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Billet de blog 4 juillet 2024

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Ceux qui ont pavé la route au Rassemblement national

Fort de ses 33% de voix, au premier tour des élections législatives anticipées, le Rassemblement national est sur le point de gravir les marches de l'Hôtel Matignon.Quels sont ceux qui ont pavé la route pour l'ascension du parti d'extrême-droite? Retour sur quatre décennies de collusions, d'alliances contre nature, et de compromissions honteuses, avec le parti fasciste.

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Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale française, suite à la victoire du Rassemblement national aux élections européennes,  on assiste à une véritable levée de boucliers des partis politiques de tous bords (union des gauches et écologistes, droite modérée et centristes), en passant par diverses tendances de la société civile, et les organisations des droits de l’homme, contre l’extrême droite, presque aux portes du pouvoir.

Ce que redoutaient tous les républicains, démocrates et antifascistes, est arrivé dimanche 30 juin : Le Rassemblement national et ses alliés ont dominé le premier tour des élections, avec un peu plus de 33% des voix, et 39 députés élus du premier coup, plaçant le Nouveau front populaire (NFP) en seconde position avec 27,99%, reléguant le parti présidentiel à la troisième place, avec un score de 20,83%. Désorientés et empêtrés dans des querelles byzantines, les partis politiques traditionnels peinent encore à trouver une stratégie unitaire pour contrer la foudroyante progression du parti lepéniste. L’observateur averti de la vie politique française depuis une quarantaine d’années, remarquera que la route qui a conduit l’extrême droite à sa consécration actuelle, lui a été laborieusement pavée, dès le début des années 80, et au-delà, par la quasi-totalité des présidents de la 5ème République: François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, et Emmanuel Macron.

Ceux qui poussent aujourd’hui des cris d’orfraie, appelant à longueur de meetings et de rassemblements, à « barrer la route » à l’extrême droite, ont sans doute la mémoire courte. Comment peuvent-ils oublier les tactiques et petits calculs politiciens, non dénués d’un certain cynisme, permettant à un parti fasciste qu’ils n’ont cessé de clouer au pilori et de qualifier d’ « antirépublicain » et d’« infréquentable », d’avoir une audience inespérée sur l’échiquier national, en devenant un parti comme les autres ? En effet, au cours d’élections successives, presque tous les partis de droite, de centre-droit, et de gauche, ont scellé, à un moment ou à un autre, des alliances contre nature avec le FN crée par Jean-Marie Le Pen en 1972. Des années plus tard, la dédiabolisation du Rassemblement national de sa fille, Marine Le Pen, s’inscrira également dans une logique de normalisation d’un parti autrefois honni.

Combien se souviennent encore de la « tactique politique » du défunt président François Mitterrand, pour reprendre la formule de Roland Dumas, son ancien ministre des Affaires étrangères, dans le but inavoué de diviser et d’affaiblir la droite aux élections législatives de 1986 ? Permettant de la sorte au FN, d’acquérir une notoriété, avec l’introduction du scrutin proportionnel, et d’avoir à l’époque, une représentation parlementaire, avec 35 élus. Une première dans l’histoire de la 5ème République. Pour ses contempteurs, Mitterrand a été «l’apprenti- sorcier » qui a sciemment favorisé la montée du parti d’extrême droite. À contrario, ses partisans n’avaient pas manqué de saluer en lui, le « chantre du pluralisme » et de la proportionnelle. Cette dernière, feront-ils remarquer, figurait déjà dans le programme du Parti socialiste. Dès lors, on n’a cessé de gloser sur cette « tactique » mitterrandienne, qu’il appartiendra un jour à l’histoire de trancher. Que dire de l’ex-président Jacques Chirac dont l’ancien parti, le Rassemblement pour la République (RPR), a promu en son temps, le Front national, à travers des alliances et des collusions de circonstance, lors des élections municipales à Dreux, en 1983 ? Pour lui, l’adversaire à abattre n’était pas le parti d’extrême droite, mais les socialo-communistes. « Je n’aurais pas du tout été gêné de voter au second tour pour la liste PRR-FN. Cela n’a aucune importance d’avoir quatre pèlerins du Front national à Dreux », déclarera-t-il, trouvant naturel la fusion des deux listes. Quant aux ténors du parti chiraquien, ils ne trouveront mieux que de féliciter les élus FN pour leur victoire. Enfin, le dérapage verbal anti-immigration de Chirac à Orléans en 1991,  « le bruit et l’odeur » (des immigrés Ndlr), sera interprété comme un appel du pied à Le Pen, et demeurera longtemps une tache indélébile sur le bilan de « Chirac l’Africain », tel qu’il aimait à se faire appeler.

