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Billet de blog 27 juin 2024

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Quand le monde agricole s’engage contre l’extrême droite

L’assise rurale du vote pour le Rassemblement national et la percée du parti d’extrême droite dans de nombreuses régions ont pu donner l’impression d’un grand clivage qui se creuserait entre une France ouverte des centres-villes et ses périphéries tentées par le repli sur soi xénophobe. Qu’en pensent des organisations de développement agricole et rural présentes dans tous ces espaces ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les membres du Pôle InPact, organisations professionnelles ou citoyennes, réunissant une majorité de paysan·es ou bien d’autres citoyen·nes, implantées principalement dans le monde rural ou pour d'autres dans des milieux de vie plus variés, voient avec inquiétude l’extrême droite gagner en influence et se targuer de représenter agriculteur·ices et habitant·es des territoires ruraux. Car elles-mêmes font vivre un monde agricole et rural divers et riche de valeurs de partage, d'ouverture et d'humanisme.

Une ruralité à l’opposé de l’extrême droite

Le MRJC, vénérable association qui fête bientôt son centenaire, n’a pas l’habitude d’intervenir dans le débat politique à l’occasion d’élections. Le mouvement, qui réunit des jeunes ruraux, est néanmoins sorti de sa réserve (1), rappelant que le MRJC se situe « aux antipodes du modèle de société prôné par l’extrême-droite », un « projet excluant et discriminant ». Il appelle ses militant·es à se mobiliser par tous les moyens contre l’extrême droite, « par une pluralité de modes d’actions : tractage, affichage, porte-à-porte, réunions publiques, actions portées en équipes ou en sections, usage des réseaux sociaux, ou tout autre moyen qui permet de discuter avec nos voisin·es, nos ami·es, nos familles et les habitant·es de nos territoires… » Au-delà des élections, la meilleure défense du MRJC contre le RN, « c’est le vivre et faire ensemble en milieu rural, c’est cette vie de village, de rencontres, de proximité, d’échanges, de solidarités locales, de convivialité, qui nous permettront de refaire démocratie, pour refaire société ».

Accueil paysan, une association qui réunit des paysan·nes et des ruraux pratiquant l’accueil touristique, pédagogique, social ou culturel en lien avec la terre, récuse « l’image largement véhiculée de campagnes acquises au Rassemblement national [et souhaite] rappeler que la ruralité est diverse et variée ». « Loin d’une vision binaire qui opposerait ruraux et urbains, nos formes d’accueil favorisent ainsi la solidarité entre ville et campagne, entre les paysan·nes et les autres citoyen·nes. »

Alors que le monde agricole exprime souvent son malaise en s’estimant victime d'autres groupes (néo-ruraux ou urbains notamment), InPact défend une agriculture « citoyenne et territoriale », comme le signifie son acronyme, c’est-à-dire une agriculture qui priorise l’intérêt général, intégrée dans son environnement naturel, social, économique et culturel.

Les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) ont tissé depuis vingt ans des liens serrés entre monde agricole et mangeurs et mangeuses des zones urbaines, péri-urbaines et rurales.Quelques jours après les élections européennes et la dissolution de l’Assemblée nationale, le Réseau des AMAP franciliennes alerte : « Des partis d’extrême droite sont déjà sur le pied de guerre et tentent de séduire les fermes avec une campagne téléphonique ciblée et agressive. (…) Amapiens et paysans, vous pouvez faire de l’AMAP un lieu d'engagement concret pour cette campagne décisive. La bataille politique se joue dans les campagnes et les villes moyennes où vous êtes implantés partout en France. » « Il est essentiel, complète le Mouvement inter-régional des AMAP, que les amapien·nes et paysan·nes en AMAP en tant que citoyen·nes actifs et concernés par les enjeux sociaux, environnementaux, agricoles et alimentaires s’expriment. […] Notre mouvement est a-partisan mais n’a pas vocation à être neutre ni muet. »

Cette bataille contre l’extrême droite n’a pas attendu le 9 juin et se mène depuis des années. Transrural Initiatives, la « revue des territoires ruraux » animée par des membres d’InPact (Réseau Civam, MRJC, Terre de liens) et des partenaires proches, a publié à l’occasion de cette campagne quelques articles importants évoquant le Rassemblement (ex-Front) national et l’extrême droite depuis 2012. Une décennie de textes qui proposent, pour voter en connaissance de cause, « l’analyse de leurs propositions pour le rural et l’agriculture, de leurs actions quand ils sont localement au pouvoir, des raisons qui poussent parfois des hommes et des femmes de milieu rural à voter pour Le Pen, Zemmour ou Bardella mais aussi des initiatives visant à faire reculer le vote FN dans les campagnes... »

Illustration 1
Terre de liens, juin 2024.

