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Billet de blog 19 mars 2014

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Ukraine "La vérité est la première victime de la guerre"

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

"La vérité est la première victime de la guerre".

Rudyard Kipling.

Au moment où d’inquiétants bruits de bottes résonnent aux confins orientaux de l’Europe, il est je crois nécessaire sinon utile de revenir sur cette crise Ukrainienne en explorant des aspects inexplicablement assez peu mis en relief jusqu’à présent dans la presse. Lorsque la guerre menace, quand elle fabrique elle-même sa consistance dans une surenchère verbale que l’on croyait appartenir au passé en Europe, lorsque les fantasmes le disputent au réel, il devient indispensable de réfléchir posément et d’appeler à un règlement diplomatique et pacifique.

Mais pour ce faire, il faut commencer par regarder les choses en face.

Retour sur images

Lorsque en novembre 2013, j'ai découvert les premières photos de ce qui était alors présenté comme d'importantes manifestations en Ukraine contre le pouvoir Yanoukovitch, je me souviens avoir été troublé et frappé par des photos de jeunes manifestants casqués et vêtus de pied en cap de treillis paramilitaires à l'allure martiale et aux cheveux ras, images pour le moins peu conformes avec le récit qui était fait alors de cette insurrection populaire sans doute pour partie légitime. 

Quelque chose ne collait pas.

On dit souvent que les premiers coups d'oeil sont décisifs, que les images, qui sont par essence lapidaires, s'adressent néanmoins à notre inconscient et délivrent une part de vérité. Justement, la vérité telle qu’elle était en effet présentée dans les grands médias s'exprimait de manière presque binaire: nous avions d'un côté une population exaspérée, mobilisée dans une irrésistible insurrection populaire et de l'autre un président présenté comme corrompu et autiste qui s'accrochait pathétiquement à son pouvoir. Les méchants et les gentils en somme. J'ai alors pensé que maîtrisant insuffisamment les codes de cette histoire, je me faisais des idées. J’ai donc commencé à lire un peu tout ce qui me tombait sous le nez. Assez vite, j'ai compris que ces éléments paramilitaires dont les brassards, insignes et signes distinctifs ésotériques attiraient mon attention étaient en fait des membres de "Pravy Sektor" et "Svoboda", formations politiques d'extrême-droite ouvertement néo-nazis et antisémites. Il y a sur le net, quantité de documents (photos, vidéos, textes…) qui se recoupent suffisamment pour ne pas laisser de place au doute. 

Soudain, le récit officiel parlant d'une insurrection populaire perdait d'un coup d'un seul de son éclat. Bien entendu, ce serait faire insulte au peuple Ukrainien de réduire le mouvement "Euromaidan" à ces groupes violents, par ailleurs souvent présents lors des insurrections populaires, et la légitimité de ce soulèvement n’est pas ici en question, mais lors des dramatiques évènements de février 2014 qui allaient faire basculer cette "révolution" dans une page d’une extrême violence et faire près de quatre-vingt victimes, il semblerait que ces activistes d’extrême-droite portent une bien plus grande part de responsabilité que l’histoire officielle semble vouloir le retenir. 

En effet, plusieurs questions restent obstinément en suspens. Tout d’abord, quid des agissements exacts de ces groupuscules, de leur responsabilité précise dans les affrontements qui ont ensanglanté la place Maidan en cette fin février? Pour faire toute la lumière sur ces journées terribles, il faudrait très vite nommer une commission d’enquête. Ensuite, il faudrait éclaircir les responsabilités et le rôle d’un certain nombre d’émissaires étrangers, en particuliers américains, qui se sont succédés place Maidan et donc certains, je pense en particulier au sénateur Républicain et ancien candidat à la présidence des états-unis John McCain ont été photographiés en train de deviser tranquillement avec des responsables de Svoboda. Quel rôle ont-ils joué. Etaient-il seulement là en soutien, ou bien doit-on y voir une réminiscence de la guerre froide? Quels sont les enjeux géostratégiques précis?

Côté Russe, si les choses sont infiniment plus claires, elles n’en sont pas moins inquiétantes: en effet, après avoir déployé des troupes d’élite sur tout le territoire de la Crimée, encerclant les bases militaires Ukrainiennes sans aucunement en revendiquer la paternité, soldats sans insignes sautant de camions aux plaques Russes, le Kremlin semble avoir mis en application un plan d’une diabolique efficacité visant à mettre la péninsule en coupe réglée. L’annonce de l’organisation d’un référendum mené tambour battant par des cohortes de groupes pro-russes aux mines patibulaires, la suppression des chaînes Ukrainiennes au profit de canaux Russes, les communiqués martiaux et sans équivoques du Kremlin, tout cela rappelle de sombres pages d’histoire. En l’espace de quelques semaines, La Crimée a bel et bien été annexée par la Russie, inutile de tourner autour du pot. 

Maintenant, à défaut d’approuver ce qui représente une entorse gravissime au droit international, il convient de raisonner de manière rationnelle. En effet, d’un point de vue strictement géopolitique régional, il était évident que face aux avancées de l’OTAN et à la perspective d’une instabilité du pouvoir à Kiev, l’ours Russe ne resterait pas les bras ballants. La Crimée abrite ses plus importantes bases navales et représente pour Moscou une ouverture vers le sud et la méditerranée dont ils ne pouvaient prendre le risque de se passer. Vladimir Poutine a donc décidé d’agir. 

Ce faisant, il a enclenché un processus donc personne à l’heure qu’il est ne peut prévoir l’issue.

On voit donc bien que dans cette histoire, les responsabilités sont partagées. Il suffirait pourtant de peu de choses. Si le pouvoir à Kiev acceptait de faire le ménage en écartant, ces groupes néo-nazis du pouvoir, ce serait un premier gage de bonne volonté. En retour, cela ménagerait sans doute à Vladimir Poutine une porte de sortie par le haut de cette crise. Il conserverait certes la Crimée, mais n’irait pas plus loin. Du côté des occidentaux, Américains et Européens, des garanties pourraient être données à la Russie quant à l’élargissement de l’UE et de l’OTAN et cela en échange d’un status quo Russe. Je reste convaincu qu’une désescalade diplomatique est encore possible. 

Si en revanche, aucune initiative de ce type ne voyait le jours dans les heures qui viennent, le risque serait grand d’assister à un mauvais remake de la crise Yougoslave version 2.0 et à un terrible rafraîchissement des relations EST-Ouest, d’autant que plus au sud, d’autres dossiers tout aussi brûlants, ne demandent qu’à prendre part à la fête...

Vincent Migeat

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