De tous les présidents de la république, Nicolas Sarkozy a été celui qui a le plus œuvré pour la promotion et l’ascension de l’extrême droite, malgré sa volonté affichée de réduire celle-ci à une portion congrue. En droitisant son discours à l’extrême, et en reprenant à son compte les thématiques chères au FN, Sarkozy espérait bénéficier des reports de voix des militants extrémistes, notamment, au cours de ses campagnes de 2007 et 2012. Il ira encore plus loin dans sa collaboration avec Le Pen, s’aventurant sur ses plates-bandes, et puisant dans la logorrhée habituelle du FN, comme : le respect de la laïcité dans les piscines et dans les cantines scolaires, la dénonciation de la viande halal et de l’Islam, et enfin, les diatribes contre l’immigration qui menacerait, d’après lui, la République et le mode de vie des Français. La création d’un « Ministère de l’immigration et de l’identité nationale » dont les prérogatives sont une copie intégrale des propositions de l’extrême droite, avait fini par convaincre du pas de deux de Sarkozy avec le FN. « Si certains n’aiment pas la France, qu’ils ne se gênent pas pour la quitter », claironnera-t-il dans un meeting. Ce qui n’a pas échappé à Le Pen, qui s’est empressé d’ironiser sur le « copié-collé » du candidat de l’UMP, toujours à l’affût du siphonage des voix de son parti. Le Pen lui fera d’ailleurs remarquer que : « les Français préféraient l’original à la copie ». Nonobstant le clin d’œil persistant de Sarkozy au leader frontiste: « Si Jean-Marie Le Pen dit que le soleil est jaune, dois-je affirmer qu’il est bleu ? » déclarera-t-il. La loi mort-née, dite : « immigration choisie » et non « subie », une vielle promesse de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, n’était ni plus ni moins qu’un autre décalque du programme du FN. Élu plus tard à l’Elysée, et confronté aux réalités économiques de la France, il dut opérer un virage à 180 degrés. Désormais, l’objectif du nouveau président consistera à « faire progresser l’immigration économique ou la maîtriser ». Le Pen a dû apprécier le revirement de son partenaire de circonstance.

À l’instar de ses prédécesseurs promettant de contenir l’influence de l’extrême droite, Emmanuel Macron et ses partisans opteront à leur tour pour la normalisation politico-médiatique et la dédiabolisation du RN de Marine Le Pen et Jordan Bardella. À force de prendre pour cible les partis de gauche, en particulier la France Insoumise et son dirigeant Jean-Luc Mélenchon, Macron a permis au RN son entrée triomphale à l’Assemblée nationale, à l’élection de juin 2022, avec 89 députés sur577. Érigeant ce parti en premier parti politique de France. En choisissant également de durcir les droits fondamentaux de séjour et d’intégration des étrangers, la très controversée « Loi immigration », d’inspiration lepéniste portée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, un proche de Nicolas Sarkozy, sera à juste raison perçue comme un gage donné à Marine Le Pen qui ne boudera pas son plaisir en clamant « sa victoire idéologique », dès l’adoption finale de la loi inique qui était d’ailleurs loin de faire l’unanimité dans les rangs mêmes du parti présidentiel.

Certains médias ne sont pas en reste, en ce qui concerne l’apologie des partis d’extrême droite. C’est le cas des médias «mainstream» contrôlés par le milliardaire breton, Vincent Bolloré, dont les journalistes ont transformé l’empire médiatique en caisse de résonance des partis extrémistes comme Reconquête d’Éric Zemmour, et le Rassemblement national de Marine Le Pen. D’après la journaliste de RFI, Aurore Lartigue, Bolloré a mis son groupe « au service de son projet politique ; une croisade contre l’immigration et l’Islam, à la fois libérale et réactionnaire. On comprend pourquoi, certains journalistes opérant sur les chaînes bollorisées (CNews, Europe 1, etc…), contre toute règle déontologique, avaient ouvertement laissé éclater leur joie, à l’annonce de la victoire du RN, le 9 juin dernier. Ne susurre-t-on pas d’ailleurs, que c’est Vincent Bolloré lui-même, qui aurait « orchestré en coulisse », le rapprochement du RN avec le président sécessionniste des Républicains Éric Ciotti ? Bolloré qui n’a jamais fait mystère de sa couleur politique, confiait, déjà à l’élection présidentielle de 2022, qu’il préférait voter pour Zemmour que pour Macron. En réalité, observe encore Aurore Lartigue, c’est depuis plusieurs années que la galaxie médiatique de Bolloré travaillait à dédiaboliser l’extrême droite, à banaliser ses idées, et à stigmatiser les personnes étrangères en France.

Les mêmes qui ont introduit le loup dans la bergerie, crient aujourd’hui, sans vergogne, au loup. Le péril étant quasiment en la demeure à quelques jours du second tour, il faudra saluer l’amorce d’un véritable front unitaire, démocratique, et antifasciste, consécutive aux centaines de désistements, seule stratégie pour faire barrage au RN et l’empêcher d’avoir la majorité absolue à l’assemblée nationale le 7 juillet prochain. Cependant, Il est déplorable de constater la position de quelques irréductibles partisans de la scabreuse logique du « ni-ni », soutenue par la droite traditionnelle et le Centre. S’y ajoutent, la confusion entretenue, ainsi que leurs palinodies, au sujet d’un probable Premier ministre de la France Insoumise présenté comme un épouvantail : au grand profit du Rassemblement national. Ceux-là prennent ainsi la responsabilité historique d’être complices d’un gouvernement issu d’un parti haineux, raciste et xénophobe, en lui confiant le destin de la France.  Souvenons-nous : le 10 juillet 1940, le parlement français accordait les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, alors Président du conseil -l’équivalent actuel de premier ministre - , qui scellera la honteuse collaboration d’État avec le 3ème Reich allemand, incarnation de l’idéologie dont se réclament aujourd’hui, les éléments les plus radicaux, adossés au Rassemblement national. On sait ce qu’il advint du sort de la France pendant les six années de plomb, sous la botte nazie. Ironie de l’histoire, en cas de majorité absolue, un autre Premier ministre (d’extrême droite), Jordan Bardella, pourrait occuper, 84ans après, le fauteuil du Maréchal Pétain, pratiquement aux mêmes dates : entre les 8 et 10 juillet 2024. Qui avait dit que l’histoire ne se répète jamais, qu’elle ne fait que bégayer ?

Lawoetey Pierre AJAVON

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