Éducation populaire et solidarité

Les membres du Pôle InPact, comme nombres d’associations et de structures progressistes, s’engagent contre l’extrême droite en affirmant leurs valeurs : l’éducation populaire contre l’autoritarisme et la violence, la solidarité contre les discriminations diverses (racisme, antisémitisme, sexisme, LGBTphobie). La plupart d’entre eux appellent au vote, parfois en faveur du Nouveau Front populaire, d’autres à toutes les formes de mobilisation pour la défense de leurs valeurs.

Apartisanes et asyndicales, moins désireuses de prendre parti que les autres membres du réseau, les Afocg (associations de formation collective à la gestion) prônent « l’autonomie décisionnelle et le bien-être des agriculteurs·rices ». Elles font le pari de ne pas donner de leçons mais d’accompagner vers l’émancipation. Devant le risque d’une victoire du RN aux élections, l’InterAfocg craint des postures qui renforceraient les clivages et souhaite avant tout encourager le dialogue pour faire société malgré la diversité des points de vue. Un parti pris qui leur permet de toucher des agriculteur·ices de milieux plus variés et de faire bouger quelques lignes.

Solidarité Paysans, qui vient en aide aux agriculteur·ices en difficulté, est « en première ligne pour mesurer la détresse et la colère du monde rural ». Sans citer le RN, l’association a souhaité faire connaître son inquiétude face aux élections à venir et rappeler les valeurs qui guident son action : « le respect de l’Humain, la solidarité, l’autonomie et l’émancipation des personnes ». « Nous savons que les causes [du mal-être agricole] ne sont pas à chercher dans un quelconque péril migratoire ou [des] normes environnementales. Le repli nationaliste ne remettra pas en cause par miracle le modèle agro-industriel, tout comme la suppression des normes environnementales ne changera pas le revenu des paysan·nes. Pire, nous savons que le projet ultra libéral s’attaquera aux droits des plus précaires que nous accompagnons. »

L’Atelier paysan, coopérative qui promeut et forme à l'autonomie technologique, appelle à faire barrage au RN et à voter pour le Nouveau front populaire, notamment pour « parer au pire : la perte massive et brutale de libertés ». Entre les trois blocs électoraux en compétition, seul le NFP semble lui offrir la possibilité d'un rapport de force favorable par la suite. L'Atelier paysan se défend en effet de vouloir uniquement « faire barrage », à la façon d'un « peuple des castors » qui se condamne à voir les mêmes causes produire les mêmes effets. « Mais à l’Atelier paysan nous respectons le peuple et nous respectons les castors. Nous savons que leurs barrages ne visent pas tant à endiguer qu’à édifier et irriguer, et c’est ce que nous nous engageons à faire pour rassembler, construire et mobiliser, au-delà de nos cercles, dans une perspective auto-gestionnaire et populaire. Nous serons présent·es, sur ce sujet comme sur tant d’autres, pour construire d’autres politiques publiques agricoles et que nos barrages soient enfin à la hauteur », promettent les sociétaires de la coopérative.

Illustration 2
Réseau Civam, juin 2024.

De mauvaises réponses au malaise des mondes agricole et rural

Pour répondre aux divers malaises qui s’expriment d’autant plus fortement depuis 2018, « il est indispensable, affirment la Confédération paysanne et son association de développement, la Fadear, membre d’InPact, de rompre avec le modèle ultralibéral car [il] détruit les paysan·nes, les travailleur·euses et le vivant, creusant inégalités et brisant l’espoir en milieu rural comme urbain. Ce modèle est responsable de la montée du populisme et des idées de l’extrême droite. »

Une analyse partagée par Accueil paysan (le RN « ne sera jamais l’allié des paysan·nes, ni d’aucun des actuels laissés pour compte de la mondialisation ») et par l’Atelier paysan : « Surfant sur les mobilisations du début d’année, sur la détresse agricole et le sentiment d’abandon des territoires ruraux – où l’on perçoit, plus que dans les bureaux du ministère de l’agriculture, l’importance de maintenir le tissu social et économique que s’emploie à détruire le complexe agro-industriel –, le RN a fait de l’agriculture un de ses chevaux de bataille électoraux, multipliant les manœuvres de séduction, en totale contradiction avec son programme économique et social. Il faut le répéter : le RN ne sera jamais la solution, ce n’est pas dans leurs intentions, et certains de ses électeurs et électrices pourraient bien en être les premières victimes. »

L'Atelier paysan a pour appuyer son propos exposé le bilan du Rassemblement national en matière d’agriculture et d’alimentation, comme l'ont fait Terre de liens et SOL, avec l'aide du Collectif Nourrir. L’association de défense du foncier agricole Terre de liens avait déjà répondu en mai aux allégations du RN concernant un accaparement « étranger » des terres, alors que celui-ci est surtout le fait de grandes entreprises françaises. Elle a souhaité informer ses membres et sympathisant·es en proposant une lecture des prises de position des trois blocs (de gauche, centriste et d’extrême droite) à l’occasion de la loi d’orientation agricole sur les questions d’installation-transmission, d’accaparement des terres, d’artificialisation du foncier agricole et de soutien à l'agroécologie. La comparaison est favorable au Nouveau Front populaire sur ces sujets qui comptent à InPact.

