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Billet de blog 11 septembre 2024

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« Pour étouffer par avance toute révolte » : Huxley n'a jamais dit

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. » Depuis plus de 10 ans cette citation de Huxley connaît un immense succès sur internet. Elle n'est malheureusement pas de lui.

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Cette fausse citation, souvent tronquée, est en fait bien plus longue :

Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente.
Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.
L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.
Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste.
Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.
Surtout pas de philosophie.
Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif.
On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique.
Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.
On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.
Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.
L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu.
Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels.On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir

Le succès de cette fausse citation dépasse malheureusement de loin les seules frontières d'internet. On la trouve en effet dans un article de Médiapart, repris d'El Watan et, plus inquiétant encore, dans cette interview de Jean-Pierre Andrevon, le célèbre auteur de science-fiction qui à l'époque venait de signer, on appréciera l'ironie, une Anthologie des dystopies.

Pourquoi c'est faux

Ce texte, loin d'être de 1931, 1932 ou 1939 comme on le voit parfois, date en réalité de 2007. Il a été écrit par Serge Carfantan, professeur de philosophie, et mis en ligne sur son site, Philosophie-spiritualité. Ce texte intervient dans la première partie d'un cours sur la révolte, « sagesse et révolte ». C'est une prosopopée, figure de style par laquelle Carfantan fait parler en première personne ce qu'il considère être le cynisme politique. Il prend, affirme-t-il, comme modèle de son exercice littéraire le personnage cynique du Directeur. La popularité du texte sur internet dément le jugement que Carfantan porte immédiatement après sur le propos qu'il vient de tenir. Pour lui, cette vision qu'il donne du contrôle des masses est rendu impossible par la liberté d'expression dissidente offerte par internet :

La contre utopie d'Huxley est un modèle qui ne décrit plus vraiment notre monde actuel. Elle n'était pertinente que dans un monde où l'information était soigneusement formatée, limitée et contrôlée (…) Avec l'émergence d'Internet, c'est une hémorragie d'informations à portée hautement critique qui sont d'ors et déjà disponibles.

Il est aujourd'hui difficile de savoir exactement comment le texte s'est diffusé parce qu'on ne trouve, pour les premières années de sa diffusion, que des traces éparses qu'il est difficile de relier. Je pense en tout cas qu'il a été attribué à tort à Huxley suite à une lecture hâtive du site de Carfantan. En effet, ce dernier à mis sa prosopopée entre guillemets juste à côté de la couverture du livre Le meilleur des mondes de Huxley, ce qui a pu, très facilement, faire croire que le texte en était extrait.

Illustration 1
"Sagesse et révolte" © Serge Carfantan

L'apparition la plus ancienne de la fausse citation que j'ai pu retrouver date du 17 février 2012. Norma Cenva, l'autrice du post, l'a manifestement tiré du site de Carfantan. J'en veux pour preuve le début de son post :

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s'y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d'Hitler (texte) sont dépassées. »

Ce « (texte) », on le retrouve à la même place sur le site de Carfantan. Il mène vers un extrait de texte dont je parlerai bientôt. Norma Cenva publie à cette époque beaucoup de contenu engagé, tiré de Bastamag, des Anonymous, mais aussi du contenu conspi, Claire Séverac, Stopmensonges, du contenu plus orienté spiritualité et new-age (Inrees, enfants cristal). C'est un mélange pas si curieux et très représentatif du début de la diffusion de cette fausse citation. Je ne sais pas, par contre, si Norma Cenva est vraiment la première à l'avoir diffusée ni si elle est la seule à cette époque. Son post facebook semble avoir eu peu de succès. J'arrête de travailler, je boycott ce système jusqu'à sa disparition a eu un peu plus de succès en le publiant la même année le 4 novembre (15 commentaires, 305 partages). Pour 2013 on trouve quelques partages sur Twitter, qui font peu de vagues, une apparition sur un site personnel, Studinano, le 21 février (repris sur seenthis et twitter), sans qu'il soit possible de déterminer d'où l'auteur le tire, sur des sites de développement personnel/ésotérisme dès le 9 juillet 2013. Sur facebook par contre c'est l'explosion. Mais parmi tous ceux qui la diffusent alors, c'est MrMondialisation qui se démarque nettement. Mr Mondialisation publie la fausse citation sur son site et ses réseaux le 20 juillet 2013 et a engrangé 4000 likes, 6500 partages, 299 commentaires. Le site et le post facebook annoncent à juste titre que le texte est de Carfantan. Mais le post Twitter, lui, indique qu'il est de Huxley. À regarder en détail les commentaires sur facebook, on se rend compte que le titre a été modifié, comme nous le prouve le commentaire de Léo Debonne :

