En cette période de Noël où Willy Wonka offre un ticket magique pour accéder à sa chocolaterie, le Préfet réserve le même privilège aux étrangers.ères pour pouvoir entrer en préfecture.
Combien ont entendu un agent de sécurité privé, et en de rares occasions un fonctionnaire de police leur dire d’un ton ferme : « Vous ne pouvez pas entrer, il faut une convocation ! »
L’étranger.ère, qui autrefois faisait la queue toute la nuit comme pour entrer en discothèque, se voit désormais enjoindre par le vigile de rentrer chez lui.elle ou de partir au travail en l’absence de présentation de ce fameux sésame.
Qu’est-ce que cela change me direz-vous ? Les étrangers n’ont qu’à récupérer cette convocation aussi simplement qu’il suffit à un chômeur de traverser la rue, non ?
Mais obtenir ce ticket coupe-queue dématérialisé n’est pas à la portée de tous même s’il peut parfois se monnayer (comme à Disneyland Paris).
Il s’agit d’un véritable parcours du combattant digne des douze travaux d’Astérix.
Voici le mode d’emploi révélant une privatisation du service public.
Étape 1 : réunir ses outils
Comme pour monter un meuble, il faut des outils pour pouvoir accéder à la préfecture.
Il n’est évidemment pas question de se munir d’une pince monseigneur mais d’un ordinateur et si possible d’une imprimante scanner.
Il vous faut aussi une messagerie électronique et une ligne de téléphone mobile.
Pour ceux qui ne possèdent ni les uns, ni les autres, vous pouvez vous rendre chez un ami possédant ces outils et si vous n’avez pas de bonnes fréquentations, il vous restera les travailleurs sociaux, les taxiphones et les avocats dont le métier n’est pas à l’origine de prendre des rendez-vous en préfecture.
Étape 2 : savoir chercher, lire et qualifier juridiquement sur le site de la préfecture concernée
Chaque préfecture dispose d’un site où les onglets sont positionnés différemment et ne renvoient pas forcément au même contenu.
Parfois l’onglet « Accueil des étrangers » renvoie au dépôt de la demande de titre au sein de la préfecture concernée et parfois il renvoie vers des informations générales.
C’est alors l’onglet « Prendre un rendez-vous » qu’il faut sélectionner.
Ceci est d’ailleurs illogique car certaines demandes de titre de séjour font désormais l’objet d’un dépôt directement en ligne sans être reçu à la préfecture.
Ensuite, il est nécessaire de comprendre exactement dans quelle situation juridique on est, ce qui n’est pas aisé pour un public ne maîtrisant pas toujours la langue française.
Et même avec une telle maîtrise, comment comprendre les différences entre récépissé de demande de carte de séjour ou autorisations provisoires de séjour par exemple ?
Comment différencier les demandes de titre de séjour mention « Vie privée et familiale » de plein droit et ceux relevant de l’admission exceptionnelle au séjour ?
Les agents de la préfecture ont eux-mêmes parfois des difficultés à qualifier juridiquement les situations des étrangers en renvoyant vers des liens erronés.
Site des préfectureÉtape 3 : solliciter un rendez-vous en ligne ou déposer directement sa demande
Il s’agit maintenant d’entrer dans le labyrinthe d’Alice au pays des Merveilles et de trouver la bonne voie pour solliciter un rendez-vous ou déposer sa demande de titre de séjour.
Voie de gauche, vous pouvez solliciter un rendez-vous ; voie de droite, vous pouvez déposer directement votre demande sans vous rendre en préfecture.
La première concerne essentiellement la régularisation des vilains étrangers qui n’ont pas respecté les règles et l’autre vise en principe les étrangers sollicitant un titre de séjour de plein droit.
Aujourd’hui, seule la question des rendez-vous sera évoquée.
La voie de gauche mène elle-même à trois chemins : 1°) la prise de rendez-vous par un tableau horodaté ; 2°) la demande de rendez-vous par mail ou formulaire de contact en scannant généralement quelques documents ; 3°) la demande de rendez-vous via le téléservice démarches simplifiées.
1°) La prise de rendez-vous par tableau horodaté est aussi difficile à dénicher qu’un ticket de tombola gagnant. La préfecture met très peu de rendez-vous en ligne et ce nombre de rendez-vous est inférieur à la quantité d’étrangers qui se présentaient jadis sans rendez-vous.
Ce système, prévoyant d’emblée un nombre de rendez-vous inférieur à la demande, a occasionné une avalanche de recours devant les juridictions administratives afin d’assurer l’accès au service public.
