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"Pour les quatre prochaines semaines, nous ne savons rien", lâche dès le début de notre entretien Perrine Dequecker, la chargée de communication d’Aurore, une association qui vient en aide aux personnes en situation précaire. Sur le terrain depuis plus de 7 ans, elle s’inquiète des nouveaux visages qu’elle croise dans les centres d’accueil. Des visages qui sont ceux d’une précarité évoluant de manière galopante: "avant, nous accueillions surtout des hommes âgés en situation d’addiction. Aujourd’hui, il y a des femmes, des enfants, des mineurs isolés" explique-t-elle. Avant de poursuivre une sombre liste: "des personnes retraitées qui complétaient leurs revenus grâce à des petits boulots, des étudiants, des auto-entrepreneurs, des gens qui travaillaient en intérim, dans l’événementiel…".

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Depuis le premier confinement, une toute nouvelle population s’est retrouvée en difficulté du jour au lendemain. Aussi variée soit-elle, celle-ci présente toutefois ses caractéristiques propres. Premier point: ce sont plutôt des célibataires, des personnes seules, les couples ayant moins de difficulté à pallier aux manques financiers. Deuxième point, plus inquiétant encore: ce sont souvent des gens qui n’ont jamais été en situation de précarité et qui ne connaissent pas les dispositifs d’aides à leur disposition. "L’autre jour, au centre d’accueil du Carreau du Temple, j’ai croisé une vieille dame toute pomponnée. Ces gens-là ne savent pas vers qui se tourner, ils n’avaient jusqu’ici jamais eu à demander à manger", témoigne Mme Dequecker.
Pour remédier à cela, l’association revendique la mise en place d’entretiens avec des travailleurs sociaux afin d’accompagner et de prévenir sur les droits de chacun. La difficulté reste de réussir à capter l’attention de ce nouveau public en situation de détresse. Téo Faure, conseiller à la mairie de Paris dans la lutte contre l’exclusion, défend pour se faire une communication "grand public": "L’information va être diffusée sur les panneaux publicitaires de la ville de Paris. Il y a déjà eu 37 aides municipales pour lancer une campagne de communication à grande échelle". La bataille, dans une jungle d’aides publiques surchargée et souvent opaque, semble toutefois loin d’être gagnée.

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Vivre dehors plutôt qu’entassés
Une autre priorité pour les associations est de s’adapter à la situation sanitaire, en permettant notamment aux personnes accueillies de respecter la distanciation sociale et les gestes barrières. François Delfraissy, le président du conseil scientifique, mettait en garde sur cet enjeu début octobre en expliquant que le nombre de personnes infectées chez les SDF de la capitale était de l’ordre de 40% (contre 12% de la population générale). Résultat: la Halte Jeunes, un centre d’accueil parisien destiné aux 18-25 ans, a vu dernièrement sa fréquentation diminuer par peur du virus. "On voit plus de gens nouveaux, qui vivent ‘sur le fil’, mais les habitués viennent beaucoup moins. Globalement il y a moins de monde", rapporte une bénévole.

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Rester dehors, c’est donc le choix que font certains sans-abri pour se protéger du risque de contamination: "vous n’imagineriez pas l’état de certains de ces centres d’accueil, beaucoup de gens préfèrent être dehors plutôt que d’être entassés dans une pièce avec quatre ou cinq autres personnes", argumente Mme Sarr, une bénévole de l’association Solidarité et partage Jouy le Moutier.
Ce choix du vent et du froid en plein mois de novembre, c’est notamment celui d’Omar (le prénom a été modifié). Croisé dans le quartier de République, il explique que les espaces de repos auquel il était habitué sont de plus en plus difficiles d’accès: "les places sont réduites, il y a des roulements toutes les heures et au bout d’une heure on doit sortir du centre pour laisser sa place. On ne sait pas si les lits sont désinfectés, certains préfèrent rester dans la rue, à leurs ‘spots’ habituels".
Solitude exacerbée
Pour les sans-abri, la solitude ne date pas du confinement mais est un sentiment qui existe depuis toujours. Lorsque le monde continue de tourner, les SDF restent invisibles. Ce qui apparait toutefois avec les deux confinements, c’est la peur: "tout à coup, cette ville animée s’éteint et les sans-abri ne comprennent pas ce qui se passe car ils n’ont pas accès aux médias. La source d’information, c’est souvent le café du coin qui allume sa télé sur les chaines d’infos. Pendant le confinement, tout ça disparait et ils sont coupés du monde", relate Nicolas Hue, directeur d’établissements associatifs.
Aussi ironique que cela puisse paraitre, la mendicité se trouve également précarisée faute de contact humain. "De toute façon, même si les sans-abri croisent du monde pour les aider, aucun commerce n’est ouvert pour dépenser cet argent. Ils se sentent complètement délaissés", conclut M. Hue.
La crise sanitaire aura donc réduit les aides sociales basiques à des aides quasi humanitaires, alimentaires, et la plus grande préoccupation des hommes et des femmes sur le terrain est de n’oublier personne. On quittera tout de même le centre de la Halte Femme avec un soupçon d’espoir dans le coeur face à ce petit garçon qui fait plus de bruit que les autres. Il joue, il rit. Il doit avoir 10 ans.