« J'ai juste une question, car je ne connaît pas quelque chose, je cherche une explication, je veut pas troller. Le texte est de 1932 ? mais Hitler n'a eu accès qu'au pouvoir en 33. Le texte parle donc de la politique d'Hitler avant 33 ? lors de son coup d'Etat et autres tentatives ? »
et à la réponse qu'on lui fait, lui signalant qu'il s'agit d'une prosopopée, indiquant donc que la correction a été faite en catimini :
« merci de la réponse, j'étais juste mal informé alors je voulais être certains. Mais il me semblait avoir vu en titre « le meilleur des mondes de Huxley » et c'est juste que là que je vient de voir que c'est « prosopopée de Serge Carfantan ».

Ce ne sont pas les seuls à avoir modifié après que la confusion leur ait été signalée : un des sites affilié aux veilleurs, ce mouvement d'occupation des places né en marge de la manif pour tous, l'a aussi fait : dans cette note de blog de septembre 2013 (près de 2000 vues sur la capture Webarchive), le corps du texte attribue la citation à Carfantan, mais le titre de la page, la photo d'illustration et les commentaires montrent qu'ils l'ont d'abord attribuée à Huxley. C'est là, en quelque sorte, la préhistoire de la fausse citation. Après cela, elle est partout, absolument, traverse absolument toutes les sphères et ceux qui la propagent ou la lisent aujourd'hui se posent moins de questions sur ce texte qu'il y a 10 ans.

Pourquoi c'est grave

Bah déjà parce que c'est faux et que si on ne résiste pas à un faux aussi grossier (comment dire dès 31 que les méthodes d'Hitler sont obsolètes?), je me demande bien à quoi on résistera encore. Ensuite parce qu'internet n'est pas un monde séparé, une sorte de boîte de petri où le pire fermente sous microscope. La porosité est totale entre sur internet et IRL : ce qui se passe sur internet est aussi réel que ce qui se passe « dans la vraie vie », voire plus, puisque souvent ça a sur nous un impact plus grand et la vraie vie est pour certains devenue aussi irréelle que les délires qu'on peut lire sur internet (je pense aux Qanon). Cette porosité, en ce qui concerne cette fausse citation, est presque immédiate et sans bornes. Donc propager une fausse citation, comme une fausse information, c'est courir le risque de participer à son institutionnalisation.

Dès 2014, un an après son explosion sur les réseaux sociaux, la fausse citation de Huxley se retrouve imprimée ici ou là. Le groupe UDI de la ville de Tremblay l'utilise pour sa com dans le magazine municipal d'été 2014 (p22). Six ans plus tard elle réapparaît à Plozévet (p15), mise en avant par le groupe minoritaire de la mairie. On la retrouve aussi en 2015 dans des documents diffusés par la commission scolaire de Montréal (retirés depuis que je les ai contactés), en 2019 dans un devoir de collège, en 2017 sous la plume de Jacques Remacle (édito), administrateur-délégué de Arts et public, association belge de promotion de la culture et des musées. J'ai contacté ce dernier à propos de cette fausse citation, il n'a jamais répondu.

