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Billet de blog 18 mai 2009

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je n'ai plus à être en réserve, eu égard aux concours que je passais, donc voici nos échanges avec Vincent Truffy sur Hadopi et la création artistique, Internet et plus largement. Comme nous le savons, cette loi est depuis passée et cet échange, un peu à côté de l'actualité brûlante.

Nos démarches, raisonnements, opinions ne pèsent pas grand chose contre la volonté d'imposer...Mais comme nous le suggère ce bon Hees, aboyons, aboyons, il en restera toujours quelque chose?

En voici la copie :

"Bonjour Bérénice,
c'est passionnant. Pourquoi ne pas le poster sur le blog de Potron-Minet?
V

>
> Bonjour,
>
> Cela fait un moment que je me promets de répondre à cette invitation. J'attendais un peu de voir si les choses bougeraient, bien que sachant que ce ne serait pas le cas.
> Les raisons en sont diverses mais visibles notamment au travers des positions contraires voire en opposition totale des acteurs culturels : je dépose souvent des œuvres à la SCAM par exemple, qui elle soutient activement et sans objection les projets du gouvernement pour les lois "Internet et création". Elle souscrit à l'analyse faite par la commission sur le lèse des droits d'auteurs et le téléchargement dit illégal. D'autre part, nombre d'artistes sont favorables à une régulation, toujours pour des raisons de droit d'auteur, mais aussi pour protéger la propriété intellectuelle des œuvres. De notre côté (artistes du réseau, ou multimédia ou du numérique : je ne développerai pas ici toutes les impropriétés de ces appellations) nous n'avons pas les mêmes analyses. Non que nous ne connaissions pas de problèmes de modèles économiques quant à la diffusion de nos œuvres, mais parce que nous pensons (et encore vraisemblablement pas à l'unanimité) que ces lois telles que présentées, ne changeront pas le problème. Elles sont avant tout liberticides (un train peut en cacher un autre) et ce sont étrangement des instances sensées garder les libertés individuelles qui s'y opposent le plus ardemment.
> Nous pensons que les questions posées par la commission et les acteurs invités à y répondre ont biaisé les réponses pertinentes. Cela pose ailleurs, et de façon peu réfléchie, l'accès à la production culturelle : quelle production (industrie culturelle principalement, soyons clairs), pour quel public?
> Nous connaissons tous les pratiques de téléchargement P2P : la plupart de ces téléchargements n'auraient pas créé un achat légal systématique, loin de là. Au contraire, le téléchargement permet des découvertes, qui sinon n'auraient pas été tentées et peuvent entraîner des achats.
> EX : je n'achète un livre nouvellement paru que si j'ai une certitude de faire un achat intéressant (ne pas être déçue). Les livres sont vendus en moyenne 20€, ce qui est un investissement important pour la plupart d'entre-nous.
> Un DVD nouvellement édité se vend dans cette même tranche de prix. L'achat passera par les mêmes cheminements. Le prêt, les médiathèques et bibliothèques sont des recours, mais non accessibles à tous surtout quand on ne vit pas dans une agglomération urbaine importante, avec une politique culturelle dans ce sens etc.
> Je peux aussi pousser jusqu'à la presse : récemment j'ai beaucoup pris le train et ai acheté des revues. Lire et Le magazine littéraire, vendus à 6€. Je dois avouer que au regard des contenus, ces prix sont monstrueux.
> On ne peut donc pas reporter le manque à gagner des producteurs et des secteurs de la distribution en transvasant directement et sans une certaine prudence le nombre de téléchargements en "défaut d'achat". Ces questions des usages n'ont pas été posées.
> Une des questions à se poser c'est : pourquoi les "consommateurs" se tournent-t-ils vers des supports tels qu'Internet outre leur légendaire mauvaise fois ou paresse à désirer des contenus qui seraient gratuits?
> L'industrie culturelle ne peut pas ne pas faire son méa culpa : les supports sont devenus plus économiques et plus facile à produire, mais sont restés chers pour une offre de moindre qualité (les bonus track des DVD sont parfaitement indigents dans 99% des cas et ne justifient pas le coût à l'achat). Le consommateur n'est pas non plus stupide...
> Les téléchargements compulsifs : les gens ne peuvent humainement pas tout regarder. Auraient-ils achetés 2000 DVD ou plus de toute façon?
> Autre ironie, qui n'échappe pas à grand monde : le pourcentage des droits d'auteurs reversés pour une vente légale est dérisoire, à moins d'être dans une logique industrielle. Les problématiques sont donc essentiellement traitées versus industrie culturelle.
