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Pierrick Bourgault

Auteur de livres dont les guides Paris 200 bars-concerts, journaliste de formation agricole (ingénieur Isab) et anthropologique (DEA Nanterre-Sorbonne). Aime écouter, observer et décrire, photographier avec la lumière du lieu et de l’instant, afin de montrer des univers humains. Sa page: www.monbar.net

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Billet de blog 24 avril 2020

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Comment sauver les bars-concerts?

Tremplins pour nouveaux talents, circuits courts de la culture et de la musique vivante, les bars-concerts risquent d’être décimés par le coronavirus. Ne laissons pas les écrans des multinationales du numérique s’imposer en tant que passage obligé de la création.

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Illustration 1
La Liberté, Paris 12e © Pierrick Bourgault

La pandémie a mis à l’arrêt le spectacle vivant, les théâtres, les salles ainsi que les bars-concerts. C'est un drame pour toute une filière professionnelle, pour les artistes et intermittents, mais aussi pour le public. Premier maillon de la diversité culturelle, cafés et bistrots offrent en effet un tremplin, une visibilité aux talents de toutes origines, tous âges et tous styles. Comme tant d’autres, la Grande Sophie a débuté ainsi : « J’y ai aiguisé mon répertoire, j’ai pris le temps de construire mon univers. C’est là-bas que j’ai pris goût à scénariser mes entrées de scène : j’essayais des idées, des musiques, j’empruntais aux films leur voix off. Je me jetais à l’eau chaque soir. »

Les bars-concerts constituent le chaînon indispensable entre l’école de musique et les salles professionnelles, car ils offrent à l’artiste un premier vrai public à conquérir, pas acquis d’avance comme famille et amis. Un public inconnu, bienveillant quoique parfois bavard, sans indulgence si la prestation l’ennuie mais prêt à écouter, à s’enthousiasmer, un public que les artistes confinés avec leur webcam rêvent de retrouver. La Grande Sophie : « J’aimais la proximité avec les gens. J’allais les voir, je leur parlais, je les touchais. Même au fond d’un bar, je me croyais déjà à l’Olympia. Je reconnais, aujourd’hui encore, les visages des fidèles de la première heure. J’entendais les verres trinquer, mais je voyais les gens danser, chanter, être heureux. » Les habitants, visiteurs et touristes y découvrent des artistes et leur univers, un loisir abordable dans un lieu ouvert et convivial. Ancrées dans leur quartier, leur territoire, ces initiatives indépendantes, libres et non subventionnées constituent une richesse culturelle de proximité.

Or ces dernières années, un grand nombre de ces adresses consacrées à la chanson, au jazz, au rock ont été contraintes de cesser leur activité. Lors des reportages pour les Guides Paris 200 bars-concerts depuis 2010, j’ai relaté une centaine de fermetures à Paris pour diverses raisons : hausse de l’immobilier et des loyers, équilibre économique à assurer, normes imposées, soucis avec le voisinage, la Préfecture de police, l’Urssaf… Les nouveaux lieux qui ont le courage d’ouvrir se heurtent à de semblables difficultés. Même constat en région, où les loyers sont moindres, mais les administrations souvent plus tatillonnes.

La pandémie actuelle est une épreuve supplémentaire pour les bars-concerts. Car ce bougre de virus discrimine les activités : il favorise le commerce numérique, complique la vente des produits matériels et frappe encore plus durement les échanges humains directs. Imposer le masque et une distance entre chaque personne gâcherait évidemment la convivialité que le public vient chercher dans les cafés et petites salles. Réduire leur jauge condamnerait leur modèle économique, déjà précaire. C'est pourquoi l'estimation de 30 à 40% de bars-concerts en dépôt de bilan évoquée par la profession à Paris après le confinement est hélas réaliste.

