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Notre voyage commence à l’angle de la 125ème et de Lexington Avenue, plaque tournante du trafic de drogue aux États-Unis. Contrairement à ses congénères, le photographe préfère s’y rendre une fois la nuit tombée, au moment où des silhouettes fantomatiques vagabondent en quête de K2 (un cannabis de synthèse cent fois plus puissant que la marijuana). C’est cette vie-là que Khalik Allah veut montrer, "avec considération" juge-t-il, contrairement aux caméras de surveillance qui sont d’ordinaire les seules à s’intéresser à cette ultime strate du peuple américain.

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En résultent divers portraits, tous plus énigmatiques les uns que les autres. Le photographe n’aime pas expliquer ce que suggèrent ses photos, elles-mêmes étant des "paroles visuelles" en soi: chacun doit vivre sa rencontre avec l’image et la personne représentée. S’il s’attarde toutefois sur ce cliché de Sapphire, fumeuse infatigable dont les yeux et le joint rougeoient sous un néon sans âme, c’est qu’il la connait de longue date. L’image est de 2013. Depuis, elle lui fait confiance et le laisse s’approcher, ce qui permet au spectateur de percer sa zone de confort, voire de partager avec elle cette espèce de quiétude contemplative lisible sur son visage éclairé. Que peut-elle bien regarder là-haut? À quoi peut-elle bien penser? Et surtout, qui aurait cru être capable de se sentir si proche d’une toxicomane? "Le plus grand danger, c’est votre propre peur", met en garde l'artiste, qui revendique une humanité existant jusque dans la folie.

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À 35 ans, celui qui a également réalisé plusieurs documentaires ne s’est jamais considéré comme un photojournaliste. Pourtant, ce sont bien des découvertes de l’autre que l’homme cherche avant tout à immortaliser. "J’utilise mon corps en guise de zoom" analyse-t-il, et avoue toujours chercher une forme d’accord, que celui-ci soit implicite ou explicite, avant de photographier: “lorsque j’approche quelqu’un, je recherche cette étincelle qui sommeille en lui et qu’il ne soupçonne même pas, car je veux prendre une photo ‘avec’ lui”. Grand humaniste, Khalik Allah n’a cependant rien d’un bête utopiste et reste sur ses gardes dès lors qu’il descend dans la rue. Il fait attention mais ne porte pas d'arme, comme c'est souvent le cas outre-Atlantique, n’a d’ailleurs jamais été attaqué jusqu’à présent. Pour l’instant le jeu en vaut la chandelle: le photographe a récemment été affilié à la prestigieuse agence Magnum Photos, qu’il pourrait officiellement rejoindre après une période d’essai de deux ans sous la tutelle d’un de ses membres. Chapeau l’artiste.
Série "125th and Lexington" réalisée par Khalik Allah. New-York, États-Unis.