À l’instar d’un fan achetant une place pour un festival de musique dès l’ouverture de la billetterie, pour avoir un rendez-vous, il faut donc rester jour et nuit devant son ordinateur et cliquer un nombre incalculable de fois avant que le site de la préfecture fasse apparaître un rendez-vous.
Évidemment, le ministère de l’intérieur et les préfectures ont oublié que la grande majorité des étrangers travaillent et n’ont pas le loisir de passer l’essentiel de leur temps devant un écran comme des consommateurs offrant leur temps de cerveau disponible.
S’installe alors un trafic de rendez-vous institué par des pirates informatiques qui en vendent ou en ont vendu à hauteur d’un SMIC (voir article de Le Monde, 1er juin 2019, Titres de séjour : le prospère business de la revente de rendez‑vous en préfecture).
Tableau Horodaté Le prospère business de la revente des titres de séjour2°) Toujours parmi les voies de gauche, vous avez ensuite la prise de rendez-vous par mail ou formulaire de contact. Il est généralement demandé de remplir un formulaire de quatre pages où il faut inscrire notamment le nombre d’heures travaillées chaque mois depuis son entrée en France.
Là encore, quid de la capacité des étrangers à lire correctement une fiche de paie.
Quid des heures de travail réellement effectuées par les étrangers qui sont souvent sous-déclarés ?
Il est ensuite demandé à l’étranger de scanner les documents relatifs à son état civil, éventuellement son visa d’entrée en France et son domicile voire d’autres éléments comme une attestation de l’employeur sur les périodes travaillées.
Un nombre très rare de préfectures ne demandent aucune pièce.
Ce chemin est généralement très long puisque les préfectures ne prévoient pas suffisamment d’agents pour traiter les demandes de rendez-vous. Les délais de traitement des demandes s’allongent et certaines ne sont d’ailleurs pas traitées.
Pire encore, les dates de rendez-vous sont de plus en plus éloignées comme à Paris où les rendez-vous sont fixés 1 an après la date où la préfecture répond à l’étranger.
Comme les prises de rendez-vous par tableau horodaté, cette modalité de prise de rendez-vous a entraîné de nombreuses saisines de tribunaux administratifs.
Formulaire de demande de titre de séjour3°) La dernière voie proposée sur le chemin de gauche est la prise de rendez-vous par démarches simplifiées, qui dans cette novlangue signifie le contraire.
Dans le jargon associatif, démarches simplifiées est d’ailleurs appelé « démarches complexifiées ».
Cette fois, il faut créer un compte puis remplir un formulaire en ligne avec, parfois de nombreux détails demandés qui sont inutiles comme la date de naissance des membres de la fratrie.
Il est nécessaire de scanner davantage de documents que par la prise de rendez-vous par mail ou formulaire de contact.
Mais surtout, il arrive que certains documents demandés ne soient pas exigés par la liste ministérielle pour déposer une demande de titre de séjour.
L’étranger se retrouve donc à communiquer davantage de documents pour obtenir un rendez-vous que pour déposer une demande de titre de séjour en préfecture, ce qui est illogique.
Les demandes de rendez-vous sont souvent classées sans suite dans un but statistique, un dossier classé étant un dossier traité parmi le quota qu’il faut atteindre quotidiennement.
Cette loi de la quantité au détriment de la qualité empêche ainsi les étrangers d’accéder à la préfecture pour un motif inhérent à la stratégie managériale des préfectures.
De la même façon que pour les prises de rendez-vous par mail ou formulaire de contact, le délai de traitement des demandes s’allonge, certaines préfectures comme celle de l’Essonne mettant 1 an à accepter les demandes de rendez-vous sur démarches simplifiées.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les tribunaux administratifs sont saisis de recours en raison de l’ineffectivité de ce système.
Démarches simplifiéesCar, il ne faut pas se leurrer, sans passer par un avocat ou des associations spécialisées qui bénéficient d’un réseau au sein des préfectures et qui savent donc à qui écrire ou sans former de recours devant le tribunal administratif, il n’est pas possible de bénéficier d’une prestation de service public.
Il faut donc d’abord connaître ces acteurs qui débloqueront la situation, régler des honoraires et effectuer de nombreuses démarches administratives pour avoir accès au service public.
Ce service public s’inscrit dans une conception darwiniste et privatiste où seuls « les meilleurs », les plus fortunés ou les mieux entourés finiront par obtenir un rendez-vous.
Le service public brûle et nous regardons ailleurs…