Ça y est ! Les socialistes au pouvoir ! Enfin sauvés de la droite ! Les socialistes peuvent se réjouir !
Mais pour quoi au juste ?
Pour le peuple, il devra encore attendre son heure. Aux conservateurs succèdent les conservateurs. Aux bourgeois décomplexés succèdent les bourgeois bohêmes. La révolution attendra son heure.
Et qu’est-ce qu’un bourgeois bohême ? Avant tout un progressiste. Il est de tous les combats. Particulièrement ceux qui accusent 40 ans de retard, éternels recommencements, jamais clos faute de volonté. Et quel plus noble idéal contre l’injustice que le féminisme ? Voyez-les, contants comme cochons, compter les députées [1]. C’est important ça, pour la lutte contre la société patriarcale, le nombre de députées. Pensez donc, quel message, quel symbole ! 80 % de smicards, qui sont des smicardes, vont sauter de joie. Allelouia ! Parce qu’il est comme ça le bourgeois bohême. Le symbole, c’est important. D’une importance inversement proportionnelle à ce qui lui en coûtera. Alors ? Quand il s’agit de réhausser drastiquement le SMIC ? C’est plus possible. Envolé le combat féministe. Non mesdames et mesdemoiselles. Un petit pas vers plus d’indépendance financière ? Ça attendra son tour. Un petit conseil, d’un homme : n’attendez pas qu’ils vous la donnent, allez la chercher avec vos dents. Et ne comptez pas non plus sur vos députées. Parce qu’elles ne savent pas ce qu’est le SMIC, faute d’avoir pu goûter à cette joie.
On en vient directement à la belle illusion construite par le socialisme bon teint. Combat de toutes les inégalités ! Féminisme ? évidemment ! Anti-racisme ? bien sûr ! Sociale ? Pas de réponse. Mais l’inégalité économique ? La plus criante, la plus brûlante, celle par laquelle découlent toutes les inégalités. Pas question ! Le nombre de députées ? c’est important ! Le nombre d’ouvrières et de salariées, députées ? aux oubliettes. Il faut dire que là on touche le plus directement le porte-monnaie… ou plus précisément le risque de voir le pouvoir politique confisquer par le petit peuple. Enfer et damnation ! Je disais donc, brave gens ! Si vous êtes femmes, sachez que vous aurez peut-être, un jour, moins de 0,002 % de chance d’être députée, une avancée indéniable pour le féminisme. Pour peu que vous êtes en plus noires, mesdames, vous pourrez quémander auprès des auto-proclamés socialistes un poste de ministre de la Justice. Le rêve. (NB: ça marchait aussi si vous êtiez à droite.)
Un beau poste de punching-ball. Après tout il faut bien donner un leurre à la droite vexée, raciste et réactionnaire, histoire qu’elle se défoule. Quel magnifique symbole que de donner en pâture une ministre noire. Et faire bloc autour ? Même la droite a été plus solidaire avec Rachida Dati. Un comble. Là encore on appréciera le message, on peut s’en prendre impunément à une personne parce qu’elle est elle, et parce qu’elle est noire. Double peine, la droite l’a rêvée, les socialistes l’ont mise sur un plateau. Ainsi on apprend que « la nécessité d’une riposte au bureau national du PS » doit attendre que « le député de Paris Jean-Christophe Cambadélis [ait] recueilli une large approbation ». Ça compte diriger le pays, et pour chaque appel à M. de La Palisse il faudrait l’approbation du PS ? Mais bordel ! Montez au créneau ! Criez-le, vociférez-le que ces cons de racistes devraient être trainés devant les tribunaux. Alors quoi ? Maintenant pour dénoncer un propos raciste il faut avoir une autorisation ? Quand la gauche a peur d’être elle-même… Quant à lire la stratégie défensive mise en œuvre ? « en laissant la droite toucher le fond. » Pour les malcomprenants : laisser faire. La stratégie prime sur les valeurs. Du sous-entendu raciste à l’état pur ? des millions de téléspectateurs témoins ? Réponse consternante : faut laisser faire. « Laisser faire », c’eut été un excellent slogan pour leur campagne. Pour ceux qui douteraient encore de la vacuité politique des socialistes : il faut « faire apparaître les divisions de fond qui fragilisent l’opposition » [2]. La stratégie prime sur les idéaux. Car comment faire apparaître les divisions, sinon en laissant s’exprimer les points de vue divergents ? Et tant pis si l’un est raciste. Divisons la droite ! On aurait attendu du socialiste