Vaste et légendaire presqu'île lointaine, le pays d'Hystéria fascine le reste du monde depuis le fond des âges. Son histoire connut des épisodes qui découragèrent maints explorateurs. Ainsi, du temps de Platon, la contrée était infestée d'animaux mythiques désignés sous le nom "d'utérus baladeurs" qui plongeaient les femmes en des angoisses extrêmes. Plus tard, l'Inquisition en fit son lieu privilégié et décima la presque totalité des forêts pour alimenter les bûchers où s'entassaient convulsionnaires et autres possédés. Au XIXème siècle, enfin, des thèses historico-biologiques visant à poser le sol d'Hystéria comme berceau de l'humanité provoquèrent la répression impitoyable d'un pouvoir médical incapable d'affronter la représentation intolérable du " Nous sommes tous des Hystériens".
La péninsule, aujourd'hui, offre au visiteur un excellent accueil car, de façon générale, ses habitants sont avenants et charmeurs - la séduction étant depuis toujours considérée comme l'un des Beaux-Arts en terre d'Hystéria. Citoyens et citoyennes, fiers de leur nationalité hystérienne, se déclarent souvent prêts à prendre les armes pour la conserver. Mais c'est probablement le seul Etat au monde qui, par le biais de sa religion officielle ( le Bovarysme) reconnaît à l'hystérien dit "de conversion" un statut plein et entier. Et tous entonnent à la moindre occasion l'hymne national : I can't get no satisfaction - scandaleusement détourné au XXème siècle par les Rolling Stones.
Etre de contrastes et d'oppositions qu'il s'applique à reproduire dans la vie, l'hystérien privilégie les à-plats de couleurs violentes, les lumières crues et aveuglantes, les sons intenses et polyphoniques. Il aime l'aigu, le pointu, l'angle vif. Il préfère les fleurs et les plantes à hampes. Il adore les villes, leur activité incessante, leur architecture verticale. Il raffole des parfums entêtants, du cuir, de la fourrure, des bottes.
Avec le boire et le manger, il répète les mêmes oppositions. Détestant le tiède, il choisira le glacé ou le brûlant, l'épicé et l'exotique. Et de l'hystérien comme figure de l'excès, on dira parfois qu'il excède.
Le parler hystérien, à cet égard, n'est pas dépourvu d'enseignements. Comment s'exprime l'hystérien dans sa vie quotidienne ? Il ne dit pas qu'il préfèrerait, qu'il aimerait mieux. En virtuose du superlatif, il "exècre" ou au contraire est "enthousiasmé par ". L'hystérien ne connaît pas l'indécion banale : il est dans une "errance existentielle". A-t-on cabossé le pare-choc de sa voiture ? Il se sent dans "un moment historico-politique de gravissime violence". Est-il à court de tickets de métro ? Il estime que c'est "dantesque".
L'artisanat local se distingue par son étonnante production de ceintures. L'hystérien, songera le touriste distrait, apprécie particulièrement ces objets. Pourtant, à la lumière des travaux de Label et Leclauchar, il apparaît que la ceinture est un élément essentiel de l'histoire hystérienne. Depuis les origines, la presqu'île fait face à un conflit opposant Hautes Terres et Basses Terres d' Hystéria. Les provinces, privées de limites fixes, subissent sans cesse des modifications territoriales et, curieusement, les Basses terres tentent de se fondre dans les Hautes Terres au moyen de subreptices poussées ascendantes. C'est pourquoi la ceinture revêt une telle importance pour le citoyen hystérien. Elle lui permet de corriger l'histoire et de délimiter sur son propre corps, en les reproduisant, les frontières qui font défaut à son sol natal.
Les dépliants touristiques du pays d'Hystéria abondent d'anecdotes savoureuses qui ne reculent pas devant l'auto-dérision. On peut y lire, par exemple, que lors d'une conférence ou d'un récital, vous gagnerez à coup sûr en pariant que celui qui tousse sans cesse est un citoyen hystérien. Sinus et Cosinus, les auteurs du dépliant, précisent non sans finesse que l'hystérien qui tousse exprime ainsi son vœu le plus cher : rester l'enfant chéri, le chouchou, le préféré auquel on passe tout.
Sinus et Cosinus remarquent également que, quel que soit le lieu, l'hystérien se touche. Regardez, disent-ils, les programmes diffusés par G.D.Visions, la chaîne nationale du pays d'Hystéria. Ne constatez-vous pas, sur l'écran, que les mèches de cheveux que ramène systématiquement derrière ses oreilles la star du moment seraient toujours en place si elle n'avait pas commencé à les toucher ? ( Penser à raccourcir la phrase en cas de publication).
En guise de conclusion :
Ne jamais oublier, qui que nous soyons et d'où que nous venions, que du sang hystérien a coulé, coule et coulera dans nos veines. Hystériens de toutes origines, unissons-nous !