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Billet de blog 15 juillet 2009

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Oser et partir en balade

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comme je n'ai rien à dire d'intelligent dans les commentaires (juste je m'informe, glanne : j'ai de nouvelles lunettes pour lire plus longtemps :).

Autant écrire quelques pages avant de partir en vacances puis rester silencieuse?

Non-réponse, petite offrande aux articles de littératures qui ont été aimées (ou pas) et lues, chocs de la vie, écho d'une année écoulée? Je ne sais pas bien.

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Premier article, premier écrivain de la chronique de la rentrée (je frémis à ces deux derniers mots : les articles scolaires sont en rayons, notre vacation foutue, l'oubli, la fuite aux Gémonies.?), des images et je ne sais rien de son livre ou si peu...Une voix, un regard, quelques pages et déjà tant.

Il était bien les cheveux courts. L'écrivain, pas le livre. Tellement BHL et moi tellement déformée, formatée, si peu surprise par le monde?

Le "Roman de l'été" me rappela la fin de l'hiver, puis la fin tout court. D'abord fière de connaître intimement un endroit que "peu de gens connaissent", puis rattrapée par le souvenir, l'ici et maintenant. Orgueil.

Et merci à Sylvain Bourmeau.

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L’écrivain expliquait que cette lande était méconnue de nombre de gens. Une terre oubliée et pourtant sauvage, encadrée du nord au sud par une centrale nucléaire et un centre de retraitement de déchets, nucléaires eux aussi. Un bout du monde en quelque sorte.

Son roman s’empare de familles, parisiennes et du cru, comme il dit, de marques et noms périssables ainsi que peut-être son livre, lorsque ces marques auront-elles-mêmes disparues. Peut-être, bien que je craigne que ce ne soit avant longtemps : le temps de la liquidation des marques aux trois ailerons noirs. Et que tout est périssable.

Hors, je connais cet endroit parfaitement y ayant passé une bonne partie de mon enfance, entre la Haute et la Basse, entre les deux Normandie, celle des raffineries de pétrole au Nord et celle du nucléaire dans les paysages du Cotentin, au Sud.

Souvent, j’en ris.

Pourquoi donc arrêter de fumer aujourd’hui ? Il n’y a pas de justice, la santé on l’a ou on ne l’a pas. Et puis, c’est une manière de défier la fatalité. Pourquoi attendre le cancer qui a été programmé du temps où l’on était encore sain et innocent de tout vice, du temps où l’on fut frappé quelque part à son corps défendant? Logique absurde, mais l’absurde nous entoure jusqu’à nos paradis les plus reculés. Nos plus beaux souvenirs.

Lorsque je rappelais M. après 5 années de silence, c’était avec la certitude de le retrouver, lui et sa joyeuse petite famille qui s’était, de mémoire confuse, agrandie d’un petit dernier quelques années auparavant sans que je puisse dater précisément son âge. Depuis que nous nous étions connus à l’école, son parcours m’apparaissait comme inéluctablement conduit par la réussite, le talent, l’intelligence, la sérénité, tant en amour qu’en travail. Je pouvais les laisser quelques années, je savais que je les retrouverais intacts de cette félicité dont je voulais ne serait-ce qu’entendre parler.

Je pouvais les laisser quelques années sans appeler, parce que je ne pouvais me fixer en rien. J’avais déménagé quatre fois en quelques années, la dernière comme souvent sans laisser d’adresse, précipitamment, dans l’urgence d’une défaite supplémentaire, d’un fiasco répété que je souhaitais être le dernier si possible. C’était un réconfort que je pouvais enfin m’offrir car je pouvais à mon tour dire que si tout n’était pas rose-rose, j’étais en état de partager une conversation avec humour, rire des bonnes choses de la vie. J’avais envie d’avoir de leurs nouvelles.

