Je suis revenue amère et déçue de Paris la semaine dernière.
J’ai fini d’avaler mon petit cailloux de calcaire hier. Je m’en suis voulue d’avoir été jusque là avec autant de naïveté, de candeur, de croyance idiote dans les valeurs démocratiques.
Je m’explique et ce sera bref.
Je me suis inscrite à un concours de la fonction publique (direction des établissements supérieurs des enseignements artistiques) car par mon cheminement professionnel, je pensais immodestement pouvoir y prétendre. Ces concours sont ouverts à tous citoyens pouvant justifier du niveau d’études requis et leur organisation sensée protéger l’égalité des candidats. Ce qui est écrit, promis et promulgué est : tout citoyen peut s’engager dans la mission territoriale s’il fait la preuve de sa compétence en termes de culture, de connaissances et de capacités et ainsi servir les intérêts publics. Ce dont je me fais personnellement une très haute idée.
J’ai passé les écrits, anonymes, et ai été déclarée admissible pour les oraux.
Je me suis présentée donc mardi dernier, au lieu et à l’heure mentionnés. Je passais ce concours en « externe », extérieure donc à la fonction publique.
J’ai croisé dans le couloir d’autres candidats, forts sympathiques au demeurant. Ils sont directeurs d’établissement, de régions différentes. Je comprends aussi que tous les candidats que je croise connaissent les membres du jury : ils travaillent ensembles, ce sont des pairs ou des collaborateurs habituels. Je comprends que je suis la seule à ne pas les connaitre.
Un peu plus tard, en discutant, je m’aperçois que certains de ces directeurs passent le concours en externe. C’est déjà moins drôle.
Un peu plus tard encore, en consultant la liste des candidats reçus, je m’apercevrais que 2 des candidats retenus sont des directeurs effectivement déjà en poste, dont un que je n’ai pas croisé ce jour-là (a-t-il eu la chance de le faire à distance ?). Le troisième nom est celui de quelqu’un déjà en poste à Aix, à priori en tant qu’enseignant. Internet dit tout…
En quelques instants, rassemblés et compacts, je comprends que je me suis déplacée pour faire de la figuration, pour légitimer la légalité d’une procédure administrative. En gros que je n’avais aucune chance de passer le cap des oraux de ce concours, ni d’être retenue ou jugée intéressante eu égard à mon parcours hors collectivités territoriales. Là où je n’ai pas de réseau, pas de connaissance, aucune expérience soyons clairs. Je ne pouvais que mettre à disposition mes compétences générales puis me former aux spécificités du poste que je briguais.
J’ai beaucoup travaillé pour m’informer des dispositifs administratifs qui gèrent ces établissements et leur personnel (Etat, collectivités territoriales : élus municipaux, départementaux et régionaux, lu les rapports du Sénat sur les formes juridiques spécifiques qu’ils doivent adopter, éplucher la directive d’avril dernier de Christine Albanel sur les mises aux normes Européennes de ces établissements, chercher des témoignages et des voix différentes sur ces politiques (beaucoup de décentralisation, d’Europe et de règlementations ou dérèglementations au choix…). J’ai donc pu aisément comprendre que même si j’avais été retenue sur la liste des élus, je n’avais aucune chance de pouvoir m’insérer sereinement dans la fonction.
Il faut savoir que les élus qui décident d’embaucher un directeur ne sont pas obligés de se référer à cette liste : ils sont libres de leur choix, de la personne, de son profil, de ses compétences.
D’autre part, n’ayant aucune expérience de direction, je voyais mal comment attaquer la falaise : qui de l’œuf ou de la poule ? Et me former, écrire un projet pédagogique sans collaborateurs, sans équipe, sans connaissance des spécifités du contexte ? Ce parcours n’est pas accompagné.
Je comprends les choix qui ont été faits : si des personnes exercent déjà des fonctions de direction, il est normal qu’ils soient reconnus en tant que tels dans leurs fonction. Ils ont l’expérience, les arcanes du réseau, les compétences.
Mais alors, pourquoi ouvrir ces concours à des gens comme moi, jouer ce simulacre ?
Pourquoi laisser de l’espoir « aux autres », les laisser croire qu’ils seront traités avec impartialité, comme tous les candidats ? Pourquoi les immiscer dans une procédure qui ne fait que les utiliser?
Pour préserver encore un peu le vernis de l’égalité et de la transparence ?
Sincèrement, changez ces procédures malsaines, perverses et cruelles. S’il vous plait ! Instituez que vous ne rendez compte à personne dans vos choix, que l’entre-soi et la chapelle sont bien gardés : recrutez directement dans le sérail. Soyez clairs !
Je ne crois pas être la seule à avoir fait cette expérience. Seulement, moi je viens de le découvrir dans toute son ampleur. Et c’est insupportable. Non d’avoir été « éliminée », mais simplement manipulée.
Dernier détail : ces concours peuvent être organisés pour justifier une nomination. Je m’explique : un poste est ouvert, mais le candidat a déjà été choisi. On organise donc un concours où tout le monde a sa chance de concourir. Sauf que le poste est bouclé (témoignages de couloir).
Ces concours coûtent de l’argent. L’ANPE a payé mon premier billet de train pour aller (et revenir) à Paris. C’est de l’argent public. A bon entendeur. Et je ne pourrais pas me faire rembourser mes notes de frais. Argent privé.
Voilà c’est fini. Je peux me concentrer sur mon karma d’artiste-intellectuelle au RMI maintenant.