On avait déjà vendu aux Français l’illusion qu'ils étaient les super-héros verts du Grenelle de l’environnement ; le coq gaulois dans son petit village allait sauver la planète à lui seul, il terrasserait l’empire du dragon CO2. Quelle présomption ! La Chine en rigole encore. Parce que l'avenir de la planète ne se joue pas dans la petite impasse de Grenelle. Il se joue dans les usines, à Pékin, New Delhi, Le Caire, Rio De Janeiro…
Et maintenant ils recommencent !
Ils veulent assurer la "transition énergétique". La transition énergétique de la planète ? Mais non ! Il ne s'agit que de la transition énergétique de la petite France.
Pourtant, lorsqu’il s’agit des émissions de CO2, le monde n'est qu’un seul pays. Nous sommes dans la même barque, la même felouque, la même jonque, le même drakkar ; sur la même planète.
Le sort futur de tous les états est maintenant lié par ces problèmes qui ont une dimension planétaire, le changement climatique, la sécurité énergétique, la sécurité alimentaire… Personne n'ose la fable de la ligne Maginot qui arrêterait le CO2 à la frontière.
La France pourrait, peut-être, vivre sobrement de vent et d’eau fraîche ; mais le changement climatique n’est pas un problème français, ou de telle ou telle nation, c’est un problème planétaire. La rue de Grenelle, est en réalité une impasse…
Et pendant que la petite France se donne l'illusion qu'elle sauve la planète, le monde va - et il va mal. Les émissions de CO2 de la planète entière continuent à augmenter, et à augmenter de plus en plus vite. En une seule année 2008, l’augmentation des émissions de CO2 de la Chine a dépassé non seulement nos misérables économies d’énergie, à supposer qu’il y en eût…, mais aussi nos émissions totales ! C'est dire combien d'éventuelles économies de consommation en France sont imperceptibles. Pendant que la petite France ou la petite Allemagne économisent petitement, les énormes pays en développement... se développent énormément. Les pays développés ne sont pas, ne sont plus, le nombril de la planète – et la gare de Perpignan n’est plus le centre du monde.
L'avenir ne dépend plus seulement des quelques privilégiés qui ont la télévision et qui ne coupent pas la veille de leur appareil ; l'avenir dépend aussi, de plus en plus, de la multitude de ceux qui n'ont pas de télévision, ni même l'électricité. Parce que tôt ou tard ils auront l’une et l’autre.
Lorsqu’ils mouraient de faim on les ignorait ; aujourd’hui ils commencent enfin à consommer… ils nous enlèvent maintenant le pétrole de la bouche, et nous découvrons avec appréhension qu’il va falloir le partager, dans la joie et la bonne humeur si possible. La Chine est maintenant le premier consommateur mondial de céréales, de viande, de charbon, d’acier, et depuis 2007 elle est le premier pays émetteur de CO2 sur la planète, et elle en émet de plus en plus. (Sachant que les pays riches sont en partie responsables du mauvais bilan vert de la Chine ; ils se sont acheté une vertu écologique en délocalisant leurs usines en Chine, ou ailleurs, se lavant ainsi les mains de leur pollution et de leur CO2…).
Ils avaient une chemise déchirée et délavée, eh bien ! maintenant ils peuvent acheter une nouvelle chemise toute neuve. Ils allaient à pied et rêvaient d’avoir un vélo, eh bien ! maintenant ils peuvent acheter ce vélo. Peut-être même un jour achèteront-ils une voiture… des milliards de tuyaux d'échappement ! Il s’est vendu 18 millions de véhicules en Chine en 2010 dont 13,76 millions de voitures de tourisme, 32% de plus qu’en 2009 ; la Chine est maintenant le premier marché automobile du monde, devant les États-Unis.
Ce n'est pas une raison pour leur faire la leçon du haut de nos 4X4, pour leur dire qu’à cause de ces petits vélos, à cause de ces belles chemises, la planète est en danger.
… Et pendant ce temps là, la France va se réunir pour penser, réfléchir, échanger, débattre et décider de transition énergétique...
Il en sortira des décisions, c'est-à-dire de pieuses résolutions, énergies renouvelables, efficacité énergétique, bla bla bla. Mais, considérons le cas de la Chine, le plus fort émetteur de CO2 aujourd’hui, dont les émissions continuent à augmenter vertigineusement ; s'il est un pays ou il est urgent d'agir, c'est bien en Chine. Imaginons donc d'y appliquer les merveilleuses solutions dont nous allons accoucher.
Les économies d’énergie ? Mais la Chine fait partie de ces pays où des foules de miséreux n’ont rien à économiser et sont avides de se développer et de consommer davantage.
Améliorer l’efficacité énergétique des machines à laver le linge ? Mais des centaines de millions de Chinois n’ont même pas – pas encore – de machines à laver le linge ; à peine ont-il une chemise à mettre dedans.
Rouler à vélo plutôt que de prendre la voiture ? Mais des centaines de millions de Chinois n’ont même pas – pas encore – de vélo.
Interdire les ampoules à filament ? Mais des centaines de millions de Chinois n’ont même pas – pas encore – l’électricité.
Construire des éoliennes ? Mais la Chine est déjà championne du monde dans ce domaine, comme dans tant d’autres ; elle est le numéro un mondial en termes de capacité éolienne installée… ce qui ne l’empêche pas de mettre en service une centrale électrique au charbon par semaine.
Construire des barrages ? Mais la Chine vient de construire le barrage des Trois-Gorges, le plus puissant du monde, et a d’autres projets ambitieux.
Manger moins de viande ? Mais des centaines de millions de Chinois n’en mangent presque pas – pas encore.
Le tri sélectif ? Une année de tri sélectif en France = 2 heures et 25 minutes d’émission de CO2 de la Chine.
On l’aura compris, l’illusion majeure est de croire que des merveilleuses solutions qui seraient peut-être judicieuses si la seule petite France était la planète entière, sont totalement vaines quand on les considère à l’échelle de la planète entière. Nous n'avons pas pris la mesure du monde, la France n’est rien – à peine 1,5 % des émissions mondiales de CO2. Les Français peuvent jeter toutes leurs voitures aux orties et rouler à vélo, ça ne sauvera pas la planète ; parce que pendant ce temps des milliards de Chinois, d’Indiens, d’Africains, de latino américains, etc., s'activent pour avoir bientôt une voiture, et aussi une machine à laver le linge et aussi des chemises à mettre dedans.
Les petits vélos français n'empêcheront pas la croissance des émissions de CO2.
C’est déprimant. Nous trions, nous éteignons consciencieusement la veille de la télévision, nous coupons l’éclairage en quittant une pièce, nous avons le sentiment de participer activement à l’amélioration du sort de la planète… et nous apprenons maintenant que tout cela est illusion, que la planète va et ira quand même de plus en plus mal..
Mais alors, que faire ? Continuer nos petits gestes inutiles, pour l'honneur ?
Continuons donc,pour avoir la conscience en paix. Mais il faut avoir la lucidité de reconnaître que ce n'est pas suffisant pour sauver la planète, qu'il faut trouver de nouvelles solutions.
Et le passage obligé de toute nouvelle solution est, comme au foot, comme dans tous les jeux d'équipe : ne pas jouer "perso" au fond de l'impasse de Grenelle ; les solutionselles ne peuvent passer que par des discussions internationales globales pour résoudre la quadrature du cercle : permettre à des milliards de terriens de se développer, tout en limitant quand même, un peu, si possible, les émissions de CO2.
Pierre Yves Morvan
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