une place aux formes d’art que l’homme nouveau ne manquera pas d’inventer.

Enfin, sciences et arts, partage des savoirs et des sentiments, aideront l’homme à prendre pleinement conscience de l’autre, à la fois universellement semblable, et enrichissant de par ses différences. Il aura alors la préoccupation permanente de la collectivité qui, loin de l’obliger, enrichira ses propres perceptions et lui apportera une richesse culturelle infinie. Car l’homme seul n’est rien, la communauté organisée en démocratie est la réponse civilisée au penchant naturel de la bête sociale. Ainsi l’homme sera pleinement citoyen ; il prendra part aux décisions communes en supportant la contradiction. Et de la discorde naîtra la concorde par le débat, la discussion et le dialogue. La communauté aura l’échelle humaine qui interdit à l’homme de subir l’oppression d’un inconnu, elle prendra des décisions effectives et immédiatement sensibles, afin de concilier à la fois libertés individuelles et libertés de la communauté, condition nécessaire à la création d’un destin à la fois personnel et collectif, pleinement conscient et murement réfléchi, ainsi que la liberté le commande.

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