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Billet de blog 6 juin 2014

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L’homo-ecologicus-no-gaspillus, le super-héros qui ne sauvera pas le monde

Les radars du navire-planète nous alertent, ils clignotent, ils s'affolent, ils rougeoient, ils signalent des obstacles droit devant. Il s'agit des icebergs du réchauffement climatique, de la pénurie alimentaire, de la pénurie énergétique... Pour contourner les obstacles, les défenseurs de l'environnement, pleins de bonne volonté, proposent toute une collection de recommandations. "Il faudrait manger moins de viande" ; "Il faudrait utiliser plus souvent la bicyclette, et non le 4x4" ; "il faudrait utiliser davantage les transports en commun…" Ce sont des recommandations de bon sens, nous les approuvons, sur le principe – ce qui n'est pas le gage d'une implication personnelle active. Mais ces recommandations de bon sens ne peuvent avoir aucun effet sur la trajectoire du navire-planète. D'une part, elles ne sont pas applicables à la grande majorité de la planète ; d'autre part, la toute petite minorité à laquelle elles s'adressent, n'est pas disposée à en tenir compte. Ces recommandations de bon sens ne sont en réalité que des vœux pieux, il faut des miracles pour qu'ils se réalisent.

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Les radars du navire-planète nous alertent, ils clignotent, ils s'affolent, ils rougeoient, ils signalent des obstacles droit devant. Il s'agit des icebergs du réchauffement climatique, de la pénurie alimentaire, de la pénurie énergétique...

Pour contourner les obstacles, les défenseurs de l'environnement, pleins de bonne volonté, proposent toute une collection de recommandations. "Il faudrait manger moins de viande" ; "Il faudrait utiliser plus souvent la bicyclette, et non le 4x4" ; "il faudrait utiliser davantage les transports en commun…" Ce sont des recommandations de bon sens, nous les approuvons, sur le principe – ce qui n'est pas le gage d'une implication personnelle active.

Mais ces recommandations de bon sens ne peuvent avoir aucun effet sur la trajectoire du navire-planète. D'une part, elles ne sont pas applicables à la grande majorité de la planète ; d'autre part, la toute petite minorité à laquelle elles s'adressent, n'est pas disposée à en tenir compte. Ces recommandations de bon sens ne sont en réalité que des vœux pieux, il faut des miracles pour qu'ils se réalisent.

 Ces vœux pieux mettent en évidence ce handicap, si répandu, de croire que la planète s'arrête aux limites du petit monde que nous voyons autour de nous. Les hommes de bonne volonté qui proposent ces recommandations vivent généralement dans un pays développé ; ils ont raison de dénoncer le mode de vie autour d'eux. Mais ils sont myopes, ils ne voient pas au-delà de leur petit monde, très minoritaire sur la planète. Les pays développés, c'est seulement un milliard de privilégiés – mais au-delà, dans le flou de la myopie, il y a six milliards de pauvres. Pour eux, les recommandations des hommes de bonne volonté sont surréalistes. Recommander d'utiliser la bicyclette au lieu du 4X4, c'est une provocation pour l'Africain qui rêve d'avoir une bicyclette ; demander de manger moins de viande au Chinois qui ne connaît que le riz, c'est une faute de goût, un manque de tact.
Des propositions qui ne s'adressent qu'à une petite minorité ne peuvent pas avoir beaucoup d'effet.

 Même pour les pays développés ces recommandations sont vaines. Elles sont parfaites d'un point de vue technocratique. Mais humainement, elles ne peuvent pas fonctionner. Parce que les hommes sont des hommes.

Par exemple : "Il faudrait ne pas gaspiller la nourriture". C'est parfaitement réalisable technocratiquement et techniquement ; nous disposons maintenant de merveilleux réfrigérateurs, avec de superbes labels écologiques "efficacité énergétique 2003/66/CE A++". Ce serait un comble de gaspiller de la nourriture avec de tels labels.

Et pourtant... Il suffit d'ouvrir la porte de ces merveilleux réfrigérateurs écologiques, pour y découvrir de la nourriture atteinte par les limites de l'âge, de la nourriture qui agonise, qui se meurt, qui se perd. Les pays développés gaspillent jusqu'à 50 % de leur nourriture, bien plus que lorsque les réfrigérateurs n'existaient pas. Le paradoxe n'est qu'apparent. Les pauvres gens n'ont pas de réfrigérateur, mais parce qu'ils sont pauvres ils mangent jusqu'à la dernière miette. "Il faut finir ton assiette" disaient les vieilles grand-mères. Mais dès que les pauvres deviennent moins pauvres, ils commencent à se permettre le luxe de gaspiller – au diable l'avarice, les avaricieux, et la planète.