M. m’annonçât après le « comment vas-tu » quasi automatique du dialogue téléphonique, c’est-à-dire dans les premières 5 secondes, qu’A. avait un cancer depuis 4 ans et demi, la demie année n’étant pas négligeable car son cancer s’était étendu et avait maintenant gagné les os. Ils restaient malgré tout optimistes. A. allait bientôt retourner en traitement. Ils restaient confiants. Ils avaient bon espoir. M. fondit en larmes au téléphone, je restais sans voix. Je réussis à conquérir au fond de mes réserves des mots de compréhension, alors que je n’en avais aucune, des mots d’espoir et de réconfort alors que tout en moi tressaillait, chutait, s’effondrait égoïstement.

Je raccrochais et mis plusieurs heures à assimiler la nouvelle. Non.

Non, ce n’est pas ce que j’étais venue chercher, entendre, presque quêter.

Je voulais du bonheur à la pelle, de la réussite, des jours heureux en réserve, je les voulais tels que je les avais laissés la dernière fois. Heureux. Pour moi. Pour savoir que cela existe quelque part. Pas ce gâchis, pas cette ironie.

Et puis toutes les dernières fois me sont revenues en cascades. Toutes celles de ces vingt dernières années, celles où notre bonheur s’est oublié peu à peu, celles où notre jeunesse s’est altérée silencieusement jusqu’à la quarantaine. Celles où les enfants ont grandi, les couples défaits, le travail esquivé, les vrais chagrins révélés.

Je nous revois avec A., dans la Manche, loin, trop loin de la côte, avec sa petite sœur et une copine de sa petite sœur, nageant comme des folles les deux gamines accrochées à notre cou, hystériques. Nous avions mal évalué la marée et l’avions crue montante. Elle nous portait au large et nous ne nous en étions aperçue qu’en découvrant les silhouettes maintenant indéfinissables de nos compagnons restés au bord. Nous avions été tirées par le courant, il fallait le remonter.

Je revois parfaitement le paysage qui s’offrait à nous, du regard qui pouvait balayer la côte dans un panoramique de 180° et l’horizon chavirant de l’eau en premier plan. Des landes vallonnées, nues, jonchées de bruyères roses, des herbes rasées par les vents et le sel oscillaient entre les verts tendres, plus sombres et les ocres roux. A leurs pieds, la large bande de sable fin et les dunes herbeuses. Devant, les silhouettes s’agitaient, les têtes réunies au-dessus de ce que l’on devinait, parce ce que nous le savions, une scène que M. et mon petit ami de l’époque tentaient de filmer avec une caméra Super8. Des boules de pétanques en pleine chute et le point d’impact dans le sable éclaboussé.

Nous étions fin mars, ils avaient trouvé l’eau trop fraîche. En filles du pays, nous l’avions trouvée délicieuse.

Les gamines paniquaient sur notre dos, nous étranglaient et nous empêchaient de nager correctement, et surtout nous épuisaient plus qu’il ne le fallait. Je me souviens qu’A. avait giflé sa petite sœur qui s’était calmée illico. La surprise du geste, l’autorité teintée de peur d’A. l’avait pétrifiée. L’autre petite fille avait compris qu’elle risquait le même traitement de sorte qu’elle avait suivi le mouvement.

Nous avions nagé ainsi une bonne demi-heure avant de nous approcher du rivage, là où le courant devenait moins fort et où nous nous savions sauvées. Nous avions tenté d’appeler les deux garçons qui, croyants que nous les saluions, nous rendaient nos gestes par de grands mouvements de bras joyeux. Nous les entendions rire et s’amuser de leur tournage improvisé. De loin. De loin. C’est cette image qu’il me reste de ce moment, celle-là, la gifle et celle-ci, le paysage magnifique devant nos yeux, surmonté de nuages gras et gris déchirés d’éclaircies capricieuses. Un bon moment pour mourir avec lequel nous avions lutté de toutes nos forces pour sauver notre peau. Aujourd’hui en sachant, je me demande si aurions fait autant d’efforts. Oui, sûrement. Bien sûr. Nous étions jeunes. Nous aimions la vie simplement, comme une promesse évidente.