Mêmes conclusions pour le réseau des Civam, associations d'éducation populaire en milieu agricole, le passage de la loi d'orientation agricole ayant donné l'occasion de juger sur pièces les positionnements des divers partis politiques : « Au regard des discours et des actes des groupes politiques, il apparaît une grande dissonance et une incompatibilité des partis de droite, de Renaissance à l’extrême droite, avec nos engagements et notre envie de construire un monde paysan porteur d’avenir, qui veut laisser aux générations futures des campagnes vivantes. »

SOL braque ses projecteurs sur le RN et montre que, malgré ses prétentions à défendre les agriculteur·ices, l’extrême droite ne soutient pas le revenu des paysan·nes et la meilleure répartition des aides PAC, vote contre l’objectif très modeste de 25 000 installations par an et tient un double discours sur les accords de libre-échange, pour lesquels elle vote à l’échelon européen, contribuant ainsi à « déstabiliser les agricultures des pays du Sud ». L’association, qui défend l’agroécologie paysanne en France et dans le Sud global, a d’ailleurs signé la tribune issue des associations de solidarité internationale.

La journaliste Amélie Poinssot notait déjà en mars dans Mediapart (en accès libre) : « Depuis le début de la XVIe législature, les 88 député·es RN, qui ont défendu des textes sur des sujets comme l’interdiction de l’écriture inclusive ou l’instauration de l’uniforme à l’école, n’ont jamais consacré la moindre initiative parlementaire aux problématiques du secteur agricole. Marine Le Pen, qui s’était présentée en défenseuse de la ruralité, avait pourtant fait du soutien à "nos agriculteurs et [à] une alimentation de qualité pour tous" l’un des points saillants de ses programmes présidentiels de 2017 et 2022. »

Dans la lettre de Basta !, Sophie Chapelle met en regard la paupérisation des consommateur·ices et celle du monde agricole. « Renoncer à faire trois repas par jour pour que ses enfants puissent manger à leur faim. Un·e Français·e sur quatre n'a actuellement pas d'autre choix. Pour les neuf millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, l'alimentation est une variable d’ajustement. (...) À l'autre bout de la chaîne alimentaire, de plus en plus d'agricultrices et agriculteurs peinent à vivre de leur métier. Eux aussi subissent les augmentations des coûts de production sans pouvoir toujours les répercuter sur leurs produits. Des profits ont pourtant bien augmenté : ceux de l’industrie agro-alimentaire ont plus que doublé entre 2022 et 2023, profitant de l'absence de toute régulation par le gouvernement. Quand la gauche réunie a proposé en avril dernier de garantir enfin, par la loi, un prix minimum d'achat sur les produits agricoles, le Rassemblement national s'est abstenu. »

C’est dans ce contexte que les membres d’InPact ont choisi d’appeler leurs adhérent·es et sympathisant·es à se mobiliser pour proposer un autre modèle de société, par la voie des urnes dans l’immédiat pour la plupart d’entre eux et pour tous sur le terrain, dans ce dialogue entre paysan·nes, habitant·es des campagnes et autres citoyen·nes qui constitue l’essence de ce mouvement.

Pour le Pôle InPact, Aude Vidal

(1) L’association a également signé une tribune qui rappelle l’incompatibilité du christianisme avec les idées de l’extrême droite.

Créé en 2001, le Pôle InPact est une plateforme associative réunissant dix réseaux et structures de développement agricole et rural qui accompagnent sur le terrain le monde agricole dans des domaines d’intervention complémentaires, en lien avec le reste de la société : émergence de projet, installation en agriculture et transmission des fermes, transition agroécologique et changement de pratiques, participation à des initiatives d’accès à l’alimentation, accompagnement des paysan·nes en difficulté ou en besoin de formation dans de nombreux domaines… Au niveau national, le Pôle InPact regroupe Accueil paysan, l’Atelier paysan, Réseau Civam, Fadear, InterAfocg, MRJC, Miramap, SOL, Solidarité Paysans, Terre de liens.

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