Ce serait bien de mettre fin à ce gaspillage. Mais il y a loin du vœu pieux à la réalité. Nous ne vivons pas dans un monde idéal peuplé d’hommes et de femmes idéales, tous raisonnables. Un monde où au marché on n’écarterait pas un fruit parce qu’il est légèrement taché ; un monde où l'on cuisinerait exactement la bonne quantité de purée pour qu’il n’en reste pas dans les assiettes, même pas dans celles des enfants.
Ce monde idéal-là n’existe pas, ces gens-là n'existent pas. La planète ne sera pas sauvée par des vœux pieux qui s'adressent à des hommes qui n'existent pas. Ne rêvons pas, il faut faire avec ce qu’on a sous la main, avec les hommes tels qu’ils sont ; ce qui peut être très décevant. Ne rêvons pas que les hommes vont subitement muter en homo-ecologicus-no-gaspillus, raisonnables et économes, alors qu’ils ne le furent jamais autrement que par nécessité. Nos grand-mères qui accommodaient les restes et reprisaient les chaussettes n'étaient pas plus économes que nous aujourd’hui ; elles étaient tout simplement pauvres. Parions que nous continuerons à nous comporter comme toujours, en économisant sous la disette, en gaspillant dès la disette passée.

 Lorsque les vœux pieux ne fonctionnent pas, lorsque la frustration est grande, on peut être tenté de sortir l'arsenal des taxes, des interdictions, des tickets de rationnement... Taxe carbone, interdiction des SUV, etc. Ce sont éventuellement de bonnes idées, mais comment les rendre applicables alors que les hommes sont des hommes et non des homo-ecologicus-no-gaspillus ? La prohibition de l'alcool aux États-Unis dans les années 1920 1 ne fut pas une franche réussite. Quant à la tentation de changer, par la contrainte, les hommes tels qu'ils sont en des hommes nouveaux pleins de vertus nouvelles, il est prudent de tourner sept fois son bâton dans la main avant de s'en servir. Jusqu’à présent, ceux qui ont voulu créer un homme nouveau – Staline, Mao, Pol Pot... ont surtout créé de nouvelles catastrophes. Et des tickets de rationnement.

 Toutefois, ne soyons pas trop pessimistes, il y a encore une lueur d'espoir. Le super-gène du super-héro ecologicus existe vraiment, nous l'avons rencontré. Il s'exprimait autrefois chez les moines ermites, les bienheureux qui vivaient du vent du désert et de la rosée du matin. Aujourd'hui ils sont rares, c'est une espèce en voie de disparition, on n’en rencontre presque plus dans le désert.

Mais le gène a survécu, on le retrouve aujourd'hui chez une nouvelle espèce rare, les vrais écologistes. Ils ne vont pas jusqu'à pratiquer l’ascèse surhumaine de saint François, leur saint patron 2, qui avait épousé « Madame la pauvreté », qui vécut de rien et mourut de jeûne et de privation – mais ils tentent de vivre eux aussi comme des moines, ou presque. Hélas, pour eux aussi les vocations sont rares – ils sont trop peu nombreux pour avoir le moindre impact sur l'avenir de la planète. D'autant plus que ces ermites de ville ont un gros problème : convaincre leurs proches, leur conjoint, leurs enfants, leurs ados surtout !, de vivre eux aussi comme des moines – dans la joie et la bonne humeur ; ce n’est pas gagné ! D’autant plus qu’en face il y a la concurrence du téléphone portable, des vêtements de marque, et du deux-roues super-génial 3.

 La planète pourrait peut-être nourrir neuf milliards de mythiques homo-ecologicus-no-gaspillus, rationnels, non-gaspilleurs, mangeurs de graines et de peu de viande.
Mais elle ne peut pas nourrir neuf milliards d'hommes tels qu’ils sont, et de moins en moins pauvres.

1 Toutefois, le vin de messe restait autorisé.

2 Il faut un saint patron pour toute corporation. Une nouvelle corporation, étant apparue, celle des écologistes, l’Église catholique romaine a donc très naturellement entrepris de désigner un saint patron de l’écologie. Naturellement, parmi les nominés il y avait saint François d’Assise, celui qui parlait aux oiseaux et aux loups.
Il y avait également Harpagon, celui qui faisait beaucoup d’économies.
  Et le gagnant est … (suspense…)   Saint François d’Assise ! ! ! (Applaudissements !)
En 1979, Jean Paul II proclama saint François d’Assise patron céleste des écologistes.

3 Ce fut le grand problème d’Harpagon, champion des économies de consommation, écologiste émérite avant l’heure : il avait des enfants adolescents, qui voulaient bêtement vivre et consommer comme les autres enfants du siècle. 


Ce texte s'inspire du livre "Écologie, environnement... mythes et réalité"
D'autres extraits sur http://ecologie-illusion.fr/index.html

Le livre électronique :
- Format Kindle : https://www.amazon.fr/dp/B00J16STNO
- Format E-pub : https://play.google.com/store/books/details/Pierre_Yves_Morvan_Ameslon_%C3%89cologie_environnement_?id=2KmIAwAAQBAJ&hl=fr

 Pierre Yves Morvan

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