> Qu'en est-il de la création à proprement dite? Quelles réflexions ont été menées sur celle-ci ? Ou devrais-je demander : quel curiosité y a-t-on porté? Quelles questions posées dans le sens de la novation et des pratiques artistiques actuelles en lien avec les NTIC, quelles prospectives? Aucune.
> Il y a un grand désintérêt pour cette question dans nos institutions. Une grande méconnaissance de même. Pas de suivi sérieux des œuvres financées : les responsables, tant au niveau de la DRAC que des Régions (je connais moins bien l'État) ne savent pas quoi penser des productions. Dans le doute ils s'en remettent à des artistes qui ont pignon sur rue, bénéficient d'une reconnaissance (réseautage, pinces-fesses, capacité à communiquer et à flagorner les représentants de la culture...parfois un réel talent quand même). Mais de leur propre culture, analyse, expertise des pratiques ils ne savent pas anticiper, favoriser des émergences. Par une sacrée fainéantise aussi...On vit plus un syndrome Gaugin ( clin d'oeil à un roman de Romain Gary, La tête coupable) dans le monde de l'institution culturelle qu'autre chose.
> Pourquoi une si aveuglante illisibilité de nos pratiques, de notre parole, de nos avis? Une des raisons évidentes est donc un grand désintérêt-incompréhension institutionnel, mais aussi parce que ces pratiques ne produisent que très peu de flux commerciaux, voire pas d'industrie. C'est assez vrai pour une partie des œuvres à disposition du public, mais faux dans une analyse plus profonde. L'industrie du jeu vidéo a été de justesse soutenue il y a quelques années : cette industrie produit outre des objets commerciaux souvent insipides, de vrais créations. Plus confusément, les industries commerciales s'inspirent très fortement des expérimentations artistiques sur Internet et-ou de nature numérique, souvent très imaginatives à la fois dans la critique des systèmes, mais aussi sur le détournement. Quand Christophe Bruno expérimente les moteurs de recherches et le prix des mots (AdWords), il a attiré quelques intérêts de la part de nos amis de Google, par exemple...Cas célèbre.
> La loi Internet et Création passe tout à fait au-dessus d'un monde artistique qui a adopté, non sans paradoxe, des pratiques de libre-échange, de copier-coller du flux, laisse aussi en libre accès partiel ou total (copyleft-creativ commons) leurs œuvres. D'où tout l'intérêt que j'ai pu porté à des propositions plus imaginatives en termes de droits d'auteurs et de diffusion.
> Nous posons aussi la question récurrente (les surréalistes en leur temps l'ont posée) de l'auteur, des collaborations hybrides, des multiples facettes de la création et de ses processus (voir Thély et ses investigations sur le mouvement Basse Dèf.) et ce au regard des usages et des possibilités nouvelles d'échanges des informations. Ces questions ne sont pas posées en terme de potentiel créatif pour le public, mais en termes de nouvelles rentabilités (un gâteau à se partager entre acteurs économiques entre vendeurs de flux et diffuseurs de contenus).
> Ce qui est brigué par ces lois, ce sont avant tout des comportements prévisibles et consuméristes des NTIC, pas de possibles distances et réflexions du public : mise en doute des contenus, effets pervers d'une offre pléthorique de contenus mais sous-tendue par du "hit" (voir Ars Industrialis et ses réflexions sur l'attention et le soin de soi, la lecture), que des artistes pourraient mettre à mal ou ébranler sérieusement. Éduquer n'est pas le propos.
> Une fois ces choses dites, les possibilités pour les artistes de faire entendre cela sont faibles. Ils agissent peu sous le feu médiatique et je l'accorde sûrement dans des sphères élitistes ou perçues comme telles. il est aussi très compliqué dans le contexte de restrictions budgétaires d'organiser une solidarité divisée par la concurrence qui s'exerce entres eux. Hélas, nous n'échappons pas à la règle.
> Les pressions sont d'autant plus fortes que la plupart travaillent, ont des emplois avec le culturel (coordinations, communication, initiation et enseignement etc.) ou dépendent factuellement de toute façon des instances publiques. Toute opinion dérangeante ou divergente peut amener à un isolement ou une mise au banc.
> C'est un panorama bien noir, mais qui devrait vous aider à comprendre le silence qui suit les pétitions...
> j'espère toujours que rien n'est figé, et qu'il faudra défendre nos postures avec un peu plus de vigueur sur ces lois en préparation : liberticides. Gageons que le contexte de la crise ne sera pas en notre faveur?"

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