Autre inquiétude : après ces mois voués au silence et aux merles chanteurs, plusieurs associations de voisins annoncent qu’elles vont exiger l’arrêt définitif des concerts et utiliser le second tour des élections municipales pour imposer leurs revendications. Tapage de casseroles et applaudissements de 19h58 à 20h02, mais pas plus tard, sinon on appelle la police. Pour certains lieux, le confinement sanitaire sera prolongé d'une fermeture administrative et d'une mort assurée. 

Ressources locales

Pourtant, revenir aux produits locaux et aux circuits courts semble être une leçon de la pandémie. Choisir des nourritures de proximité garantit fraîcheur et qualité, rémunère nos agriculteurs et assure notre approvisionnement. Les citoyens veulent relocaliser les fabrications vitales, et pas seulement masques en papier et oxygène. De même, pour la culture, ne laissons pas Amazon, Google et Netflix formater la musique, la chanson, les narrations et les héros de notre XXIe siècle, c'est-à-dire notre imaginaire. L’écran des multinationales du numérique ne doit pas s’imposer en tant que passage obligé de la création. Un ovni tel Georges Brassens aurait-il pu gagner The Voice, l’émission à haute tension ? Laissons au public le temps d’écouter et la liberté de décider, dans de petits lieux où les artistes sont facilement programmés. Autre risque de la raréfaction des bars-concerts : la multiplication d’évènements improvisés dans des sites en déshérence, avec des conditions de sécurité plus aléatoires qu'un café ou une salle professionnelle.

Bars-concerts et bistrots offrent un circuit court pour la culture vivante, des emplois, une visibilité pour nos territoires et des artistes dans le monde – bref, un véritable service public. Leur atout est de rendre la musique accessible à tous, sans subventions, de fournir aux artistes et aux spectateurs un cadre festif et convivial, un lien social. 

Que demandent-ils ? De pouvoir continuer à travailler, avec une législation plus souple que les contraintes empilées au fil des ans. Il faut sauver ces lieux aussi fragiles qu’indispensables, ces entreprises à valeur culturelle ajoutée qui soutiennent la création et participent à l’âme des villes et des campagnes.

Pierrick Bourgault  

La pétition "Comment sauver les bars-concerts" : https://urlz.fr/bObH

Quelques bars-concerts fermés depuis 2010, ou ayant cessé leur activité musicale, à Paris :

1er Carr’s, Très Honoré bar // 2e Kitty o’ Shea’s, Têtes Brûlées // 3e La Fusée // 5e Connolly’s, Loch Ness Tavern, Verre à pied, Vieille Grille // 6e Hippocampus, Swan Bar // 9e Limonaire // 10e Belle Vie Saint- Martin, Baroc, Est parisien, Charlus, Extérieur Quai, Harmonie Babali, Play Bar // 11e Angora, Bizart, Mécano bar, Styx, Atelier Charonne, Cantada, Les Enfants Terribles, Locandiera, Polichinelle, Satellit Café, Colonne sèche, Mélange des genres, Miz miz, Fat Cat, Ô piano, Zèbre rouge, Gibus café, Oxyd bar, Passerelle 2, Petite Mercerie // 12e China, Zic zinc, Montreux Jazz Café // 13e Batofar, Caminito // 14e Vin des rues, Magique, Plan B, 24 bis, Ti Jos, Zango, Bélière, la Godinette // 15e Le Carré Parisien // 17e Le Théranga, les Trois Flèches // 16e l’Agnone, la péniche Pourquoi Pas // 18e Living b’art, Autour de midi, Clin’s bar, Saraaba, Xango, Blues bar, Les Dessous de Ginette, Goutte rouge, Petit Théâtre du bonheur, le Tout Monde // 19e Les Mères Veilleuses, Moussa l’Africain, les Trois Arts, Aux Petits Joueurs // 20e Clins’bar, la Féline, la Flèche d’or, les Z’indems café, la Barricade de Belleville, le Bouillon saint Steph, le Buzz, Veilleuse de Belleville, Falabar...

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