Texte lu le 2 septembre 2025 par Alice Coffin dans le cadre d'un événement organisé par Label Gouine* au Bonjour Madame (bar parisien du 11eme arrondissement) et rédigé en collaboration avec la LIG (Fonds de dotation Lesbiennes d'Intérêt Général), L'Observatoire de la lesbophobie, SOS homophobie, Label Gouine*, 1001 Queer.
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On ne connaît pas personnellement Caroline Grandjean. On avait appris le harcèlement lesbophobe dont elle était la cible par la presse. On ne connait pas non plus ses proches, ni leurs souhaits, même si on a d’immenses pensées, pour elles, pour eux, et d’abord pour sa femme mentionnée dans les articles de presse. On va donc, sans parler de sa vie à elle, et en attendant, on l’espère très vite, d’en savoir plus et de pouvoir lui rendre un hommage plus personnel, simplement lui adresser un femmage lesbien. Car sans connaitre Caroline, cette histoire nous ne la connaissons que trop bien.
Notre histoire lesbienne est criblée des injures létales infligées à nos sœurs. La lesbophobie tue. Les insultes tuent.
Caroline Grandjean, directrice de l’école primaire de Moussages, village du Cantal, s’est suicidée hier après des mois de harcèlement et d’insultes lesbophobes. Elle avait effectué des signalements (plusieurs plaintes ont été déposées) et avait dénoncé à maintes reprises le manque d’appui institutionnel. « Sale gouine », « Gouine = Pédophile », « Dégage la gouine » : ce sont les tags qui ont été inscrits sur les murs de son école. Elle avait également reçu une menace de mort dans la boîte aux lettres de l'établissement et évoqué le manque de soutien de la mairie face à ce déferlement.
Elle s’est jetée d’une falaise, hier, jour de la rentrée des classes.
Le Syndicat des Directrices et Directeurs d’École a affirmé aujourd’hui que Caroline Grandjean a été « broyée par l’institution», ainsi que « par son village, par ses parents d’élèves ».
C’était déjà, la fin du film La Rumeur, récit fiction de deux enseignantes, Martha et Karen, poursuivies par la lesbophobie de tout un village. Le film se termine par le suicide de Martha. La scène finale voit Karen marcher, seule, et digne, face aux villageois. C’est cette fierté qu’il faut garder.
C’était déjà le début de Stone Butch Blues. Leslie Feinberg y décrivait l’horreur du harcèlement butchophobe à l’école.

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D’autres œuvres ont suivi, témoignant de la persistance de cette mécanique mortelle. Blue Jeans, en 2022, met en scène une prof de sport harcelée à l’école après la promulgation de la loi “Section 28” par Margaret Thatcher en 1988. Cette loi stipulait qu'il ne fallait “promouvoir l'enseignement dans aucune école publique de l'acceptabilité de l'homosexualité en tant que prétendue relation familiale”.
Rappelons qu’en 2022, Emmanuel Macron affirmait à propos des questions liées à l’orientation sexuelle : “Je ne suis pas favorable à ce que cela soit traité à l’école primaire. Je pense que c’est beaucoup trop tôt. Je suis sceptique sur le collège mais ma position n’est pas arrêtée”.
Au-delà des œuvres, nos pensées pour Caroline Grandjean renvoient à nos mémoires. Celles de professeures ou d’élèves tuées par la lesbophobie. Nous pensons à Dinah, 14 ans, qui s’est suicidée après avoir été la cible à l’école d’un harcèlement lesbophobe et raciste.
Il n’existe pas de statistiques en France, mais on peut penser qu’elles seraient similaires à celles établies au Royaume-Uni. Plus de 75% des enseignant∙es LGBT+ ont subi du harcèlement ou des brimades professionnelles. Plus de 60% ont été discriminées pendant leur carrière.
Au-delà de notre émotion profonde, de notre colère immense, nous voulons terminer cet hommage lesbien non pas par une minute de silence, car silence = death (silence = mort) comme le scandait Act up, mais par des images d’action. Celles du mythique groupe de gouines les Lesbian Avengers. Leur premier combat, leur première action, portait contre l’homophobie à l’école. Voici quelques images, avec des témoignages d’enseignantes lesbiennes, pour nous encourager à continuer le combat, en mémoire de Caroline Grandjean.
Un rassemblement plus large est prévu cette semaine. Nous manifesterons devant le ministère de l’Education nationale pour dénoncer son inaction coupable et mortifère.
Rendez-vous vendredi 5 septembre à 18h30, à l’angle des rues Grenelle et Saint-Simon.