Nous luttons contre le CO2 depuis des dizaines d'années. Nous avons obtenu quelques succès : quelques économies d'énergie dans les pays développés, le tri des déchets, les éoliennes qui sont dans le vent et poussent comme des champignons, l'efficacité énergétique des moteurs qui s'améliore...
Mais ces succès ne sont que de la poudre au vent ; dans le même temps l'énorme consommation d'énergie sur la planète continue à croître. Pour des décennies encore, cette énorme consommation ne pourra être assurée que par ce que nous avons sous la main, ou plutôt sous le pied : les énergies fossiles. Les énergies renouvelables en sont incapables. Nous avons perdu la guerre du CO2.

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Les éoliennes produisent des mégawatts, c’est méga-impressionnant
Nous consommons des térawatts, c'est téra-impressionnant.
La véritable histoire de la lutte contre le CO2 n'est pas le conte de fée que chantent les revues bien-pensantes, ce n’est pas une success story verte, c'est la victoire en déchantant, la version verte du mythe de Sisyphe ; il pousse les énergies renouvelables, qui grimpent, qui grimpent... mais dans le même temps les besoins augmentent et le sommet s'élève, s'élève... et s'éloigne.
Les énergies renouvelables progressent.
Mais la consommation d'énergies fossiles croît plus vite encore.
On nous chante un merveilleux Grenelle de l'environnement, une merveilleuse "transition énergétique", qui content les exploits des nouveaux héros des temps modernes, les héros verts en bleu de travail qui bâtissent un avenir rose ; ils construisent de merveilleuses éoliennes, installent de merveilleux panneaux photovoltaïques, isolent merveilleusement les maisons. Bref nous vivrons longtemps et aurons beaucoup d'enfants.
Mais ce sont des fables, qui entretiennent le fantastique décalage entre nos illusions de petit pays développé, et la réalité de la planète dans son ensemble. La transition énergétique en France, c'est la transition énergétique des riches : un zeste d'énergies vertes, une pincée d'économies de consommation, etc... Mais c'est quoi la transition énergétique des pauvres ? Consommer moins, encore moins que rien ?
Rêvons ; imaginons que la France – au prix d'efforts héroïques – émette 10% de CO2 en moins (on est dans le rêve), ce qui se traduirait par une réduction de un millième des émissions planétaires ; lequel millième serait effacé en quelques jours par le tapis roulant planétaire qui nous emporte au rythme d'un accroissement mondial de 1,9 % chaque année. La France n’est rien ou presque, face aux énormes pays émergents et à leurs énormes besoins de développement. Ils sont six milliards. La France, c'est à peine 1,2 % des émissions mondiales de CO2, qu'elle réduise ou non ces 1,2 % ne change rien à l'avenir de la planète.
Il suffit de considérer la Chine, le plus fort émetteur de CO2 aujourd’hui, et d'imaginer d'y appliquer les "merveilleuses" solutions françaises, pour réaliser combien la transition énergétique du riche n'est pas la transition énergétique du pauvre, combien elle est inadaptée au monde grouillant et bouillonnant des pays émergents.
Des économies d'énergie ? Mais des populations entières, en Chine, n’ont rien à économiser ; économiser quoi ? Elles sont au contraire avides de se développer et de consommer davantage.
Améliorer l’efficacité énergétique des machines à laver le linge ? Mais des centaines de millions de Chinois n’ont même pas – pas encore – de machines à laver le linge ; à peine ont-ils une chemise à mettre dedans.
Rouler à vélo plutôt que prendre la voiture ? Mais des centaines de millions de Chinois n’ont même pas – pas encore – de vélo.
Développer le covoiturage ? Mais en Chine il faudrait d'abord développer le cocyclilettage, et subventionner les tandems.
Manger bio ? Mais le bio nécessite plus de terres, une denrée de plus en plus rare. La chine manque de terre, elle en achète là où c'est encore possible, en Afrique, en Amérique du Sud...
Interdire les ampoules à filament ? Mais des millions de Chinois n’ont pas – pas encore – l’électricité.
Ne pas utiliser de mouchoirs jetables ? Mais beaucoup de Chinois ont déjà un pouce qui fonctionne très bien 1.
Manger moins de viande ? Mais des centaines de millions de Chinois n’en mangent presque pas – pas encore.
Construire des éoliennes ? Mais la Chine est déjà championne du monde de l'éolien…
Construire des barrages ? Mais la Chine vient de construire le barrage des Trois-Gorges, le plus puissant du monde, et a d’autres projets ambitieux.
Sortir du nucléaire ? Mais la Chine, qui inaugure une nouvelle centrale au charbon chaque semaine, a surtout besoin de sortir du charbon. La construction de 34 réacteurs nucléaires a été approuvée, 26 sont en chantier.
Ceux qui ont la chance de vivre dans un pays développé, ils sont seulement un milliard, peuvent jeter toutes leurs voitures aux orties et rouler à vélo, ça ne sauvera pas la planète ; parce que pendant ce temps six milliards de Chinois, d’Indiens, d’Africains, de Latino-américains, etc., s'activent pour avoir bientôt une voiture, et aussi une machine à laver le linge et aussi des chemises à mettre dedans. Sans être des génies des mathématiques, on comprend que les petits vélos français n'empêcheront pas la croissance des émissions de CO2 ; on comprend que pour stabiliser les émissions de CO2 de la planète, il serait nécessaire que chaque "riche" économise "six", dans la joie et la bonne humeur, pour permettre à six pauvres de consommer chacun "un" en plus.
Chiche !
Les riches, penchés sur leur nombril, ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Ils ne voient pas que le CO2 de demain ne viendra pas seulement des privilégiés je-m'en-foutistes qui ont la télévision et qui ne coupent pas la veille de leur appareil ; il viendra aussi, de plus en plus, de la multitude de ceux qui n'ont pas de télévision, ni même l'électricité. Parce que tôt ou tard ils auront l’une et l’autre. (1,3 milliard de personnes n'avaient pas accès à l'électricité en 2012.)
Écologie, environnement... mythes et réalité (http://ecologie-illusion.fr/)
Pierre Yves
1 « Un gentilhomme français se mouchait toujours de sa main; chose très ennemie de nos usages. Défendant là-dessus son fait (et était fameux en bonnes rencontres) il me demanda quel privilège avait ce sale excrément que nous allassions lui apprêtant un beau linge délicat à le recevoir, et puis, qui plus est, à l'empaqueter et serrer soigneusement sur nous; que cela devait faire plus de horreur et de mal au cœur, que de le voir verser où que ce fût, comme nous faisons tous autres excréments. Je trouvai qu'il ne parlait pas du tout sans raison; et m'avait la coutume ôté l'apercevance de cette étrangeté, laquelle pourtant nous trouvons si hideuse quand elle est récitée d'un autre pays. » (Montaigne, Essais XXXIII)