LES RÉGIMES ARABES ET ISRAËL
Il faut admettre ses défaites disait très justement Dominique Eddé lors d’une interview face à Edwy Pleyel.
De la défaite du Moyen-Orient et des régimes arabes, j’aimerais parler d’une façon qui nous est en quelque sorte interdite, pour évoquer le rôle de la création d’Israël dans ce processus. Interdite par le couperet : vous voulez supprimer Israël ?
En Égypte, le Mouvement des Officiers Libres s’est créé à la suite de la première et désastreuse guerre israélo-arabe de 1948 à laquelle ces officiers ont participé. Ils y ont vécu les conséquences de la corruption et du manque de direction militaire unifiée. Ilan Pappé décrit avec précision le déroulement de cette guerre ( La guerre de 1948 en Palestine, La Fabrique, 2000 ) à partir de documents de l’époque. Il y explique la supériorité des forces juives par la centralisation de leur commandement militaire, assuré par David Ben Gourion, face à des armées arabes venant de pays rivaux et plein d’arrières pensées politiques, avec des motivations souvent antagoniques, et dotées d’armes en mauvais état. Un des rares faits militaires honorables des Arabes durant cette guerre est dû à Nasser, qui y a été blessé physiquement et moralement. De retour en Égypte, il crée une organisation clandestine au sein de l’armée égyptienne, le Mouvement des Officiers Libres. Quatre ans plus tard, ces officiers libres prennent le pouvoir en Égypte en juillet 1952, y proclament rapidement la République, abolissent les partis politiques et créent un parti unique. Le pouvoir est concentré entre les mains du RCC, Revolutionary Command Concil, lui-même dirigé par Nasser.
Gamal Abdel Nasser et ses compagnons étaient des nationalistes sans doute pétris de bonnes intentions envers leur pays mais ces bonnes intentions se sont avérées insuffisantes pour diriger un pays. Les militaires ne sont pas qualifiés pour cela. Très vite l’existence d’Israël leur a servi de feuille de vigne pour masquer leur médiocrité en tant que dirigeants.
On ordonnait alors en Égypte que « nulle voix ne s’élève au dessus de la voix de la Bataille », لا صوت يعلو فوق صوت المعركة, slogan dont le poète Ahmad Fouad Negm a fait par la suite une très belle chanson militante pour le Cheikh Imam. La Bataille, c’était celle que l’on était censé mener contre Israël qu’on ne désignait que par « l’ennemi sioniste ». Tous les conflits politiques ou syndicaux furent réprimés derrière ce slogan.
Durant ma scolarité au Caire j’ai dû apprendre par cœur des dizaines de pages à la gloire du régime, allant de la « Victoire » de Port-Saïd en 1956 à la construction du Haut Barrage d’Assouan, à l’électrification des villages en passant par la mise en agriculture du désert. La Victoire était notre horizon. Tous les matins nous devions chanter, au moment de la levée du drapeau dans la cour du lycée un hymne intitulé « Allahou Akbar », appelant Dieu à nous donner la victoire.
Une chape a recouvert et rapidement emprisonné le pays. Le ciment de cette chape était et a toujours été l’évocation de « l’ennemi sioniste » et l’état de guerre proclamé.
S’inspirant du régime nassérien et à la faveur du panarabisme appelé par Nasser de ses vœux, des militaires ont par la suite pris le pouvoir en Syrie et en Irak puis en Algérie et en Libye, reproduisant les institutions et l’idéologie nassériennes, masquant aussi leur médiocrité et imposant leur dictat derrière la nécessaire lutte contre « l’ennemi sioniste ».
Ainsi, durant la seconde moitié du XXe siècle, l’existence même d’Israël, son soutien inconditionnel par les États-Unis et l’état de guerre permanent régulièrement entretenu a façonné ces pays arabes, a permis à de médiocres régimes militaires de se maintenir au pouvoir, qui à leur tour se sont ingérés dans le destin de leurs voisins comme le Liban ou le Yémen et qui ont tenté de chapeauter et de dévoyer la Résistance Palestinienne : n’oublions pas que c’est Abdel Nasser qui a créé l’OLP en 1964 comme les Anglais avaient créé la Ligue des États Arabes en 1945. Pour contrôler.
Il ne s’agit pas de faire porter un quelconque chapeau à Israël dans ces événements du siècle dernier, ce pays a lui-même été pris dans la tourmente qui a suivi sa création. Il a opté très tôt pour une politique expansionniste et militariste et a suivi la pente fatale du colonialisme, ce qui n’a pas arrangé les choses.
Au XXIe siècle, l’Irak et la Libye, ayant bénéficié d’importants revenus pétroliers avaient pu maintenir une certaine prospérité. Ce n’est donc pas par hasard que ces deux pays ont eu droit à un traitement spécial de la part des Etats-Unis et des ses alliés néoconservateurs sionistes. L’Irak a été entièrement détruit à l’issue d’une guerre justifiée par des mensonges éhontés en 2003. Il en a été de même pour la Libye qui fut détruite en 2011 par une coalition militaire internationale menée par les Etats-Unis et l’OTAN et à laquelle la France de Sarkozy a pris une part importante. Les deux autres régimes militaires arabes, en Égypte et en Syrie, ont maintenu leurs pays en état de totale faillite économique et sociale, la corruption y est loi et la répression des opinions politiques extrêmement sévère.
Israël a sans aucun doute bénéficié de la médiocrité et de la corruption des régimes arabes qui se divisent aujourd’hui entre ces dictatures militaires et quelques royaumes ou principautés guère plus démocratiques. Notons la passivité quasi totale de tous ces régimes face au génocide actuel de Gaza. Rien au delà de quelques déclarations indignées. Voire une collaboration ouverte entre le régime égyptien et Ie gouvernement de Netanyahu. Avant le 7-Octobre, ils étaient tous partants pour les accords dits d’Abraham concoctés par Trump en 2020, accords qui enterraient pour longtemps la cause palestinienne.
Pierre Wassef