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Billet de blog 17 mai 2010

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Philippe Koechlin, un vrai conteur de la "folie ordinaie"

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Philippe Koechlin, tu étais un ami après avoir été un maître, pour moi; je ne suis pas triste de ta mort, elle devait arriver, à ton âge, comme une fin de service; je me rappelle tes treks au Népal, alors que tu avais déjà 78 ans. et si quelqu'un doit avoir de la douleur, c'est du côté d'Edmée qu'il faut regarder.

Je ne suis pas triste pour toi, mais pour le fait qur tout le monde semble oublier les choses que tu as faites: en 1952, tu as, avec Daumézon, à Lisbonne, introduit dans la psychiatrie française, à la suite de tes fructueuses négociations avec un Ministère de la Santé improbable où "sévissait" l'innénarrable Mammelet, la notion de "mouvement de la psychothérapie institutionnelle".

Et ensuite, que ce soit à l'hospice Saint Jean au Québec, ou à Poissy dans les Yvelines, et dans moult groupes Balint, dont tu soutenais la valeur essentielle pour les soignants face à la misère supposée inentendable des patients les plus perdus dans le vaste monde, tu as toujours su garder la sagesse essentielle de l'humain, à la manière de Montaigne, qui consistait à dire "je ne sais pas trop, mais je pense que..."

Rappelle-toi: il y a quelques années, tu me disais, dans une de ces phases de ta modestie proverbiale, que toi et Daumézon, vous aviez éprouvé que votre titre de la communication de Lisbonne avait été un échec, dont tu voulais porter la responsabilité: tu me disais que le titre de cette communication eût dû être "mouvement pour une psychothérapie des institutions", à la manière de Tosquelles, de Fernand Oury, de Bonnafé et de Deleuze.

J'ai travaillé avec toi, comme vieux jeune interne, cousu de mes histoires professionnelles et personnelles antérieures, et jamais tu n'as dit la moindre chose, que ce soit à mon égard ou à celui de mes semblables, qui eût pu paraître une disqualification de nos efforts néophytes pour soigner les malades de Poissy, dont tu nous renvoyais en permanence le statut de personnes humaines, et dont tu voyais bien qu'à certains égards, nous nous montrions des "moins que rien" dans leur prise en charge, tout chargés que nous étions de nos idéologies de "Bambins"

Ce qui m'a le plus appris, de ta part, c'est l'infinie opiniâtreté avec laquelle tu déboutais nos "opinions définitives", en nous requestionnant sur les attendus de nos prises de position en apparence thérapeutiques, et qui ressemblaient davantage à des phénomènes projectifs, dont tu te méfiais comme de la peste. Jamais tu n'as accepté, pour les malades, des solutions à l'emporte-pièce dont nous étions parfois friands, histoire de résoudre plus vite ce qui nous apparaissait comme des impasses, et à toi des questions existentielles de la plus belle eau.

Philippe, tu m'as donné, lors de ma première expérience de soins aux psychotiques, non seulement la valeur de la patience et de la réflexion, mais aussi le sens précieux du doute, lequel autorise à l'autre des espaces d'expression inédits, et la profondeur du respect exigible des soignants à l'endroit des personnes en souffrance. De tout cela, je te remercie, et espère que quelque part, en un lieu que tu supposais sans le connaître, tu trouveras le repos de ton travail si généreux.

Je t'aime au delà de ta mort!

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