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Billet de blog 21 septembre 2010

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Révolution féminine chez les Rothschild

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Benjamin, 47 ans, est le plus riche, le plus discret et le plus atypique des Rothschild. Descendant de quatrième génération du fondateur de la branche parisienne James de Rothschild (lui-même fils du patriarche Mayer Amschel), cet homme à l'épaisse chevelure châtain clair et au regard bleu délavé dirige les affaires depuis la mort de son père Edmond, en 1997. Et quelles affaires ! Banque et finance en Suisse, en France et au Luxembourg. Mais aussi catamarans de course, ferme laitière, domaines hôteliers, vignobles sur trois continents. Sans oublier un réseau mondial de fondations philanthropiques (voir graphique p. 72) auxquelles le groupe consacre 20 millions d'euros par an. Depuis qu'il est aux commandes, Benjamin a multiplié par 10 la taille du groupe Edmond de Rotschild, qui gère environ 130 milliards d'euros d'actifs et emploie près de 3 000 collaborateurs. Un ensemble évalué, selon un initié, entre 2 et 3 milliards d'euros (dont moins d'un tiers en France), contrôlé à quelque 88% par le baron.
Sa mère, Nadine de Rothschild, est célèbre pour ses manuels de savoir-vivre. Mais Benjamin, lui, est « brut de décoffrage » : il nous accueille en jeans, chaussures de bateau et polo siglé de son domaine du Mont d'Arbois, à Megève. Ignorant conventions et langue de bois, lui et sa femme Ariane parlent à bâtons rompus. Pourquoi diable ce couple si discret accepte-t-il aujourd'hui de s'exposer ? Ils veulent officialiser le rôle croissant d'Ariane, devenue la véritable «numéro deux » du groupe. Auparavant chargée des activités non financières, elle siège depuis 2007 dans tous les conseils d'administration. «Je l'ai imposée, elle a fait ses preuves, résume Benjamin. Aujourd'hui, elle et moi, on fonctionne vraiment en équipe. »
Le yin et le yang
Il faut dire que cette jeune femme de 45 ans - cheveux blonds tirés en arrière et sourire lumineux - n'est pas seulement « la femme de » Benjamin, et la mère de leurs quatre filles de 8 à 15 ans. Ariane de Rothschild, née Langner, était d'abord une professionnelle de la finance, que Benjamin a rencontrée en 1993, quand elle était chargée d'implanter l'assureur américain AIG en Europe. Née au Salvador d'une mère française et d'un père allemand cadre d'un grand groupe pharmaceutique, Ariane a été élevée en Amérique latine et en Afrique, avant de décrocher un MBA à la Pace University (New York), puis de devenir cambiste à la Société générale. Elle parle couramment cinq langues : « Quand mon rôle n'était pas officiel, il m'était difficile d'être efficace, dit-elle. Entrer dans les conseils m'a donné une vue plus globale : à la fois davantage de liberté et de légitimité. »
Ce couple-là, c'est le yin et le yang. Opposés et complémentaires. Lui, financier avisé, bouillonne d'idées : « Quand Benjamin entre dans un conseil, il pose tout de suite la question qui tue... y compris sur les sujets qu'il ne connaît pas», dit un vétéran de la maison. Passionné de voile, de chasse et de voitures de course, l'actionnaire est parfois difficile à joindre. Luxe absolu : il ne possède pas de téléphone portable... Et il lui arrive de «sécher» des meetings, pour naviguer sur un de ses catamarans Gitana basés à La Trinité-sur-Mer, chasser l'ours en Russie ou contempler les éléphants dans la réserve de Niassa, au Mozambique. Aussi, le baron veut-il prendre davantage de recul, sans pour autant se retirer : «Même si je ne suis pas dans un bureau, penser au business occupe 90% de mon temps, dit-il. Je suis toujours là pour définir la stratégie... et soigner les ego !»
Visiblement, le bureau n'a jamais été son truc. Pas plus que les cocktails ou les dîners en ville. «Benjamin est authentique, spontané, intuitif, dit une relation de longue date. Il marche au feeling et à l'affectif» Il est capable de recruter quelqu'un pour un poste clé en quelques minutes. C'est ainsi que Michel Cicurel a été débauché, en 1999, de chez Carlo De Benedetti pour remplacer du jour au lendemain Roger Cukierman à la tête de la Compagnie financière Edmond de Rothschild à Paris.
Quand le courant passe, Benjamin délègue complètement : «Personne d'autre ne m'aurait ainsi donné les moyens de bâtir le cinquième courtier français en assurances, à partir de rien », affirme Pierre Donnersberg, président du directoire de Siaci-Saint Honoré, entré dans le groupe par la petite porte, il y a vingt-deux ans. Quant à Philippe Druillet, le dessinateur de BD de science-fiction, il parle du baron comme d'un «prince moderne». Parce qu'il aimait ses dessins, Benjamin lui a commandé des centaines de meubles pour ses bureaux, et lui a fait redessiner le blason familial.
