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Billet de blog 1 juillet 2009

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un soir d'été où l'air est tiède, les rues emplies de visages hâlés. Il est près de dix heures. Je rentre chez moi. Je traverse le Quartier Latin. Au "Racine", on joue "The king of Marvin Gardens ", un vieux film de Bob Rafelson. J'ai déjà vu ce film, qui parle des séductions de l'imaginaire, des vertiges de la vie rêvée. Jack Nicholson s'y révèle étonnant de sobriété. Je jette en chemin un coup d'œil machinal sur la file d'attente.

Stupeur d'un inattendu qui me coupe le souffle.

Il est là.

Il est là, parmi les premiers, miraculeusement et manifestement seul. Il lit un journal. Il porte un pantalon de lin et une chemise blanche.

Sans l'avoir décidé, sans même y penser, je reviens sur mes pas et me glisse à ses côtés.

Il pose sur moi un regard surpris, va dire quelque chose, se tait.

- Je suis un peu en retard... vous êtes là depuis longtemps ?

Il rit. Il ne répond pas.

Dans la file, où personne ne semble douter de ce rendez-vous fictif, un mouvement s'opère grâce auquel je suis comme intégrée dans le rang. On me fait de la place.

Il cale le journal sous son bras et s'appuie de l'épaule au mur du cinéma, contre les affiches colorées. Il regarde au loin, droit devant. Je cherche quelque chose à dire, n'importe quoi.

- La séance est à quelle heure, finalement ?

- Dans quelques minutes.

- Et...heu... vous préférez... près de l'écran ou plutôt loin ? Dans la salle, pour s'asseoir.

Il me regarde. Il est vaguement moqueur, gentiment ironique, comme souvent. Bien décidé à ne faire aucun commentaire, à me laisser me débrouiller seule. De toute évidence, la situation l'amuse beaucoup.

- Vers le milieu. Et vous ?

- Oh moi, je... moi aussi. En fait, ça m'est égal.

La séance en cours se termine. Un peu plus loin dans la rue s'ouvrent des portes qui laissent s'écouler de petits groupes de spectateurs. Quelques uns sortent par l'entrée, au bas des escaliers. Je les contemple avec un intérêt aussi soudain que passionné. La file progresse lentement. Nous arrivons près de la caisse. A l'entrée de la salle l'ouvreuse, qui se trouve être un jeune homme, nous invite à nous placer nous-mêmes. Quelqu'un me bouscule. L'espace est encore presque vide. Vers le milieu, deux places au centre de la rangée. Voilà. Il fait chaud, l'atmosphère est lourde, baignée de relents un peu aigres.

Nous sommes enfin assis. Nous n'utilisons pas l'accoudoir qui nous sépare. Il semble parfaitement à l'aise; j'attends fébrilement de début du film.

Il bâille. Il se met à bâiller. Il a bâillé. Je suis sûre qu'il a bâillé.

Incompréhensiblement ce bâillement m'affole et je ne trouve d'autre issue que de m'étirer à grands gestes, bras dressés au-dessus de ma tête. Je donnerais mille ans de ma vie pour que l'écran s'allume. Au moment où je m'y attends le moins, il s'adresse à moi :

- Vous avez vu autre chose, de Rafelson ?

A toute allure, en bénissant le ciel d'avoir de la mémoire, je réplique :

- Oh oui, oui. Plusieurs films. "Cinq pièces faciles", "Stay Hungry" et deux autres que je n'ai pas beaucoup aimés, "Le facteur sonne toujours deux fois" et "La veuve noire". Mais celui-ci est un des plus intéressants, à mon avis.

- Vous l'avez déjà vu ?

- Oui, heu... non... je veux dire... j'ai lu des articles. On dit que Nicholson est fabuleux parce qu'à l'époque, il savait encore jouer sobre.

- Ah oui ? Il y a aussi Ellen Burstyn. Elle était dans " Providence", non ?

Noir dans la salle. L'écran s'allume. Début du film, directement. Je me détends enfin.

Je regarde un film que j'ai déjà vu, assise près de quelqu'un qui ne m'attendait pas.

Il est là, nous sommes dans une salle de cinéma. C'est tout simple.

Je regarde les images sans les voir, tandis que résonne dans ma tête une phrase qui s'éternise en contrepoint jubilatoire : Tu es celui à qui toujours je dirai "vous".

A la sortie, quand nous nous quittons dans la rue, il me sourit du regard et murmure : "à bientôt"...

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