juste un petit essai, pour voir ce que ça peut donner, dans l'immense cosmos des locuteurs de ce journal....
DE L’ORIGINE, DE LA DESTINATION ET DE LA TRAJECTOIRE DES MOTSDe ma fréquentation d’un site sur internet, et de ma fonction dans une équipe médico-sociale, vient cette interrogation sur le destin des mots, sur les fonctions du « parler ».
Discutant avec la mère d’une personne qui fut en soins et mutique durant des années, j’ai pu mettre au jour le fait que, une fois sorti de ce mutisme, il n’avait plus jamais parlé pour ne rien dire, comme nous le faisons si souvent…
En contrepoint, si on peut dire, la persistance dans les blogs ou les équipes de mots qui génèrent des conflits, là où l’objet commun devrait amener à l’évidence l’adhésion commune, m’a conduit à tenter de décrypter les arcanes de « ce que les mots ne veulent pas dire »
S’il est probable que des milliers de publications savantes en ont traité mieux que moi, j’aspire néanmoins à un effet cathartique pour moi et éventuellement d’autres de ce questionnement.
D’abord il me faut relier, en Utopie, à l’horizon des dires, la congruence entre le concept d’équipe et celui de dialogue.
Une équipe, c’est ce qui, forgé à l’aune des désirs individuels et d’un destin collectif consenti, met tout en œuvre, dans la limites des possibles et des « faillances » humaines, pour bâtir la réalité de l’objet auquel est dévolue ladite équipe.
Le dialogue est ce qui se forme, d’un apprentissage commun, et qui repère et accueille la somme de tous les malentendus, de tous les avatars des idiolectes, et en traduit, quitte à s’interroger sans fards et à se répéter, un texte qui soit lisible par tous.
A cet égard, nous savons tous que les mots contiennent dans leur substance maints aspects de polysémie, mais aussi des usages et des fonctions variables selon l’accompagnement du ton, de la mimique, de l’interlocuteur, selon l’ambiance, selon le contexte et in fine l’intentionnalité de son usage.
Lorsque ces mots forment parole, ça se complique de la syntaxe, de la culture et des dispositions affectives et sociales du locuteur.
La pulsion « phatique » domine souvent le lien interpersonnel ; il suffit d’observer les comportements de café du commerce pour en savoir quelque chose : homo sociabilis est d’abord homo « locutophilis ». Besoin de parler, de se faire entendre, de valoriser par la parole nos maigres pensées et/ ou centres d’intérêts, aventures anodines vécues ou imaginées.
Ainsi recueillir l’attention des autres présente des soubassements narcissiques qui sont inhérents à notre condition humaine ; on peut ajouter que celui qui indéfiniment se tait, dans l’orbe d’un rassemblement quel qu’il soit, n’est en quelque sorte que l’envers de ce qui précède : il y a refoulement pulsionnel, et rarement choix délibéré.
Pas si loin que cela du café du commerce, le cyber espace nous propose un modèle voisin.
Comme au comptoir, au clavier le besoin est impérieux de couper la parole de l’autre, qu’on n’a souvent ni lu ni entendu dire, ou si mal, de renchérir sur le mode « oui, mais moi, c’est encore mieux, écoute (lis) ! Qu’elles sont rares, les postures d’intérêt, d’écoute sincère, voire d’admiration ou de méditation quant au dire de l’autre…
Comment, cet outrecuidant qui parle veut me priver d’être celui qui dit ! Un phénomène bien connu qui occulte, et même parfois dénie le corpus de ce qui a été dit par cet autre, alors vécu non plus comme un interlocuteur mais comme un gêneur, un castrateur de mots.
A cet égard, la fabuleusement rare apparition sur le net de questionnements, sauf avec ce qu’il faut d’agressivité culpabilisante ou violente, sur ce que le précédent scripteur a voulu dire, suffirait à démontrer que l’acte d’écrire n’est pas tout le temps, loin de là, sous-tendu par un réel désir de rencontre et d’échanges.