qu’il fasse bloc derrière la droite républicaine, qu’il fasse fi des calculs d’appareil pour garder un paysage politique inodore. Mais pas question de renforcer la droite. Alors ? Le front républicain, qui l’a détruit le premier ? Naïfs que nous sommes ! On était habitué à une droite bête et méchante. Venu le temps de la gauche bête et cynique. L’une assume, décomplexée qu’ils disent, l’autre est hypocrite, réaliste qu’ils disent. Après ils viendront faire leur vierge effarouché, et pleurer que le FN monte. Tolérez le racisme, et étonnez-vous de son ampleur. Si le peuple est xénophobe, alors qu’en est-il des élites de ce pays… Car c’est bien de ça qu’il s’agit. Les moins de 15 % de français acculés servent de prétexte à la totalité de la classe politique, soit pour devenir franchement raciste, soit pour tolérer outre mesure. Il faut leur parler qu’ils disent, mais jamais comprendre ce qu’ils ont à dire. Une piste. Le Non l’emporte en 2005, un des axes de campagne de Le Pen est le refus de l’Europe. Mais à tomber aussi bas, aussi vite, avec une aussi faible proportion de français, a le mérite de montrer un chose : toute notre élite politique est prête à se convertir séance tenante. Mais il n’a jamais été question de remettre en cause l’Europe actuelle. Ils ont fait leur choix : ils préfèrent se convertir à la xénophobie et au racisme. Cette élite n’aspire qu’à une chose : sa propre perpétuation, sa propre conservation. De là son choix. Oui à l’Europe ultra-libérale, qui leur profite. Oui à la xénophobie, division des masses, qui leur profite.
Revenons donc à nos moutons. C’est-à-dire là où ça fait mal. Le porte-monnaie. Féministes de tout poils, n’espérez rien que du symbole de la part des socialistes. De la pâture au peuple. D’indépendance financière, il n’en est point question ! Pourtant la hausse du SMIC aurait été un premier pas dans la bonne direction. Mais puisqu’on vous dit que c’est pas possible ! Autre façon de dire « on veut pas ». Des miettes suffisent. Les élites intellectuelles voient dans le nombre de députées, le symbole, matière à contenter le bas peuple. C’est dire que l’intellectuel a toujours cru savoir ce que le peuple voulait, ses désirs et ses fantasmes. Mais. Mais l’intellectuel projette ici sa propre turpitude. En estimant le peuple avide de symboles, il ne fait que généraliser son cas, nullissime, sa propre négation du fond, à défaut de faits et d’actes politiques, pour ne laisser subsister que la forme. Il faut dire que dans sa position confortable, il s’en tape du SMIC, largement au-dessus. Bref, il se fait l’ambitieux zélateur de la propagande gouvernementale. Ou comment l’intellectuel se retrouve le dernier des imbéciles à gober les bonnes histoires destinées au peuple. Là c’est le couac : le peuple se rend compte de la supercherie. Alors l’intellectuel méprise le peuple, ce peuple qui ne veut plus l’écouter, ce peuple qui vote FN.
L’élite intellectuelle est une dangereuse crétine. La tête ? Elle l’a déjà perdu. Mais elle l’ignore. Ce serait un exercice de salubrité publique que de l’aider à s’en rendre compte, plus vite et plus définitivement.
Mais on aurait tort de croire qu’ils sont juste cons. Car ils évitent avant tout de parler de ce qui fâche. Car les intellectuels n’ont pas une mauvaise situation. Par définition. Donc de fait alliés objectifs de la caste bourgeoise, conservatrice. Rien à faire du bas peuple. Trompons-le, entubons-le, enfumons-le. Mais pas touche à nos pécules, à notre situation.
Et méfiez-vous d’un bourgeois qui vous parle solidarité. Entendez-y : charité. C’est-à-dire le strict minimum pour que vous fermiez votre gueule. Tout le jeu politique est là : la droite estime que plus de répression est tout aussi efficace, le socialiste préfère acheter la tranquilité. Et quand ils peuvent s’en tirer à bon compte avec un symbole, les deux ne s’en privent pas. Godillots ou godasses, Hollande trouvera toujours chaussures à ses pieds. Le féminisme est mort. Vive l’assemblée féminine !
Références
[1] http://www.mediapart.fr/journal/france/180612/un-petit-vent-de-renouveau-lassemblee-nationale
[2] http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/05/24/le-ps-organise-la-protection-rapprochee-de-christiane-taubira_1706381_823448.html