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Billet de blog 2 juin 2010

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Comme un poison dans l'eau...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après s'êtrenotoirement enrichis pendant des décennies, les vendeurs d’eau enbouteille voient depuis quelques années leur avenir sous un journettement plus sombre. Même si les pays émergents représentent unpotentiel de croissance encore considérable, dans les économiesoccidentales, une prise de conscience a lieu, et des initiatives semultiplient pour dénoncer l'aberration économique et le scandaleécologique que constitue l'eau en bouteille. Quelques exemples parmitant d'autres, aux Etats-Unis, la Conférence des maires a voté unerésolution appelant les municipalités à abandonner l'eau enbouteille et à promouvoir l'importance des réserves publiques d'eaupotable, à Londres, la ville impose l’eau du robinet dans larestauration avec sa campagne «London on Tap », en Australie, leshabitants de la ville de Bundanoon, un lieu touristique célèbrepour ses beaux paysages et se trouvant à 150 kilomètres ausud-ouest de Sydney, a voté avec une écrasante majoritél’interdiction pure et simple des bouteilles d'eau en plastique. LaVille de Paris, tout dernièrement, a amorcé une campagne decommunication sur le même thème . Ces actions ne sont pas forcémenttrès coordonnées, mais elles traduisent une évolution desmentalités dont l'impact sur les ventes d'eau en bouteille estindéniable. La crise aidant, les consommateurs joignent l'économiqueà l'éclogique, et désertent massivement les rayons d'eau enbouteille.

Bilan des courses enFrance, le marché, qui s'est retourné en 2007, plonge sans voir lefond. Les ventes en 2008 avaient fini à -7%, et 2009 a encore étéfortement négatif ! Evian, qui représente presque 10% du chiffred'affaires de Danone, ne produit plus qu'1,5 milliards de litres,pour une capacité de 2 milliards. Et encore est-elle la marque quis'en sort le mieux : Taillefine, autre marque du groupe Danone, a étéretirée du marché suite à une nouvelle réglementation européenneinterdisant les ajouts de minéraux (en l'occurence du calcium et dumagnésium), et Nestlé Waters, de son côté, sous-performe mêmevis-à-vis de ses prévisions les plus pessimistes. Bref, lesmarketeux de la flotte sont à cran.

Deux leviers s'imposaientpour redonner de l'attractivité à court terme aux grandes marques :la promotion et la communication. Sur le premier, elles ont fortementappuyé : la part de vente sous promotion a doublé en trois ans. Surla communication, l'affaire est autrement épineuse : car l'heure nesemble plus à l'innovation (les eaux aromatisées, qui ont tiré lacroissance du marché au début des années 2000, sont à -30%), etles fallacieuses promesses de jeunesse, santé, minceur, etc., quiont fait les beaux jours du secteur, ont été battues en brèche parla communauté scientifique, et ne font plus recette. Restent doncles publicités choc de la marque cristalline, associant l'eau durobinet aux eaux usées des toilettes. Reste surtout à revenir auxfondamentaux, à la raison d'être de ce marché : la peur diffuse durobinet.

L'année dernière, cefut au bon docteur Servan-Schreiber, qui justifiait précédemmentson existence médiatique en s’attaquant à la dangerosité destéléphones mobiles, de sortir de son chapeau une « étude »consistant en fait en une compilation de données déjà parfaitementétablies, pour préconiser « aux personnes malades du cancer ou quisont passées par la maladie de ne boire quotidiennement de l’eaudu robinet que si elles sont sûres de sa qualité »… (source :http://infos-eau.blogspot.com/2009/07/jj-servan-schreiber-et-la-tempete-dans.html)Devant l’indignation des experts, du ministère et des écologistes(qui eurent beau jeu de rappeler que deux études scientifiques demars 2006 et de novembre 2008 soulèvent également la question de lamigration du plastique de la bouteille vers l’eau de substancesnocives comme l’antimoine), Servan-Schreiber a affirmé ne pasavoir voulu critiquer l’eau du robinet, et s’en est tenu à cetteposition d’évidence : la qualité de l’eau est globalement bonneen France, mais dépend aussi des régions et des dispositifs mis enplace pour la traiter ; il est aussi très probable que boire une eaude mauvaise qualité est dangereux. En somme, rien de nouveau sous lesoleil. Mais alors pourquoi lancer cette polémique ? Comme disentles Dupond et Dupont dans « Tintin au pays de l’or bleu », pardonde l’or noir, cherche à qui le crime profite.

Cette année, le nouveaudada anxiogène s'appelle le radon. Une journaliste, bien entenduindépendante, en fit son cheval de bataille, et vient de produire undocumentaire « choc » sur le sujet, diffusé le 17 mai enprime-time sur France 3. Avec « Du poison dans l'eau durobinet », on ne va pas y aller par quatre chemins :apprenez-le, vilains qui rechignez à payez le juste tribut dû auxminéraliers, distributeurs et autres philanthropes, vous empoisonnezvos enfants ! Musique angoissante, caméras cachées et racourcisfallacieux vous en persuaderont, si les arguments développés neparviennent à vous convaincre. Le complot existe, et des très trèsméchants tirent les ficelles, gare !

Qu'importe que l'eau durobinet soit en France le produit alimentaire le plus surveillé.Qu'importe que sa qualité soit presque partout équivalente, voiresupérieure, à celle d'un bon nombre d'eaux en bouteille. Qu'importeaussi que dans le monde, chaque année, 1,5 à 2 millions depersonnes meurent faute de bénéficier d'une eau de la même qualitéque celle qui coule dans nos cuisines... Le jour où il faudra nousfaire acheter de l'air en bouteille, il se trouvera certainement unjournaliste (indépendant) pour démontrer combien il est toxique derespirer à l'air libre. Business oblige.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.