A. l’a aimée jusqu’au bout, cette vie. Ce n’est pas juste.

Moi qui n’en ai parfois qu’une conception fort distanciée jusqu’à l’indifférence et la fatigue. Je fume, je bois, ne ménage pas ma monture en espérant qu’elle va tomber dans le ravin de « pas de chance », pense à des suicides maquillés en accident (pour les assurances), je dissémine mentalement ma progéniture chez des gens qui les traiteront bien ; les laisser ensembles serait l’idéal, mais est-ce possible ? Bof. Bref, j’en fais mauvais usage. Je la gaspille. Quoique je trouve aussi que le contraire est parfois vrai par les temps qui courent. Après ces pensées lugubres, je ris de ma bêtise, de mon désespoir du moment. Le jour se lève et je ris.

Je trouve d’ailleurs tout cela absurde, ridicule, mauvais, cruel…Injuste est le mot qui revient au hit de ma boucle idiote et douloureuse. Je me sens stupide. Je suis désarmée.

Les larmes raclent le fond de ma gorge pour se frayer un chemin. Je ne sais pas pleurer en plus de ne pas savoir vivre. Aucun don pour cet acte naturel et d’ordinaire si touchant chez les femmes. Rien de comparable avec ces beaux chagrins qui débordent des yeux expressifs, profondément douloureux des scènes de cinéma. Non. Juste un veau au museau plein de morve à force de retenir le truc qui veut sortir de toutes ses forces, de juguler ce qui, n’en étant pas moins une forme de chagrin, est aussi une énorme rage.

Appuyée au comptoir de la cuisine, ma petite dernière devant moi avec des yeux de merlan frit, j’éclate en sanglots.

« C’est pas moi, maman, j’ai rien fait », se défend-elle timidement.

« Non, mon cœur, ce n’est pas toi, c’est du chagrin ». En la voyant ainsi, je pense à M., je pense aux gosses, au petit dernier …je pense à lui. Je pense à moi.

Je ne peux pas lui expliquer que c’est aussi sans doute de la peur. J’ai peur. Je suis égoïste parce que je pense à mes gosses qui se retrouveraient sans mère, et je sais vaguement, intuitivement, ce que cela peut faire parce que c’est pour ça que je suis encore là. Quand je pense à la mort, invariablement les larmes me montent aux yeux quand je les imagine orphelins.

Je pense à M.

Je pense à une salade de pois chiches qu’A. préparait magnifiquement bien mais pas à celui qui m’accompagnait ce soir-là. J’ai oublié. Je le lui écris.

Un champ de colza sous un ciel d’orage. L’odeur entêtante des fleurs et l’enfant de six mois dans mes bras. J’ai 25 ans et je suis un peu perdue en faisant bonne figure. Je suis maman et me dois d’être heureuse ce qui parfois m’arrive mais pas comme je l’avais imaginé. Des flashs comme ça, désordonnés, anachroniques, et la surprise des larmes qui viennent à n’importe quel moment de la journée.

Je pense à la Hague et son usine de retraitement de déchets. Je pense que forcément, ce n’est, et ne sera pas, sans conséquence sur la santé de ceux qui ont habité ou habitent dans son périmètre. Je pense que les organismes n’auront pas tous la bonne idée de résister, de s’accommoder, ou de s’enfuir avant les dégâts.

La lande est pourtant si belle, intacte et sauvage.

Comme un poison magnifique déposé là, dans toute sa candeur, l’air de rien, semblant dormir au creux de l’anse, l’usine est là. Elle pense à la mort peut-être, comme d’autres respirent. Parce que nous n’avons pas d’autres solutions que d’habiter quelque part. Et ici, c’est beau, c’est quelque part. Je sais que le métabolisme peut être programmé pour développer des métastases sans contexte hostile. Mais quand même, j’y pense. J’y ai repensé devant l’insoutenable. Comment ne pas y penser quand le bonheur expire ?

Je pense à M.

