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Billet de blog 7 avril 2022

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L'Afrique s'invite dans les élections présidentielles françaises.

Rien de ce qui se passe dans la "Mère patrie" ne laisse indifférents les Africains du pré carré francophone. Surtout lorsqu'il s'agit d'une élection présidentielle. Même si celle-ci ne les concerne pas directement - contrairement aux bi-nationaux, les Africains se sont toujours passionnés par l'élection d'un président français.

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Quelle place les candidats accordent-ils à l’Afrique dans leur programme ?

Habituellement, l’élection présidentielle dans l’ex-puissance tutélaire a une résonance toute particulière dans les anciennes colonies françaises d’Afrique où elle est scrutée avec beaucoup d’attention et vécue, avec une frénésie ou une placidité rassurante, autant par les sociétés civiles que par leurs classes dirigeantes. À l’inverse, pour peu l’on s’intéresse aux programmes des candidats à la présidentielle, force est de constater que ceux-ci, dans le meilleurs des cas, ne réservent qu’une place marginale à l’Afrique, au pire, les problématiques africaines sont abordées à travers le prisme déformant de certains médias hexagonaux qui ressassent continuellement des lieux communs. Autre remarque, et non des moindres, les programmes et propositions des uns et des autres semblent être concoctés par des équipes ou cabinets « d’experts », dont la plupart n’ont qu’une connaissance partielle ou partiale des réalités africaines.

Au cours des trente dernières années, certains candidats ont pris la peine de parcourir le continent, officiellement pour aller à la rencontre de leurs compatriotes expatriés résidant principalement dans les pays francophones au sud du Sahara et en Afrique du Nord. Cependant, le but - souvent in avoué - des candidats en campagne est de s’assurer la fidélité des dirigeants africains, ou tout au moins, les rassurer, en ce qui concerne leur propositions pour l’Afrique, s’ils étaient élus ou réélus. Cela ne peut en être autrement dès lors que les ex-colonies françaises constituent une des pièces maîtresses du dispositif diplomatique de la France pour son influence et son rayonnement culturel, politique, et surtout, la défense de ses intérêts stratégiques et économiques dans cette partie du monde. Aussi, les candidats mettent-ils un point d’honneur - chacun en fonction de sa couleur politique, à dérouler leur programme pour l’Afrique, en développant les thèmes qui font souvent écho aux problématiques de la politique intérieure française : l’immigration, la place de l’islam, le vote des étrangers etc. Cependant, les sujets complexes, plus engagés, mais moins récurrents tels que l’aide au développement, la question de la dette, le franc CFA, la Françafrique, le néocolonialisme, pour ne mentionner qu’eux, ne figurent que subsidiairement dans les programmes de plusieurs candidats, en dehors des prises de positions assez tranchées et radicales des représentants des partis d’extrême gauche ( Lutte ouvrière, parti communiste, La France insoumise).

La présidentielle de 2022 n’a pas dérogé à la règle, en ce qui concerne la vision globale des principaux candidats sur l’Afrique. À l’instar des précédentes campagnes, à quelques exceptions près, les propositions des prétendants à l’Élysée apparaissent comme une sorte de recyclage de celles qu’ils n’ont cessé de ruminer depuis au moins deux décennies. Une brève synthèse de ces propositions est assez révélatrice à cet égard.

La plupart des candidats de gauche et d’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise), Nathalie Arthaud ( Lutte ouvrière), Fabien Roussel (Parti Communiste), Philippe Poutou (NPA), s’accordent tous pour dénoncer les privilèges des «oligarchies » et la « domination des pays riches sur les économies des pays autrefois colonisés par la France », avec le soutien des partisans du colonialisme et de l’impérialisme. Pour y remédier, ils suggèrent un renforcement de la coopération entre les peuples fondée sur leur souveraineté réelle, ainsi que « la fin des accords économiques dévastateurs » et la suppression du franc CFA. Mais, de tous les candidats de gauche, l’Insoumis est l’un des rares « dont le programme ne se limite pas au phénomène de l’immigration », note l’hebdomadaire « Jeune Afrique » du 12 janvier 2022. En campagne à Ouagadougou (Burkina Faso) en juillet 2021, il propose de changer les rapports paternalistes de la France avec les états africains .Son discours reprend les thèmes majeurs de son ambitieux programme pour l’Afrique, en nette opposition avec celui de ses adversaires : l’accès plus facile aux visas, la régularisation des travailleurs, l’institution d’une carte de séjour de dix ans, la fin des opérations militaires au Sahel, l’annulation des dettes pour certains pays africains, la maîtrise exclusive de leur monnaie par les Africains eux- mêmes.

