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Billet de blog 3 décembre 2023

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Les chroniques de Babylone. 1er épisode : la création de l'État de droit arbitraire

Respectons les valeurs républicaines et l'État de droit (sauf pour nous). C'est la nouvelle doctrine du gouvernement qui, tout en vantant les valeurs républicaines, parmi lesquelles l'État de droit, ne les respecte pas lorsqu'il y va de ses intérêts politiques, notamment en matière de droit des étrangers et de droit d'asile.

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Barbares ou civilisés, Oyez, Oyez !

Nous aurait-on menti ? 

N'avons-nous pas entendu à maintes reprises le Ministre de l'Intérieur, M. Gérald DARMANIN, à l'unisson avec son gouvernement et des Préfets de département s'égosiller en déclarant qu'il fallait respecter nos valeurs républicaines et l'État de droit ?

N'ont-ils pas scandé que les étrangers devaient s'intégrer et respecter nos lois ?

Pourtant ces dernières semaines ont été l'objet de scandaleuses violations de la loi, et en particulier de l'État de droit, par le ministère de l'Intérieur et nombreux préfets, qui s'autoproclament gardiens du temple républicain.

Cela a commencé le 2 novembre 2023 par un marocain qui avait été mis dans un avion en direction de son pays d'origine alors qu'il avait bénéficié d'une décision de libération du juge des libertés et de la détention (https://www.mediapart.fr/journal/france/101123/cense-etre-libere-de-retention-un-etranger-ete-expulse-vers-le-maroc).

La réponse apportée par la préfecture, fautive à l'insu de son plein gré, était soit que l'individu serait dangereux soit qu'il avait fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire et qu'il devait donc en tout état de cause partir bien qu'il eût été libéré du centre de rétention administrative.

Circulez (dans votre pays), il n'y a rien à voir !

Cela s'est poursuivi par l'éloignement d'un ressortissant Ouzbek alors qu'une décision de la Cour Européenne des droits de l'Homme suspendait son éloignement et que cette décision s'imposait aux autorités françaises (https://www.mediapart.fr/journal/france/011223/expulsions-d-etrangers-dangereux-la-france-pietine-le-droit-europeen. - https://blogs.mediapart.fr/lucie-simon/blog/231123/aujourdhui-letat-de-droit).

Peu importe la primauté de cette décision, il fallait éloigner cet individu prétendument dangereux sur la seule foi de l'analyse du Ministre de l'Intérieur et du Préfet de police, quitte à piétiner l'État de droit.

Après avoir déclaré au Sénat, dans le cadre de l'examen du projet de loi Immigration, que le séjour irrégulier redeviendrait un délit en méconnaissance du droit de l'Union Européenne,  le Ministre de l'Intérieur persiste donc dans sa vision de l'État de droit à géométrie variable.

Mais qu'en est-il lorsque l'étranger n'est ni dangereux, ni sous le coup d'une mesure d'éloignement et qu'il bénéficie, en outre, d'une décision de justice favorable ?

La violation de l'État de droit a atteint des sommets pour un vieil homme algérien de 72 ans atteint d’une sclérose en plaque, compliquée d’un accident vasculaire cérébral et accompagnée en outre d’une chlolécystite lithiasique, une pneumonie d’inhalation, un diabète non insulino-dépendant et une vessie neurologique.

Ce vieil homme en situation d'une grande vulnérabilité et dépendance, venu en France avec son épouse également âgée qui l'assiste au quotidien, avait été admis au séjour comme étranger malade. Son épouse, elle, était maintenue de façon précaire sous récépissé de demande de carte de séjour, un document permettant de séjourner provisoirement.

Il s'est vu refuser le renouvellement de son titre de séjour et obliger à quitter le territoire français, tout comme son épouse.

Ces décisions ont été annulées par le tribunal administratif de Montreuil mais cela était sans compter le refus du Préfet de la Seine-Saint-Denis d'exécuter une décision de justice rendue au nom du peuple français et ayant autorité de la chose jugée.

En effet, cet homme et son épouse, ni dangereux, ni concernés par une mesure d'éloignement ont appris d'abord par un agent, puis par un courrier  électronique de la préfecture que leur jugement ne serait pas exécuté tant que la Cour administrative d'appel de Paris ne se serait pas prononcée (V. ci-dessous).

Refus d'appliquer une décision de justice © Police de préfecture (pdf, 197.3 kB)

Or, contrairement à l'appel en matière pénale, celui en matière administrative contentieuse n'est pas suspensif (CE, 2 juill. 1982, n° 25388, Huglo. - CJA, art. R. 811-14) et le Préfet de la Seine-Saint-Denis devait donc exécuter la décision de justice rendue par le Tribunal administratif de Montreuil.

Quelle justification va donc trouver le Préfet de la Seine-Saint-Denis ou le Ministre de l'Intérieur pour s'attaquer, en toute indignité, à un vieil homme vulnérable et à son épouse, inconnus des services de police et ayant fait l'objet d'un jugement favorable rendu par une juridiction cette fois française ?

Le Ministre de l'Intérieur et les préfets ont donc réussi à créer une nouvelle notion, digne du "en même temps" macroniste : l'État de droit arbitraire.

Un État de droit accepté uniquement lorsqu'il va dans leur sens ; un peu comme l'usage du 49.3 finalement...

Leur sens c'est atteindre leur objectif politique, "quoi qu'il en coûte", un peu comme durant la Covid.

Leur objectif politique c'est de mener une politique conforme à leurs intérêts sans aucune limite.

Au fond, l'État de droit arbitraire n'est nul autre que la fin de la séparation des pouvoirs et l'autoritarisme, ce qui ne concernera pas que les étrangers.

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