AIR DE DEJA VU Voici un siècle, des «gaz délétères» ravagent l’agriculture valaisanne. Tout le monde promet d’agir… et continue de réaliser ses petites affaires.
Joyeux anniversaire ! Au printemps 1914, pour la première fois dans l’histoire du Valais, la pollution industrielle part devant un juge. Des paysans entament une action en dommages et intérêts devant le tribunal de Martigny. Et ils ont été patients. Dès l’ouverture des usines d’Aluminium Industrie AG (AIAG), en 1909, vignes, abricots, forêts et bétail s’en sont pris plein la gueule. Dans un périmètre de trois kilomètres autour des bâtiments de Chippis ou Martigny-Bourg, c’est la curée. Sans aucun réel filtre, les cheminées crachent des «gaz délétères» – du fluor, en clair – qui passent la nature valaisanne au lance-flamme.
Ravages des usines
Le 15 mai 1914, en séance du Grand Conseil, le Conseiller d’Etat Maurice Troillet ne cache pas la réalité des faits. Les échantillons de ceps analysés démontrent bien les ravages des usines. Mais les lésés ont été indemnisés. «D’autre part, la Société d’Aluminium a pris l’engagement de munir les cheminées de l’usine d’appareils fumivores pour préserver de nouveaux dégâts les propriétés voisines.» Affaire réglée ? Il y a un léger bémol… «M. Troillet fait encore observer que notre législation ne contient pas de dispositions qui permettent une Intervention directe, comme c’est le cas dans d’autres cantons; il serait peut-être utile d’avoir quelques mesures législatives à ce sujet. II veut bien examiner cette question de plus près.»
Il serait peut-être utile d’avoir quelques mesures législatives à ce sujet.
Il s’agit du compte-rendu des séances du Grand Conseil. Ce détail n’émeut guère la presse de l’époque. «Le Nouvelliste» y consacre huit lignes, «Le Journal et Feuille d’Avis du Valais» copie sur vingt-neuf lignes le résumé du Grand Conseil. «Le Confédéré» n’en dit strictement rien.
« A bien plaire »
Ce qui va se passer ? Grâce à la Grande Guerre, AIAG va multiplier par six sa production, fournissant l’armée allemande. La société n’investit pas vraiment dans des filtres écolos. En 1923, une centaine de paysans valaisans monte jusqu’au TF pour avoir de justes dédommagements. Une révolte qu’AIAG va noyer par des volées de contre-expertises. Un accord financier – à l’amiable – aboutit en 1935 à un non-lieu. Mais on sait qu’AIAG règle des sommes dérisoires, «à bien plaire et pour toujours» (sic). Il faudra attendre le milieu des années septante pour qu’AIAG, devenue Alusuisse, assume ses responsabilités ! L’actuelle affaire de la gravissime pollution au mercure par la Lonza n’est donc qu’un maillon de la chaîne. Elle devrait nous faire rebondir des côtés d’Orgamol, Vionnaz, Monthey ou St-Léonard. L’histoire des industries valaisannes pourrait se révéler bien plus riche en surprises qu’on ne le croit…
Joël Cerutti