Ce n'est pas tout. On la trouve aussi dans un article de recherche. En février 2017, la revue Multitudes publie dans son numéro 67 un article de Thierry Goguel d’Allondans, Un corps social en travail (pp.188-197). L’auteur finit son article sur un large extrait de ce texte faussement attribuée à Aldous Huxley. Il le date de 1939, Comme Mélanchon sur Facebook quelques mois plus tard.

J'ai pu échanger avec les coordinateurs du numéro en question. L'auteur de l'article est réputé dans son domaine et son article est un résumé destiné au grand public de thèses qu'il avait déjà exposées dans ses ouvrages. Ainsi, ce texte ne posait aucune inquiétude aux coordinateurs qui, compte tenu des délais impartis pour publier le numéro, ont concentré leurs efforts de relecture sur les articles qui exigeaient a priori plus d'accompagnement. La confiance est malheureusement un élément déterminant qui est souvent revenu dans mes échanges avec les personnes qui, ayant relayé des fausses citations, ont bien voulu répondu à mes questions : elles font confiance à la source, elles ne vérifient donc pas ou superficiellement, et jouissent elles-mêmes de la confiance de leurs collaborateurs et lecteurs, donc ne sont pas corrigées. Cette chaîne de confiance nous lie tous possiblement au boulet de l'erreur et on devrait s'en libérer, mais cela reviendrait à fuir dans un paradoxe impossible : se méfier le plus de ceux en qui on a le plus confiance.

Pourtant ce serait nécessaire : parce que cette fausse citation de Huxley, on la trouve aussi dans les livres. Et j'ai du mal à croire que les livres ne soient pas relus.

Il est évident que tous ces auteurs ont tiré la fausse citation d'internet et de sources en lesquelles tous avaient confiance. Viendra fatalement le temps où quelqu'un tirera la citation d'un de ces livres et le citera comme gage d'authenticité, où la fausse citation s'encroûtera dans la culture et sera indiscernable du vrai. Comme il en a été des fausses citations de Pasteur et de Socrate. Je rappelle l'étrange erreur de Jean-Pierre Andrevon. Il est inconcevable qu'il n'ait jamais lu Le meilleur des mondes. Il est encore plus inconcevable qu'il donne cette fausse citation après avoir prétendument travaillé le sujet. Il est a priori au dessus de tout soupçon et parfaitement crédible, pourtant, il propage un fake grossier. Pire, il refuse de s'en expliquer. Je ne désespère pas de réussir à contacter le journaliste impliqué pour savoir comment la séquence s'est déroulée. Il faut bien que nous puissions documenter cette chose grave et inquiétante : qu'un homme, dont c'est le domaine, se fasse avoir et trompe ceux qui lui font confiance. En absence d'information claire, on est réduit aux conjectures. Se peut-il qu'il l'ait tenue d'une source en laquelle il ait eu toute confiance, confiance qui a eu raison de ses doutes et l'a emporté sur ce qu'il savait par ailleurs ? Se peut-il qu'il se soit plus simplement, comme ceux qui ont daté la citation de 39 plutôt que de 31, accommodé au faux plutôt que de le combattre, réduisant la dissonance cognitive (le texte est manifestement faux ; tout le monde s'accorde sur son authenticité), se donnant de bonnes raisons d'y croire contre l'évidence première ?

Mais ce n'est pas le seul problème quand on cite à tort. Le vrai problème, c'est qu'on ne sait pas qui on cite. On sait à peu près qui est Aldous Huxley. Mais qui est Serge Carfantan ? C'est là un des problèmes majeurs des fausses citations : on ne sait pas qui on site et je crois que, si on le savait, on y réfléchirait à deux fois.

