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Billet de blog 20 octobre 2011

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Salon light #8 "La route de la soie", édito par Sylvie Boulanger

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour tenter de résoudre l’ambiguïté d’un contexte artistique en crise qui tarde, peut-être volontairement, à s’adapter aux mutations du monde contemporain, une nouvelle génération de curateurs s’est constitué sur le modèle de l’éditeur indépendant. Considérant l’espace publié comme un espace public et l’acte de publier comme une performance, ils révèlent par cette forme les enjeux d’un nouveau contexte économique, social et technologique.

Animés d’un besoin de contemporanéité, ces éditeurs écrivent une histoire de l’art parallèle, ajustée aux urgences artistiques actuelles : fluidité, réseau, complexité des sources et des échanges, partage de l’autorité, nouvelles formes de transmissions, pratiques artistiques métissées de création et d’interprétation. Par l’usage des techniques industrielles et numériques, ils occupent un champ d’expérimentation multimodal et se jouent des frontières entre visuel, son, écrit, image numérique, image en mouvement mais surtout des déterminations entre document, commentaire et action artistique…. Au croisement de l’action, de l’information et de l’interprétation, ces éditeurs révélent et exposent des processus de recherches artistiques.

Une nouvelle route de la soie est ainsi inventée par des voy(ag)eurs animés du désir de rompre avec un art qui fait de l’objet, d’inventer un art complexe, qui véhicule du savoir et se démarque naturellement du produit de luxe. C’est la raison pour laquelle la géographie de ce réseau représente déjà une remise en cause de la scène artistique mondialisée.

Eloignés d’un impératif de profit mais attentifs à l’efficacité et à la rentabilité des projets, les éditeurs indépendants privilégient pour résumer, l’expérimentation artistique aux dépens du marketing culturel, l’émancipation du visiteur-lecteur aux dépens de la consommation et la transmission du savoir auprès d’une audience non ciblée.

Vivre une expérience artistique, la consumer plutôt que la consommer, tel est l’enjeu de ce marché de l’art distancé, qui préfère vendre le billet d’avion plutôt que l’avion lui-même.

Cette attitude n’est pas sans effet. Sans remettre en cause l’acte artistique lui-même, les pratiques de la publication agissent sur le partage de l’autorité entre les différents acteurs du processus artistique et représentent sans doute un germe déclencheur du déplacement des valeurs artistiques. La remise en cause de la spécialisation culturelle (ennemie de l’amateur), la remise en cause possible du modèle autoritaire classique dans l’art (ex-garant de la valeur ajoutée) et la mise en jeu d’espaces de pensée intime libérée de la production obligatoire, sont les trois bénéfices que l’on peut attendre de cette nouvelle énergie.

On pourrait croire à une croisade, il n’en est rien. Même si certains succombent à la tentation d’endosser la casaque du défenseur de l’éthique, la plupart et surtout les plus jeunes n’ont aucun besoin de puiser leur énergie dans une posture héroïque. Le sens du désir, la satisfaction d’une sensibilité et la volonté de réaliser ensemble sont les moteurs préalables à la pratique. Il s’agit bien de jubilation.

A l’instar de Jean-Luc Godard, le Cneai aime « ranger du côté des artistes » ces producteurs libres et independents et les réunir au Salon Light.

Mais de quelle audience parlons-nous ? Ethymologiquement, publier c’est rendre public, mais plus que l’objet, il s’agit de rendre public le statut artistique, tant il est vrai que les différents rôles de l’édition (auteur, éditeur, graphiste, collectionneur, conservateur, libraire et lecteur) sont ici tour à tour joués par les mêmes. Le salon light nous apprend donc qu’il existe une esthétique du partenariat éditeur/lecteur.

Gilles Deleuze relevait la violence d’une société où l’expression devenait une obligation.

« Nous sommes transpercés de paroles inutiles, de quantités démentes de paroles et d'images. La bêtise
n'est jamais muette ni aveugle. Si bien que le problème n'est plus de faire que les gens s'expriment, mais de leur ménager des vacuoles de solitude et de silence à partir desquelles ils auraient enfin quelque chose à dire. (...)”. Le livre est un espace de vacuité. L’audience du Salon Light s’est en effet révélée, à Paris comme à Sao Paulo, un public d’amateurs et d’acheteurs, éveillé et concentré, souvent silencieux, composite en âge et catégorie sociale, souvent intéressé au même niveau par l’art, le graphisme, la musique, la littérature, la mode, ou les sciences…un public d’interprètes.

Pour cette huitième édition, nous sommes heureux d’accueillir une cinquantaine d’éditeurs dont la moitié réalisent un display en volume de leurs publications les plus récentes. Les architectes Elisabeth Lemercier et Philippe Bona ont dessiné des étuis en métal aimanté qui, associés aux boîtes en cartons standard format A3, forment un module répétitif dont chacun s’empare pour réaliser sa propre architecture.

Des displays muraux complètent l’accrochage. Les artistes et les éditeurs organisent des présentations directes. Section 7 Books, le bookshop de Castillo/Coralès, galerie collective, dirigée par un groupe d’artistes, curateurs, critiques et écrivains, représente dans la salle de concert l’autre moitié des éditeurs. L’espace des Gratuits et l’espace des partenaires sont également situés dans la salle de concert. Charlotte Cheetham et moi-même organisons trois tables de recherche, une par jour, réunissant des acteurs de l’édition indépendante pour des discussions publiques:

- New art rites : à propos des nouveaux enjeux, formats et pratiques contemporaines de l'édition d'artiste;

- Chérie, j’ai réarrange la collection...: sur les nouveaux contextes et expériences de distribution, collection et exposition

- Monsters island : une discussion autour de curiosités editorials et animées de performances.

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