Billet publié le 6 septembre 2012 sur le blog de Paul Jorion (http://www.pauljorion.com/blog/). Je le republie ici en écho à la conférence de presse donnée hier par le chef de l'état.
Cette fois, nous n’aurons même pas eu droit à un baroud d’honneur. Allez, si, quelques rodomontades à la famille Peugeot, mais l’été en pente douce s’est chargé d’évaporer les micro-velléités de réel changement qui mâtinaient ce tout jeune gouvernement. Le changement, le vrai, ce sera pour plus tard. Enfin, si la situation le permet. C’est pourtant dans la glaise fraîche de la victoire électorale que l’on imprime la volonté dynamique du changement. C’est à ce moment supposé d’état de grâce qu’un président élu peut imprimer sa marque et donner son cap. Après cent jours, les dossiers s’empilent, les bonnes volontés s’émoussent, les courbes des sondages s’infléchissent et l’action du gouvernement se démonétise. Plus rien d’audacieux ou d’inédit n’est faisable. Les choses ont repris leur molle place, les forces statiques sont à nouveau inébranlables. Las, François Hollande, en voulant s’inscrire en négatif exact de la pratique du pouvoir de l’ancienne équipe gouvernementale, est passé de l’autre côté du cheval. Il a voulu incarner la sérénité, il eût fallu choisir le courage et la détermination.
Il ne faut certes pas confondre vitesse et précipitation, mais la gravité de la situation exigeait une action forte et déterminée. Ne serait-ce que pour donner l’exemple à l’échelon européen, pour montrer aux marchés la réalité du changement. La juste incarnation aurait du être celle-ci. Je crains que l’équipe gouvernementale ne soit en train de s’en apercevoir, d’où cette nette crispation et le branle-bas de combat qui s’annonce maintenant. En qualifiant à Châlons la crise d’« exceptionnelle », le président semble prendre enfin la pleine mesure de celle-ci. On attend donc maintenant de l’audace, de l’énergie et de la méthode. Malheureusement, je crains fort que les réformes envisagées ne soient guère estampillées « de gauche » et en tous cas pas du tout à la hauteur des enjeux qui se profilent. Si, profitant de la crise, le gouvernement s’engage (même avec les meilleures intentions du monde) sur le chemin escarpé de réformes par trop libérales sans donner par ailleurs des gages puissants à la gauche de la gauche (en menant pour ne prendre qu’un exemple d’audacieuses réformes fiscales) le corps social, déjà fragilisé par la situation, risque fort de se crisper. Nous assisterons alors à de sérieux blocages et à une prévisible scission au sein même de la gauche.
Il y aurait pourtant eu une solution sous la forme d’un chemin de crête, comme préalable au train des réformes envisagées. Proposer à la gauche élargie (Front de Gauche et une frange des écolos) mais également aux intellectuels de ce pays, à ses syndicalistes, et pourquoi pas à tous les hommes et les femmes de bonne volonté, et ce, quel que soit leur bord politique, d’engager un débat sans tabous sur les solutions de sortie de crise. S’agissant de la gauche, ce n’est qu’en associant toutes ses composantes sans exception que l’affrontement (qui ferait bien les affaires de la droite) aurait pu être évité.
Mais n’est-ce pas déjà trop tard?
Il faut que François Hollande accepte que le pacte budgétaire européen (TSCG) soit soupesé, débattu, disséqué et digéré par notre démocratie. En d’autres termes, il doit accepter la tenue d’une consultation référendaire. Ce traité est maintenant comme une balle dans une culasse de fusil. Il est en passe de cristalliser toutes les rancoeurs recuites des eurosceptiques comme des authentiques Européens qui ne se reconnaissent plus dans cette Europe libérale. Si les arguments dont se prévaut François Hollande sont intelligibles, s’ils font sens, bon sens, alors il ne doit pas craindre le débat et l’expression populaire. Si, à l’inverse, il choisissait le passage en force (mais légal), alors compte tenu des circonstances chimiques, il y a fort à parier que le pays tout entier se braquerait. Car le débat sur le TSCG arrive au plus mauvais moment : la crise s’aggrave, l’inquiétude monte, l’euroscepticisme n’a jamais été aussi fort, rendant le pays plus fébrile, en particulier sur ces questions. En proposant d’en débattre, il jouerait l’apaisement, prendrait du champ, montrerait à ses partenaires européens que le sort de la France dans l’Europe ne se règle pas sur le coin d’une table, qu’il se discute et se vote. Il faudrait bien entendu accepter l’onction populaire. À lui et à ses équipes de faire valoir le bien-fondé de leurs arguments. Mais je sais qu’ils n’en feront rien, car ils craignent plus que tout une redite de 2005.
Nous en sommes là, et las. Hélas.
Peut-être qu’au final tout cela se finira comme d’habitude par une guerre, qui sait ? Elle est bien, selon la formule célèbre, la continuation de la politique par d’autres moyens. En attendant Godot, continuons joyeusement à agiter le bocal des idées. Peut-être qu’à force de mouliner, quelque précipité fructueux apparaîtra…
Post-sriptum: mai 2013. Le débat sur le TSCG n'a finalement pas eu lieu, et les Français ne se sont hélas pas emparés du sujet. Comme souvent, l'Europe est demeurée une affaire de spécialistes...
Pinelli.