L’histoire est capricieuse. Longtemps elle hésite, se tâte et puis un beau matin, est-ce le temps, une goutte qui fait déborder son vase, elle pète un câble et pique un sprint.
C’est peut-être ce qui est en train de se passer. Cela fait aujourd’hui une semaine que les frères Kouachi et Amedy Coulibaly ont perpétré leurs ignobles meurtres, et dimanche dernier des citoyens de notre pays se sont- l’espace d’une après-midi d’hiver- constitués en peuple vivant, uni et debout. Ce fut digne, émouvant, massif et magnifique à voir. Rien n’est donc perdu dans ce pays que l’on décrit à l’envi comme bloqué. C’est ce que j’ai pensé alors. Pour autant, cette photographie à la Delacroix, qui figure en Une de l'Obs ce cette semaine est par maints égards trompeuse, et il serait imprudent d’estimer que la partie est gagnée car elle ne fait en fait que commencer…
En effet, les défis qui nous attendent sont légions et ils dépassent de loin les préoccupations bien légitimes de nos concitoyens qui aspirent avant tout chose à vivre librement et en sécurité. Ils concernent en premier lieu le secteur de l’éducation. Comment se fait-il que de jeunes Français, passés par l’école de la République en arrivent à commettre de tels actes?. Il faut répondre d’urgence à cette question essentielle et y apporter au terme d’une réflexion collective des réponses audacieuses, intelligentes et fermes. Des états-généraux de l’éducation pourraient être convoqués par notre ministre Najat Vallaud-Belkacem qui n’ignore évidemment rien des problématiques liées à l’immigration ou au choc des cultures.
Mais il est temps aussi de faire notre auto-critique : Avons-nous collectivement refusé de voir ce qui clochait, avons-nous préféré regarder ailleurs quand des bidonvilles aux cités, nos populations immigrées désespéraient dans un pays qui leur ouvrait les bras comme à regret quand il ne leur était pas franchement hostile ? Avons-nous failli dans la transmission indispensable des valeurs qui fondent notre vivre-ensemble Républicain ?Avons-nous enfin considéré que notre société confortable issue des trente glorieuses pouvait désormais fonctionner en pilote automatique ?
Cruelle erreur. Toute société est avant tout dynamique et sa construction jamais se s’achève. Elle doit s’adapter tout en restant fidèle à ses valeurs profondes. La liberté d’expression en est une parmi d’autres. Elle mérite d’être défendue, promue et enseignée aux plus jeunes. Elle mérite d’être vécue, utilisée. Elle mérite de vivre. Faire société, c’est pour citer Renan, avoir fait de grandes choses dans le passé, et être d’accord pour en faire d’autres à l’avenir. J’ajoute pour être complet que c’est aussi avoir le courage de faire les comptes précis des erreurs passées...
On a parlé, sous Nicolas Sarkozy d’identité nationale. Bronca dans les rangs. Moi-même je dois bien l’avouer, j’ai à l’époque été choqué par cette initiative, soupçonnant des arrières pensées qui de fait n’étaient sans doute pas absentes. Pour autant, il faut avoir le courage de reconnaître qu’aujourd’hui après les évènements qui viennent de produire cette question se pose. Quand autant de gens font sécession avec notre société, lui tournent le dos, ou bien s’en inventent une autre dans ses marges ou ses interstices, quelque chose cloche. C’est d’un constat clair et sans langue de bois que pourront naître les idées concrètes visant à ramener tous ces exclus dans le giron républicain et accessoirement à ramener le calme et l’ordre dans notre pays et dans chaque parcelle de son territoire.
D’où l’importance de miser sur l’école. Mais je vais plus loin. Je pense qu’il faut absolument réfléchir à mettre en place un nouveau service militaire. Réformé, modernisé, sans doute en partie civil, mais il est nécessaire que nos jeunes éprouvent le temps d’une période donnée et à déterminer ce que représente de servir la nation et donc tous leurs concitoyens. Pour avoir en effet effectué mon service militaire en Alsace au sein d’un régiment de cavalerie, je garde un souvenir de brassage culturel et social assez intense. Ce n'était pas tous les jours la joie, et de nombreuses contraintes quotidiennes nous attendaient. Mais je me souviens que de nombreux jeunes, issus des quartiers défavorisés ou bien des DOM-TOM, apprenaient à respecter l’autorité et finissaient généralement par apprendre des choses et même parfois un métier...
Même si la question de l’Islam mérite d’être posée sans détours « Est-il ou ou non soluble dans la République? » je pense qu’il ne faut pas éluder la dimension sociale dont les déterminants sont tout à fait décisifs. Il est évident que donner du travail à toute le monde serait un vecteur très important d’intégration ou d’assimilation. Quant à l’Islam, je crois que la République devrait se tourner vers ses représentants et construire avec eux une forme de clergé, un consistoire peut-être, mais dont l’autorité serait indiscutable parmi les fidèles. Et surtout, dans le même temps, aider les musulmans à identifier ceux qui seraient tentés par le fondamentalisme religieux et agir pendant qu’il en est encore temps.
Que certains imams continuent à distiller des prêches appelant au Djihad ne devrait plus être toléré. Ce sont eux qui mettent l’ensemble des musulmans dans l’embarras et qui empêchent la construction d’un Islam de France qui sécularisait enfin la seconde religion de l’Hexagone.
Pour éviter le pire, il va nous falloir trouver collectivement des voies de sortie par le haut Il y a aujourd’hui dans ce pays de telles fractures, sociales religieuses ou ethniques qu’une explosion est hélas tout à fait possible.
Vincent M