Dans le bon vieux temps, maman et papa Petit Poucet étaient si pauvres et désespérés qu’ils se résignèrent à aller perdre leurs enfants dans la forêt.
Mais dans le bon vieux temps, la forêt n'était pas tracée de sentiers où il fait bon se promener.
Dans le bon vieux temps, la forêt était surtout gros danger ; Petit Poucet avait peu de chances d'en réchapper.
Quant au petit Chaperon Rouge, il fit preuve d'une grande inconscience en s'aventurant dans la forêt.
Dans le bon vieux temps, même les enfants "bien nés" mouraient "naturellement". Montaigne, dans une éphéméride, décrit comme il eut lui-même à subir cette loi de la nature :
28 juin 1570 : Thoinette – « C'est le premier enfant de mon mariage » ... « Et mourut deux mois après ».
5 juillet 1573 : Naissance d'Anne. « Elle ne vécut que sept semaines. »
27 décembre 1574. Quatrième fille ; l'enfant « mourut environ trois mois après ; il fut baptisé tumultueusement, la nécessite pressant »
16 mai 1577 : une fille qui mourut un mois après
21 février 1583 : « Nous eûmes encore une fille qui fut nommée Marie, baptisée par le Sieur de Jauvillac, conseiller à la cour du parlement, son oncle et ma fille Léonor. Elle mourut peu de jours après. »
Une succession de drames ; mais si courante à cette époque que l'on constate que Montaigne n'en retient même pas un compte précis, ni même une grande "fascherie" :
« J'ai perdu deux ou trois enfants en nourrice, non sans regret, mais sans fascherie » (I, 14, 61).
... "Deux ou trois enfants"... Un de plus, un de moins... Il était salubre de ne pas trop s'attacher à sa progéniture.
La mort infantile touchait tout le monde. Bach eut 20 enfants, 10 d’entre eux seulement atteignirent l’âge adulte. Louis XIV eut six enfants (avec son épouse légitime…), seul le premier atteignit l'âge adulte. Les magazines people ne dirent rien de tous ces drames, parce qu’il n’y avait pas encore de magazines people, et parce qu'à l’époque il était naturel que les enfants meurent, même les enfants de stars de la musique ou de rois, pas de quoi en faire de gros titres.
Qui veut troquer un seul aujourd’hui contre deux hier ?
Pierre Yves