L’actualité aidant, la quasi-totalité des candidats de gauche se disent favorables au retrait des troupes françaises du Sahel, ainsi qu’à la « révision des traités de défense passés ». Ils sont rejoints en cela par quelques candidats souverainistes comme Jean Lassalle et Nicolas Dupont-Aignan et par le candidat écologiste Yannick Jadot qui promet, s’il est élu, de développer avec l’Afrique « un partenariat solidaire » qui privilégierait les dons aux prêts. On remarquera enfin l’impasse des sujets sur l’Afrique dans le programme de la candidate du parti Socialiste, Anne Hidalgo.

Quant aux candidats de droite et d’extrême droite, leurs propositions mettent plutôt l’accent sur la restauration de l’image et de l’influence - en perte de vitesse de la France en Afrique. Si la représentante du LR, Valérie Pécresse, reste assez superficielle en recommandant de « rebâtir l’Afrique pays par pays », et de « développer un partenariat fondé sur le respect et la liberté des peuples », le candidat du parti Reconquête, l’extrémiste de droite Éric Zemmour lui, veut « mettre fin à la repentance coloniale » en promettant un soutien aux « États qui maîtrisent les flux migratoires ». Seule Marine Le Pen a tenu à marquer sa différence par rapport à ses concurrents. L’absence de l’ Afrique de ses 22 propositions de campagne n’empêche pas la dirigeante du Rassemblement National de revenir sur ses thèmes favoris dans un dossier où elle aborde, comme à son habitude, la question de l’islam, et surtout, de l’immigration qu’elle considère comme l’un des défis du 21 ème siècle et qu’elle entend contrôler en consultant les Français par référendum. Suggérant entre autres, la suppression du droit du sol pour les enfants nés en France de pères étrangers, l’expulsion des clandestins et criminels étrangers, l’interdiction du port du voile dans l’espace public, mais pas de la kippa, etc.

La Françafrique au centre du débat pour les élections présidentielles.

Le thème de la Françafrique n’est que marginalement abordé dans la campagne électorale cette année. Seuls Philippe Poutou et Jean-Luc Mélenchon ont réclamé sa fin. En visite de campagne au Burkina Faso en juillet 2021, le leader de La France Insoumise a plaidé pour la fin effective, non seulement de la Françafrique, mais aussi de l’impérialisme.

Bien que le sujet ne fasse pas partie des préoccupations immédiates des candidats, il n’a jamais cessé de revenir sur le devant de la scène à chaque élection présidentielle.

On se rappellera la diatribe de Marine Le Pen au cours de sa campagne présidentielle en mars 2017, lorsqu’elle fut reçue en audience par le défunt président tchadien, Idriss Déby, et où elle dénonçait la Françafrique, qualifiée de « réseaux de corruption criminels et néocolonialistes », ajoutant au passage que le diktat monétaire imposé par la France aux pays africains utilisateurs de franc CFA empêchait leur réel développement. On remarquera cependant que, comme ses adversaires, elle n’en restera pas moins dans la logique de cette Françafrique qu’elle a beau jeu de dénoncer. Le premier à promettre de mettre fin à cette nébuleuse politico-mafieuse, fut Nicolas Sarkozy, en campagne présidentielle au Bénin en 2006. Il déclarait à l’époque, vouloir « tourner la page des complaisances, des secrets, des ambiguïtés, et de cesser de traiter indistinctement avec les démocraties et les dictatures […]». Élu président, on sait ce qu’est devenue cette promesse. Le candidat François Hollande dont le slogan de campagne était «Le changement, c’est maintenant», n’avait-il pas lui aussi promis de « répudier les miasmes de la Françafrique et rompre avec l’arrogance, le paternalisme, les collusions douteuses ou les intermédiaires de l’ombre qui ont terni la relation entre la France et l’Afrique […].», s’il était élu ? Le même Hollande, on s’en souvient, dès son élection, s’était empressé d’ouvrir grandement les portes de l’Élysée à certains autocrates africains, et de renouer avec l’interventionnisme armé sur le continent, comme au Mali et en Centrafrique, lorsque ceux-ci étaient dans l’incapacité de faire face à ce phénomène djihadiste. Une légitime et urgente intervention pourrait-on dire, mais un prétexte politique évident pour se dédire. Emmanuel Macron avait, lui, bénéficié d’un préjugé favorable auprès de la jeunesse africaine qui n’a eu aucune peine à s’identifier au jeune président, né après les indépendances, et qui, au cours de sa campagne présidentielle, avait donné le ton en stigmatisant à Alger, la colonisation qualifiée de « crime contre l’humanité ». Il déclarera plus tard : « il n’ y a plus de politique africaine de la France ». Au- delà des belles paroles, Emmanuel Macron a prouvé aux Africains que ses promesses sur la fin effective de la Françafrique ne sont que des vœux pieux. L’ancien ministre de l’Intérieur feu Charles Pasqua, ne disait-il pas en son temps que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient» ? On comprend depuis, la méfiance des jeunes du continent à l’égard de celui qui avait annoncé, comme les autres, sa volonté de rompre avec la nébuleuse de la Françafrique, et « d’établir d’autres rapports plus sains avec l’Afrique ». En invitant la frange la plus dynamique de la société africaine et sa diaspora au 28 ème sommet France-Afrique d’octobre dernier, - fait rarissime, sans les chefs d’états, le président-candidat Macron ne cherchait-il pas, par ce geste, à se réconcilier avec la jeunesse plutôt désabusée au moment où il sollicite un second mandat ?