Dans les groupes professionnels (à dessein je ne parle pas d’équipes), et pour en rester à ce qui je vis et connais, les groupes des services médico-sociaux, la prise de parole me laisse souvent pantois, tant cela remue bien autre chose que ce qu’on pourrait en attendre : des mots dits pour humecter le palais, des mots pour chauffer les neurones, des mots pour faire valoir qu’on est là, des mots pour se rapprocher ou se différencier des autres, des mots de reproche et de stigmatisation, bien plus fréquemment que des mots pour encourager ou valoriser, des mots… pour ne rien dire, pour taire autre chose, pour s’opposer, pour fuir le silence qui parle un peu trop bien de ce qui est…
Les mots qui sont destinés à produire du sens et de l’efficience, à bâtir en convergence la cohésion désirante qui produit l’Equipe et le cheminement du travail qui est l’objet du groupe, ont parfois bien du mal à se glisser dans les interstices d’enjeux d’une toute autre nature, de la tentative imaginaire de justification de notre seul salaire, et non de nos ambitions professionnelles, au règlement de comptes tout aussi imaginaires avec des représentations internes incarnées par la figure mouvante de tel ou tel collègue, en passant par tous les stades de la constitution psychique, porteuse de motions narcissiques, de vécu persécutif des étrangetés de l’autre (j’écrirais bien : étrangèreté), de pulsions séductrices et/ou de maîtrise…
Si l’on a envisagé précédemment le « d’où je parle », un peu le « de quoi et pourquoi je parle », il reste à considérer l’adresse des mots dits, et le « comment et par quel chemin voyagent les paroles ».
A mon sens il n’y a pas plus flou que le destinataire réel, celui qui se cache derrière le destinataire manifeste. Interpeller celui-ci peut avoir pour objet d’attirer l’attention de celui-là, parler à un membre du groupe peut masquer une autre adresse, parler à la cantonade peut celer un « message personnel ».
Sans préjudice de ce que, à notre insu ou pas, nous adressons à un autre absent, à nos images intérieures, à dieu ou à personne, ou encore à un tiers médiat.
La parole proférée pour vider son sac, exorciser des affects trop pesants ou des pensées trop lourdes, ne s’adresse pas à autre chose qu’au fait de dire lui-même.
Parfois, dans le lourd portage du transfert à l’endroit des gens souffrants dont nous avons à connaître, c’est à eux que nous voulons parler. Refusant d’une part de les obérer de nos réactions agressives ou épuisées, d’autre part ressentant le besoin impérieux de faire sortir quelque part la charge de haine qui parfois nous habite, nous la déversons alors non sur l’alius, mais, par défaut ou précaution, sur l’alter…
Si l’on croit que nos échanges sont immédiats, de par notre présence au même café, sur le même site ou dans la même réunion, nous nous fourvoyons de belle manière.
Le vecteur d’une parole ressemble aux itinéraires de quête ou de fuite du papillon : très aléatoire quant à sa prédiction, très variable quant à son cheminement, et surtout très envahi de toutes sortes d’interactions et interférences : ce qui se dit ailleurs au même moment, ce qui a été dit ou vécu avant, ce qui de l’après coup infiltre le temps présent, ce qui s’infiltre des préoccupations et fantasmes non dits du groupe concerné et de chacun de ses membres, sans parler des effets du « bruit de fond » qui influe sur tout rassemblement de parleurs…
Il y a une démarche que j’aimerais bien pouvoir promouvoir : celle de prendre l’habitude, lorsque le jeu en vaut la chandelle, de s’assurer d’un vrai « accusé de réception » de la part de celui à qui on s’est adressé, histoire de vérifier simplement que le vecteur n’a pas trop déraillé de sa trajectoire, et que les influences externes n’en ont pas endommagé la substance.
Parler pour dire quelque chose, certes, mais en prenant garde que la fonction langagière ait réellement atteint son destinataire, son objectif, et, tout bêtement, qu’on puisse avoir le sentiment raisonnablement sûr qu’on a été compris. Question de respect pour l’autre, pour soi aussi, et in fine pour ce que c’est que lalangue (en un seul mot, oui, monsieur l’ordinateur !)
JC Duchêne, 8 Octobre 2010