Le suivi, la gestion tatillonne ennuient l'héritier. Les comportements «raisonnables» aussi : il fume comme un sapeur, y compris quand il est grippé. Les discours structurés, les présentations Powerpoint, très peu pour lui. Sa conversation est toute en digressions. Lui qui finance la clinique de désintoxication Montevideo, à Boulogne-Billancourt, dénonce le refus du gouvernement français d'autoriser les «salles de shoot » : «A cause de cela, il y aura des morts d'hépatite C !» L'éducation ? « Chez mes parents, la devise était «a child is to be seen, not heard» [les enfants, on doit les voir, pas les entendre]. Nous, on élève nos filles pour qu'elles aient des opinions, et les expriment». La politique ? Alors qu'il vote à Megève, il se dit « davantage de gauche que de droite ». Indigné par la dérive sécuritaire de l'été, il souhaite que « la France reste un pays de liberté et de diversité». Mais sur la fiscalité, Benjamin n'est pas franchement socialiste. Et les établissements de son groupe ont une parfaite maîtrise des techniques « d'optimisation » utilisant les paradis fiscaux.
Barrage au Congo
Ariane, qui dispose désormais d'un bureau à côté de celui de Michel Cicurel à Paris, est plus rationnelle. «Je suis davantage dans le concret, explique-t-elle. Je m'assure que les choses avancent. Et parfois, je peux être un peu brusque... Parce que je n'ai pas le temps d'attendre !» C'est elle, la pièce rapportée, qui parle le mieux de la devise familiale «Concordia, Integritas, Industria » (union, éthique, travail). Ces « valeurs Rothschild », elle tente de les inculquer à ses filles : «Elles doivent comprendre que l'argent pour l'argent est vide de sens, que l'appartenance à cette dynastie donne aussi des devoirs.» Ariane pense que «le groupe Rothschild, qui a toujours été en pointe sur la finance et la philanthropie, est particulièrement bien placé pour contribuer à bâtir un capitalisme de solidarité, qui intègre pleinement les dimensions humaine, éthique et environnementale ».
Ecologiste convaincue, Ariane de Rothschild est à l'initiative - avec le cabinet BeCitizen - d'une gamme de fonds d'investissement dits « d'économie positive », pour «renverser la dynamique court-termiste de rentabilité à tout prix». Le groupe finance aussi des projets de barrage et de chemin de fer au Congo, des cultures de biocarburants au Burkina Faso, des routes au Sénégal... « Mes liens avec l'Afrique, où vit toujours mon père, sont restés forts », dit Ariane.
Perpétuer la dynastie
Comment les managers du groupe acceptent-ils sa montée en puissance ? «Il y a eu des ajustements. On a appris à fonctionner ensemble», dit-elle. Qu'on se le dise : dans cette branche de l'empire Rothschild, la misogynie est devenue un péché capital. «Il faut bien qu'ils s'habituent, s'amuse Benjamin. C'est l'une de nos filles qui prendra un jour le relais. » Sans doute s'agit-il aussi d'un message adressé à ses «cousins» : les Rothschild de Paris, fédérés par David. Ayant reconstruit Rothschild&Cie, après les nationalisations de Mitterrand, et annexé NM Rothschild & Sons à Londres, David rêverait, selon certains, d'étendre un jour son influence sur le prospère groupe Edmond de Rothschild.
Ariane et Benjamin ont une vision sévère de la crise des subprimes. Ils dénoncent «le comportement abject de certains banquiers, uniquement motivés par la cupidité». L'argent est devenu le fric. «Face à cette perversion du capitalisme, il faut revenir à l'essentiel, avec un bon sens paysan et une vision de long terme. » Dans le groupe Edmond de Rothschild, pas de « coups », pas de « trading pour compte propre», peu de conseil en fusions et acquisitions. Le coeur du métier, c'est la gestion de fortune et d'actifs, la banque privée, le financement des entrepreneurs. «Pas besoin d'être un grand groupe pour travailler avec Rothschild», explique Ariane. Benjamin aime être à contre-cycle : son groupe ayant bien résisté à la crise, il en profite pour embaucher des équipes, recruter des clients... Et perpétuer la dynastie. «Le vignoble qu'on plante en Espagne, en partenariat avec Pablo Alvarez, le propriétaire de Vega Sicilia, ne sera pas rentable avant des années. On le crée pour nos enfants », souligne-il. Penser sur le temps long. Toujours.

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