Ces présidents africains financeurs occultes des campagnes présidentielles.

C’est bien connu, les campagnes présidentielles françaises ont toujours donné lieu à de grands déballages, aux révélation et coup bas de la part des candidats rivaux. De Georges Pompidou, en passant par Jacques Chirac, Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy, et Jean-Marie Le Pen (et sa fille Marine), personne n’échappe à ce que le général de Gaulle appelait « les boules puantes ». Les accusations de financements occultes de campagne des prétendants au fauteuil élyséen par des réseaux politico-mafieux françafricains ont ainsi fini par polluer la vie politique française sous la Cinquième République. D’après le fantasque avocat Franco-Libanais, Robert Bourgi, ancien conseiller officieux de Nicolas Sarkozy, des valises d’argent et des « djembés » (tam-tam) bourrés de milliards de francs CFA ont régulièrement circulé entre certaines capitales africaines et le palais de l’Élysée, au profit de plusieurs présidents français, dont Nicolas Sarkozy. Ce dernier, ajoute également l’avocat, aurait surtout bénéficié des largesses du président du Gabon, Omar Bongo, en présence de Jacques Foccart, l’ex-conseiller du général de Gaulle pour les Affaires africaines, pour financer sa campagne électorale. Robert Bourgi confesse avoir lui-même servi d’intermédiaire pour le transport des sommes « incalculables » au bénéfice de plusieurs présidents français en campagne électorale. Quatre anciens chefs d’état africains et un en exercice seraient les généreux donateurs : Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire), Omar Bongo (Gabon) et Denis Sassou N’Guesso, (l’actuel président du Congo-Brazzaville). Dans la foulée, le porteur de valises accuse pêle-mêle Jacques Chirac et l’ancien premier ministre Dominique Villepin d’avoir aussi été stipendiés par des dirigeants françafricains, « amis de la France ». Même le fondateur du Front National, Jean-Marie Le Pen, n’a pas été épargné par les révélations de celui qui a avoué être subitement « pris de remords », après plusieurs années de bons et loyaux services rendus à ses maîtres installés à l’Élysée. Evidemment, tous les mis en cause ont nié les faits et décidé de porter l’affaire devant la justice. À noter que cette histoire de financements occultes a coïncidé, à l’époque, avec la publication du livre du journaliste Pierre Péan, intitulé « La République des mallettes : enquête sur la principauté française de non-droit, » Fayard, 2011. Pour mémoire, en 1983, cet auteur avait aussi publié chez le même éditeur un sulfureux un essai : « Affaires africaines », qu’Omar Bongo a vite fait interdire par la justice française.

La politique étrangère africaine est l’une des rares à ne pas faire l’objet de débats publics devant la représentation nationale, en dehors des traditionnelles questions orales à l’Assemblée nationale. Depuis la cinquième République, les affaires concernant la vie politique du pré carré francophone font strictement partie du « domaine réservé de l’Élysée ». Mais, tant que perdurera cette politique de l’ombre caractérisée par des relations opaques ou secrètes - voire politico-mafieuses - entre certains dirigeants français et africains, qu’elles soient avérées ou non, les allégations de financements occultes continueront de ternir l’image des présidentielles françaises.

Lawoetey-Pierre AJAVON

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