Qui est donc ce Serge Carfantan ? Il est toujours présenté comme professeur de Philosophie, ce qu'il est. Il a soutenu une thèse en 1992 sur la conscience, dans laquelle il s'efforce de lier ensemble la philosophie occidentale (ici la phénoménologie) et les sagesses orientales (ici les Vedanta). Il est, de son propre aveu, venu à la philosophie dans les années 70 par la lecture de Vivekananda (le successeur de Ramakrishna) et poursuit son enseignement avec son site de lier philosophie et sagesse. En fait, bien plutôt trace-t-il via la philosophie un chemin vers les sagesses orientales. Je devrais plutôt dire l'ésotérisme.

En effet, il propose depuis son site des « lectures parallèles » (des extraits en sont disponibles dans Googlebooks), des extraits de textes glanés dans les livres ou sur internet, qui ne viennent pas des auteurs qui font autorité mais qu'il considère comme pertinents, intéressants et digne d'être lus et étudiés. Ces lectures parallèles sont en réalité un compendium new-age :
Il se trouve qu’en furetant sur le Web, je suis tombé par hasard à plusieurs reprises sur des textes de lectures parallèles intéressants, mais pas du tout académiques.
(…) il y a bien des textes dont l’autorité n’est pas reconnue, voire méprisée, mais qui sont très pertinents.
(…) La publication sur le Web libère beaucoup de créativité, donc aussi l’écriture et la publication.
(...) Dans le premier volume et les suivants, on trouvera par exemple des textes dit de canalisation. En anglais channeling. En bref, il s’agit de textes intuitifs qui viennent par médiumnité.
(…) Si le channeling est intéressant, c’est justement parce qu’il opère au niveau de l’astral supérieur. Historiquement, il semble que la voie ait été ouverte dans les années 1960 à partir de Jane Roberts et ses canalisations de Seth. Il faut commencer par les lire, c'est très, très intéressant.
(…) Le texte est proposé simplement comme un partage d’information, destiné à un public motivé par ce genre d'enquête et pas à des spécialistes. Disons qu’il intéressera des chercheurs spirituels qui tentent d'y voir clair, qui apprécie les liens, les recoupements d’informations, des personnes qui ont une vision de la spiritualité qui n’est pas enfermée dans une religion ni même dans une seule tradition. Disons que d'un point de vue philosophique, la perspective la meilleure pour lire ces textes est évolutive. Dans la lignée de S. Aurobindo. Le monde est embarqué dans l’évolution et cette époque particulière dans laquelle nous vivons est tout à faite remarquable, car elle est une transition vers un nouvel état. Le monde tel que nous le connaissons s’en va et se dessine peu à peu les contours ce que nous pouvons appeler la Nouvelle Terre. Pour l'instant, c'est trop tôt, le sens commun rejette en bloc ce type de littérature, mais dans quelques années, il est certain qu'on lui accordera de plus en plus d'attention.

Ces lectures il les menaient déjà à l'époque où il a écrit sa prosopopée indûment attribuée à Huxley.

Depuis sa thèse, publiée en 1994 aux Presses Universitaires de Nancy, il n'a jamais publié dans une revue ou une maison d'édition spécialisée en philosophie. Il a publié plusieurs livres chez Almora, maison d'édition new-age rachetée en 2021 par les tristement célèbres éditions Guy Trédaniel. Il a aussi participé de 2004 à 2017 à la revue 3° Millénaire, revue new-age et pseudo-sciences et est intervenu une fois sur BaglisTv et dans le magazine Kaizen pour une interview aujourd'hui retirée du site. Comme je n'ai eu accès qu'à des extraits de ses cours, je ne me hasarderai pas à prétendre y déceler dans le détail ce qu'il pense. Mais la pratique de la philosophie n'est pas qu'une pratique personnelle est intérieure, elle est aussi une pratique sociale et il me suffit de voir dans quelle sphère il évolue pour avoir une idée du contenu et des orientations de sa pensée. Ces orientations sont manifestes depuis 2020. Carfantan a en effet publié à compte d'auteur trois livres sur l'épidémie de Covid : L'étrange affaire Corona, dont on peut lire des extraits pour le 1er, le 2ème, le 3ème. Avec les mêmes postulats ésotériques et la même méthode qu'il a utilisé pour ses lectures parallèles.