Nous nous appelons plus régulièrement. Rapidement la fin d’A. s’annonce. Il ne lui dira pas, parce qu’elle veut encore croire qu’elle peut lutter. Je le rappelle encore. Je ne comprends pas. Pourquoi lui cacher sa mort. Elle doit pouvoir se préparer, parler à ses enfants. Je ne sais pas. Et puis ce poids quotidien du mensonge, du non-dit, d’être seul à savoir, sans elle. Non. Sa décision est prise. C’est mieux pour elle. Juste pour elle. Pourtant ils se sont promis de ne jamais se mentir sur la maladie. Il pleure. Il pleure et je ne peux rien faire. C’est ainsi. Alors je reste là. Je ne fuis pas, je l’écoute. Tout ce qu’il veut dire, il le dit. C’est tout ce que je peux faire.

Elle est morte peu après le Nouvel An. Un mail de M., avec la photo d’A. sur fond rouge sombre. Simple, très simple. Sobre. Définitif.

Je ne peux pas me déplacer pour la cérémonie. C’est trop loin, trop de kilomètres en trop peu de temps.

Je veux commander des fleurs par correspondance. Je suis assise devant l’ordinateur et tape les mots clés sur le moteur de recherche. Je veux des fleurs simples, un bouquet pas trop apprêté qui ferait naturel sans flonflons, pas kitsch, pas des fleurs de cimetière. Je cherche les fleuristes qui font les livraisons à distance.

Je panique.

Ce n’est pas possible.

C’est impossible.

Il n’y a pas de fleuriste près du village où habite M.

Pas sur Internet, pas sur les pages jaunes. Je ne comprends pas. Je me mets à pleurer comme une enfant perdue dans un magasin. Je n’arrive plus à réfléchir.

Je n’avais jamais eu à chercher des fleurs pour un enterrement, pour celui de quelqu’un de mon âge. Même si, même si, il y a eu des morts, oui. Je l’ai su. Il y a eu des morts. Mais des morts peu étonnantes, des morts comme de tristes évidences. Presque des soulagements. Pas là. Non. A. aurait voulu vivre, elle aimait ça.

Elle avait accepté m’avait dit M.

Elle regardait la mort en face. Elle était courageuse. Pas moi. Pas encore. Je n’ai pas eu le temps de m’y faire. Pas encore. Pas à la sienne.

Je fais défiler les propositions de bouquets sur l’écran. J’aurai voulu des pivoines. Ce n’est pas l’époque des pivoines. C’est l’hiver.

Ils se ressemblent tous.

Il y a les couronnes, rondes, horizontales, pour mettre sur le cercueil ou à côté, et avec ironie parfois on pourrait permuter mariage et enterrement qui semblent partager le même désir de pureté, comme les écoles ou les crèches sont sises face aux cimetières.

Ces compositions puent la mort par correspondance, la bienséance, la politesse. Il faut que je me décide, que j’oublie mes idées farfelues de bouquet d’herbes folles, de la poignée de soucis et de la joie infantile de les avoir cueillies en ratissant le jardin de la bonne amie de ma grand-mère. Je ne peux pas envoyer la vie, la mémoire, le souvenir de l’allégresse. Je clique les yeux pleins de larmes, pour un bouquet équitable qui reverse 1€ à une association de Bretagne pour les enfants maltraités. Emballé dans du papier. Recyclable.

Je parle avec mes enfants de ma mort. Qu’on file les organes pas trop pourris aux dons d’organe. J’ai la flemme de signer la paperasse, mais ils n’auront pas d’état d’âme au cas où il y en a un de bon. Pas de tralala. Un cercueil en papier sans poignées en or m’ira très bien, pour être cramée c’est parfait. Si je suis vieille, ce sera encore mieux. On n’en parle jamais. Ils écoutent. Ils n’ont pas peur eux. Je leur parle d’un avenir inéluctable : ils m’enterreront. C’est le bon ordre des choses, le seul que je souhaite. Ils comprennent. C’est simple. Ils comprennent aussi que parfois, les cartes sortent dans le désordre. Comme aujourd’hui.

Un après-midi au large de la Hague, à notre course contre la marée, au sel qui entre dans la bouche, à ses yeux bleus qui se sont fermés et ont emportés son regard. Là-bas.

Loin de tout, loin de nous, périssables encore.

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