poppie

Abonné·e de Mediapart

151 Billets

4 Éditions

Billet de blog 16 octobre 2014

poppie

Abonné·e de Mediapart

Dans la gueule du loup

poppie

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Parmi les plus de 7 milliards d'humains qui peuplent notre planète, combien sont-ils à pouvoir dire que leur vie est belle, combien ont-ils simplement les moyens de vivre correctement, sans avoir faim ni soif,  sans redouter les guerres qui risquent à tout moment de briser leurs existences?    Sans être pour autant épargnés de tous soucis, nous imaginons difficilement la détresse où sont plongés des millions de nos contemporains.  Survivre dans les zones de conflit est déjà tout un programme, dur à réaliser, en tâchant de protéger au mieux sa famille, de lui assurer nourriture et soins indispensables, de lui assurer aussi un abri.  Beaucoup de groupes doivent fuir la maison où ils vivaient et chercher ailleurs un peu de secours.   C'est là qu'interviennent d'autres humains, qui supportent mal de savoir ces souffrances et de ne pas réagir.  Ils tentent d'amener à ces personnes, qui sont en grande difficulté, une aide matérielle aussi efficace que possible, et un soutien moral tout aussi indispensable pour avoir la force de continuer.

Des ONG se trouvent sur le théâtre des pires conflits, elles-mêmes ont à affronter de grands dangers.  On n'ignore pas qu'il leur arrive de devenir cibles elles-mêmes;  elles doivent donc agir avec la plus grande prudence pour ravitailler, soigner, réconforter...  

Car tant qu'une partie de l'humanité ne voudra pas admettre que nous sommes une seule communauté et que nous partageons à terme le même destin, tant que des rivalités seront créées, entretenues, pour la vanité de quelques-uns,  d'autres tenteront de ramener un peu de calme et d'humanité.

L'organisation SOLIDARITES INTERNATIONAL se trouve en ce moment dans une zone particulièrement dangereuse, où sévit le redoutable groupe DAESH.  Elle se trouve pour ainsi dire dans la gueule du loup, comme nous dit son directeur général, monsieur Jean-Yves Troy.

James Foley, David Haines, et il y a quelques jours Hervé Gourdel… Les assassinats d’occidentaux perpétrés par Daesh se multiplient. Malgré la menace qui pèse sur les travailleurs humanitaires, pour Jean-Yves Troy, directeur général de SOLDARITÉS INTERNATIONAL, partir de cette région, abandonner les plus fragiles n’est pas une option.


"Mais pourquoi vous allez vous fourrer dans la gueule du loup ?". C’est ce que l’on m’a récemment renvoyé après l’assassinat de David Haines, humanitaire britannique travaillant pour une ONG française, assassiné le 14 septembre 2014 en Syrie.

Parfois je me pose la question, le temps de quelques secondes. Puis elle est vite évacuée. Tout simplement parce qu’elle touche à notre raison d’être. A ce qui, chaque jour, nous anime : venir en aide aux plus fragiles, aux plus vulnérables, aux plus démunis face aux conséquences dramatiques d’un conflit. Secourir à la mesure des souffrances, en priorité aux détresses les plus urgentes, sans distinction de race, de nationalité, de religion, de condition sociale ou d’affiliation politique. Faire savoir et continuer à prouver qu’il existe bel et bien une aide désintéressée déconnectée des calendriers politique, économique ou judicaire. Ces principes fondamentaux qui régissent l’humanitaire depuis la création de la Croix-Rouge doivent continuer à vivre. Parce qu’ils sont aussi un pilier du "vivre ensemble" de la constitution d’un Etat, d’une société.

En tant qu’organisation d’aide humanitaire dans des situations d’urgence, oui nous sommes proches de la gueule du loup. Les humanitaires, comme les journalistes, sont les plus ciblés, parce qu’ils continuent de parcourir ces zones et d’être au contact de ceux qui n’ont d’autre choix que de subir. Nos objectifs sont différents : témoigner d’un côté, aider de l’autre, mais ils sont complémentaires. Alors quand nous sommes parmi les derniers sur ces terrains les menaces peuvent se faire plus fortes. Et quand la France entre en guerre en Irak, une menace s’ajoute alors à celles déjà identifiées.

Hervé Gourdel, randonneur, a été assassiné en Algérie 10 jours après David Haines. Il a été assassiné parce qu’il était français. Cette nouvelle donnée dans notre analyse ne doit à aucun moment nous faire céder à la panique. Nous devons intégrer cette menace dans nos façons de faire, dans notre discours, dans nos actions au quotidien, avec pour seul objectif de continuer à rester opérationnels auprès des populations les plus vulnérables. Continuer à travailler sur notre connaissance et notre analyse des contextes, adopter des règles de sécurité, mais surtout nous adapter en permanence pour minimiser notre exposition. Trouver de nouvelles voies pour continuer à délivrer une aide humanitaire, tout en gardant le contrôle sur sa traçabilité. C’est cette équation qu’il nous faut résoudre en permanence.

Il reste certes des inconnues. D’autres vont même surgir et venir troubler nos certitudes. C’est la juste balance entre le bénéfice que nous apportons et le risque pris par nos équipes nationales et internationales que nous devons évaluer au quotidien. Un autre danger serait de traiter cette question en baissant notre exposition : c’est simple, il suffit de déserter ces zones. Pas d’actions, pas de présence, pas de risques. 

Si nous cédons à la panique, des zones de non droit vont continuer à se développer, entraînant les populations dans une descente aux enfers sans témoins. Si nous restons, nous prenons des risques. C’est vrai. Nous en sommes conscients. Réévaluer en permanence ces situations, trouver la juste balance entre les risques que nous courons et les besoins auxquels nous répondons. C’est ce que nous allons continuer à faire pour ne pas tomber dans cette autre gueule du loup, tout aussi menaçante : l’inaction, qui n’a pour le coup plus rien d’humanitaire.

- Jean-Yves Troy, Directeur Général de Solidarités International

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.