Pour lui, la réalité est d'abord une réalité spirituelle et ce qui arrive physiquement est la manifestation de qui se passe au plan de l'âme. C'est ainsi qu'il pense, s'appuyant sur les Vedanta, la santé et donc l'épidémie de Covid. Pour lui, cette épidémie a été une épidémie de peur et c'est cette peur qui provoque les symptômes. Cette épidémie est voulue en haut lieu, concertée, organisée, par Soros et Bill Gates. Pour le prouver il fouille internet, compile et commente les innombrables articles « dont l’autorité n’est pas reconnue, voire méprisée, mais qui sont très pertinents. » Oui : il récupère le pire de la complosphère pour en faire des livres. Livres dans lesquels il parle de complot mondial, d'élites pédosatanistes, de nouvel ordre mondial et de Great Reset, félicite Fouchet, Henrion-Caude, etc. On sait bien sur la tête de quels martyrs de telles considérations amènent fatalement à taper …

Bien sûr, pour beaucoup, tout ce qu'il relaye dans ces livres est débunké depuis longtemps. Mais Carfantan ne s'arrête pas à ça. Il a dit très clairement sur Agoravox ce qu'il pense des Fact-Checkers, et donc le mépris dans lequel il tient les simples vérités factuelles. C'est là une bien étrange philosophie qui amène à mépriser la vérité à son niveau le plus élémentaire.

J'aimerai finir ces mises au point sur une étrangeté. Carfantan, en 2007, écrit que « les méthodes du genre de celles d'Hitler sont dépassées ». Dans son troisième livre consacré au Covid, page 50, il cite pourtant Hitler comme si ses méthodes étaient parfaitement d'actualité (il affirme par ailleurs qu'il y a du nazisme chez Harari), rejoignant ainsi ses lecteurs inattentifs et ses quoters inconscients :

Vous souvenez-vous qui a dit : « grâce à l’application intelligente et constante de la propagande, les gens peuvent être amenés à voir le paradis comme un enfer et aussi à l’inverse, à considérer la vie la plus misérable comme le paradis. » ? C’était Adolf Hitler, qui était passé maître dans la manipulation de masse et dans l’utilisation de techniques subliminales.

Sauf que cette citation est pour le moins trompeuse. Ce n'est pas tout à fait ce que dit Hitler, dans la version de Mein Kampf que j'ai pu consulter :

Qui sera capable, par une utilisation habile et constante de la propagande, de représenter au peuple le ciel comme un enfer, et inversement, l’enfer comme un ciel ? Seul le Juif saura le faire et agir en conséquence ; l’Allemand, ou mieux, son gouvernement, n’en avait pas la moindre idée. Mais il fallut le payer très cher pendant la guerre.

Voilà le danger des fausses citations dans sa pleine expression : quand on croit citer Huxley, on cite en réalité Carfantan, auteur ésotérique convaincu, dont le complotisme a fleuri à partir de 2020 mais s'enracine profondément dans un parcours intellectuel qui s'étend sur des décennies, qui, pour parler de propagande, plutôt que de se tourner vers des auteurs autorisés, que ce soit sur la propagande politique (Tchakhotine, Le viol des foules, Domenach, La propagande politique), publicitaire (Berneys, Propaganda, Packard, La persuasion clandestine) ou médiatique (Bourdieu, Sur la télévision, Klemperer, LTI), il cite Hitler et, le citant, masque la dimension complotiste et antisémite du propos. Je ne sais pas vous, mais moi, ça, ajouté au reste, ça ne me donne pas envie de citer un tel homme. Par contre, ça me donne envie de savoir très précisément comment et pourquoi ce faux a pu s'imposer aussi rapidement et aussi massivement.

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