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Billet de blog 15 décembre 2014

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Le patronat contre la démocratie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le patronat n’est pas content ! Les grèves tournantes du lundi qui connaîtront leur apothéose lors de la grève générale de ce lundi 15 décembre indisposent les organisations patronales comme la FEB (Fédération des Entreprises de Belgique équivalente du MEDEF français) et son pendant flamand, le VOKA.

Aussi, il réagit. Les médias diffusent les déclarations à la fois « guerrières » et de Calimero du « patron des patrons », Pieter Timmermans : les patrons ne se laisseront pas faire ! Les grèves font perdre aux entreprises (ces temples inviolables du capitalisme qu’il est convenu d’adorer sans restrictions mentales) des millions d’euros, des parts de marché. Bref, elles sont au bord de l’effondrement final. Bon ! C’est de bonne guerre et ce n’est pas nouveau. À chaque mouvement social d’une certaine ampleur, c’est la même rengaine.

Ces images prises à l'aube de ce 15 décembre montrent que la grève générale est un succès. (Visibles sur le site de la "Libre Belgique")

Ce qui est nouveau, c’est la tentative de porter atteinte au droit de grève en s’y attaquant par pression politique pour le faire restreindre par la loi et en tentant de le limiter par intervention des forces de l’ordre.

Pieter Timmermans le "Gattaz" belge. Aussi agressif et peu amène !

La première étape a échoué : il y a une semaine, 45 PME de la région de Charleroi ont déposé un référé auprès du tribunal de première instance de Charleroi pour empêcher les piquets de grève par la voie de la force publique, si nécessaire. Le juge n’a pas suivi les requérants.

L’action suivante consiste à inviter les bourgmestres (les maires) des communes où il y aurait des barrages de grévistes pour faire lever ces barrages afin d’assurer la libre circulation et surtout « la liberté du travail ».

La FEB n’a aucun pouvoir sur les autorités communales et, donc, n’a pas à leur donner des instructions. Elle n’est en rien compétente pour intervenir en matière de maintien de l’ordre. En plus, le rôle du bourgmestre consiste à être le chef de la police administrative, ce qui signifie assurer l’ordre public, la tranquillité et la salubrité publiques. Il agit dans le cadre de la loi et n’a aucun compte à rendre à une corporation quelconque. Aussi, bien des premiers magistrats locaux ont donné une fin de non recevoir aux patrons : ils sont en l’espèce seuls maîtres à bord ! Bien sûr, on a vu à la RTBF, la bourgmestre MR de Grez d’Oiceau – commune du très bourgeois Brabant wallon – déclarer qu’elle fera tout pour assurer la libre circulation sur le territoire qu’elle administre.

Le principe de proportionnalité est illégal.

Par contre, le ministre de l’Intérieur, le NV-A et sympathisant néo-nazi, Jan Jambon, a déclaré que les droits de grève et de travail sont deux droits fondamentaux qui s'entrechoquent pour l'instant. Et d'évoquer un principe de proportionnalité: il faut permettre l'accès au travail tout en respectant la grève.

« Pour les actions de ce lundi, je vais, en concertation avec le ministre de l'Emploi, suivre heure par heure si le principe de proportionnalité est bien respecté", a-t-il déclaré. « En cas de nécessité, je vais prendre les mesures qui s'imposent avec la police locale et la police fédérale ».

Jan Jambon ne doit pas trop vite crier victoire.

Le ministre de l’Emploi, le CD&V Kris Peeters tente au contraire de calmer le jeu et ne suit pas Jambon dans son raisonnement. Ni la Constitution, ni la Loi n’invoquent le soi-disant « principe de proportionnalité ».

En effet, ce principe reviendrait à permettre à l’employeur de juger de l’opportunité d’une grève. Ainsi, le patron d’une compagnie d’assurance a déposé plainte au tribunal pour « grève illégale », car le conflit portait sur la délocalisation de 400 travailleurs sur les 3.000 que compte cette société. Il arguait du caractère « disproportionné » de ce mouvement. Le tribunal l’a débouté.

En outre, il est inadmissible que la police puisse juger du caractère « proportionnel » d’une grève. Elle n’a pas à intervenir sur le fond d’une affaire. Ce serait contrevenir aux règles de droit et au droit international du travail garanti par l’Organisation Internationale du Travail.

Tout cela montre que la volonté de la droite est de limiter le droit de grève et à terme, interdire les grèves.

La FEB est sciemment méchante.

La FEB en a d’ailleurs ajouté une couche. Elle a publié un communiqué à l’intention de ses membres où elle invoque l’article 406 du Code Pénal qui est consacré à la liberté de circulation. La FEB cite cette disposition à sa manière : « Entraver sciemment la circulation ferroviaire, routière, fluviale et maritime est sanctionné par l’article 406 du Code pénal. Le droit de grève ne fait pas exception à cette règle. L’établissement de piquets de grève pour bloquer les routes constitue dès lors un acte répréhensible. » Or, l’article 406 n’utilise pas l’adverbe « sciemment » mais « méchamment ».

L’action des piquets de grève n’est pas « méchante » au sens où l’entend la loi et elle ne dit rien concernant l’aspect volontaire (soit « sciemment » pour la FEB). En plus, le caractère de « méchanceté » doit être établi par le juge.

Les "piquets de grève" n'entravent pas la circulation. Ici des militants de la CSC (syndicats chrétiens) tentent de convaincre un de leurs collègues de participer au mouvement.

Comme le précise l’avocat Alexis Deswaef, président de la Ligue des Droits de l’Homme, la FEB cherche à criminaliser les piquets de grève. L’affaire n’en restera d’ailleurs pas là. La LDH compte déposer plainte pour citation erronée d’une disposition légale.

Et on peut dire que c’est sciemment que la FEB se lance dans une campagne dure contre un mouvement social qui, manifestement, la dérange et qu’elle tente par là – vainement – de casser le rapport de forces.

Cependant, il y a une collusion manifeste avec le gouvernement. Comme l’écrit l’avocat Jan Buelens : « Que les employeurs s'opposent aux actions de grève et s'expriment à ce sujet est un phénomène répétitif. Cependant, que le gouvernement soutienne les employeurs constitue une étape supplémentaire qui compromet gravement les droits fondamentaux. Il remet en cause les principes de base démocratiques sans sourciller. »

Vers un nouvel article 310 ?

Et nous laisserons la conclusion au même Jan Buelens, avocat pour Progress Lawyers Network (1) : « Au 19e siècle, il n'y avait pas de droit de grève. Cependant, comme c'était le seul moyen d'obtenir des droits, on faisait tout de même la grève. À cette époque, les grèves n'étaient pas seulement brisées avec violence, mais aussi en engageant toutes sortes de briseurs de grèves. Lorsque le droit de grève a été reconnu après la Seconde Guerre mondiale, on a également interdit l'engagement de briseurs de grève par les employeurs. Aujourd'hui, certains employeurs flirtent avec cette interdiction en faisant appel à des intérimaires. Même si des personnes qui veulent travailler ne souhaitent pas forcément briser la grève, c'est ce qu'elles font objectivement. La grève a pour but de causer des dommages économiques de sorte que les rapports de pouvoir entre les employés et les employeurs ou l'état soient modifiés et qu'il y ait donc une possibilité de se concerter. Si le droit au travail doit être garanti à tout prix pendant une grève et que la grève n'est donc plus efficace, il n'y a plus de droit de grève. Si les activités de l'entreprise continuent, la grève sera inoffensive et l'employeur viendra même jouer aux cartes au piquet de grève ou manger une petite saucisse au barbecue. Dans ce cadre, parler de proportionnalité entre le droit de grève et le droit au travail en les mettant au même niveau, comme le font Jambon et le MR, revient à édicter un droit de grève.

Grève des mineurs et des sidérurgistes dans les années 1930 en France. Le droit de grève a été conquis de haute lutte.

Les propositions qui veulent reconnaître le droit au travail pendant une grève rappellent en effet l'article 310 du Code pénal supprimé en 1921. Selon la Constitution de 1830, on pouvait se réunir, mais les réunions d'ouvriers « qui se tenaient à proximité des usines et autour des usines et portaient atteinte à la liberté de travail » étaient interdites [par cet article 310].

Avec ce simple article, les ouvriers volaient en prison pour avoir exercé leurs droits fondamentaux. Un pays qui commémore la Première Guerre mondiale ferait mieux de s'attarder aux morts tombés pour la suppression de l'article 310. »

Pierre Verhas

(1) PROGRESS Lawyers Network est un réseau regroupant des bureaux d`avocats progressistes de Bruxelles, Anvers et Gand depuis 2003. Il est composé d’avocats, de juristes, d’étudiants, universitaires et de défenseurs des droits de l`homme en Belgique et à l`étranger. Il intervient dans quatre domaines: le droit social, le droit pénal, le droit des étrangers et le droit familial.

Aux cours des dernières années, des avocats de ce groupe ont notamment assuré la défense des travailleurs de la Sabena et celle de nombreux syndicalistes licenciés. PLN a introduit des procédures contre les livraisons d`armes belges au Népal et contre les transports d`armement vers l`Irak. Il a aussi collaboré au dépôt de la proposition de loi de l`organisation Objectif pour les droits égaux des étrangers. Pendant l`été 2003, une plainte a été déposée au nom de 17 victimes de guerre irakiennes contre le général américain Franks.

Le site de PLN est : http://www.progresslaw.net/

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