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Billet de blog 30 avril 2025

« I have a Dream », la France reconnait les crimes coloniaux qu’elle a commis

Le 8 mai 20.., la Présidente de la République française reconnait officiellement les crimes commis en Algérie, à l’occasion des commémorations du 8 mai 1945. Une allocution, fictionnelle, rédigée par Olivier Le Cour Grandmaison.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

8 mai 202…

Présidence de la République française

Allocution de Madame la Présidente de la République à l’occasion des commémorations du 8 mai 1945

« Mes chers compatriotes, à l’occasion des commémorations du 8 mai 1945 destinées, suite aux héroïques combats des forces alliées, des Français et des Françaises engagées, au péril de leur vie et de leur liberté, contre le régime de Vichy, et engagés, bien sûr aussi, contre la barbarie nazie, ces commémorations, disais-je, sont destinées, chacun le sait, à célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale et le rétablissement de la paix en Europe. Certes, mais d’autres événements doivent aussi retenir notre attention. Non pour se substituer, si peu que ce soit aux premiers, mais pour mettre au jour des vérités trop longtemps occultées d’abord, euphémisées ensuite alors qu’elles sont depuis longtemps établies par de nombreux historien·ne·s et spécialistes de l’Algérie coloniale. Ceux-là mêmes qui, grâce à leur obstination et en dépit des difficultés rencontrées pour accéder à certaines archives, j’y reviendrai, ont reconstitué la chronologie précise des massacres perpétrés à partir du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, notamment, par les forces armées et les milices coloniales, exhumé les responsabilités du gouverneur général de l’Algérie, Yves Chataigneau, celles du gouvernement provisoire de la République française et de son chef, le général de Gaulle. Ce faisant, ils ont aussi établi le bilan effroyable des victimes algériennes qui s’élève à 30 000 voire peut-être à 35 000 victimes.

A ceux qui tirent argument de ces imprécisions pour minorer l’ampleur de ce qu’il s’est passé ou pour soutenir que nos connaissances demeurent par trop lacunaires, il faut rappeler avec force que c’est le propre des crimes d’Etat que de créer une situation où l’identification et le recensement précis des victimes demeurent à jamais impossible. Corps calcinés, enterrés dans des fosses communes tenues secrètes, ou encore jetés du haut de falaises sans omettre les « oublis » volontaires d’enregistrement des décès à l’état civil ; tels sont quelques-uns des moyens mobilisés pour effacer autant que possible les traces du crime dans les jours et les semaines qui suivent sa commission. De là cette situation, si terriblement douloureuse pour les descendants qui n’ont, dans certains cas, jamais pu accorder une sépulture à leurs proches. Et pour celles et ceux qui entendent œuvrer pour la connaissance et la vérité, des difficultés significatives. Peu importent les différences des chiffres mentionnées à l’instant ; elles ne changent rien à la nature des actes commis. A minima, ils sont des crimes d’Etat puisque ce sont bien les pouvoirs publics français qui portent la responsabilité ultime des méthodes employées pour rétablir, quoi qu’il en coûte aux « indigènes » comme on disait alors, l’ordre colonial. A maxima, ils doivent être qualifiés de crimes contre l’humanité, conformément à la définition qui en est donnée à l’article 212-1 de notre Code pénal puisque les Algériens ont été torturés, exécutés sommairement et victimes de disparitions forcées pour des motifs politiques, ethniques et religieux, et ce en « vertu d’un plan concerté. » Des personnalités diverses, des juristes, des avocats et des politistes l’affirment depuis longtemps ; force est d’admettre aujourd’hui que leur seul tort est d’avoir eu raison trop tôt.  

Le 16 juillet 1995, par la voix forte et courageuse du président Jacques Chirac, notre pays s’est honoré en reconnaissant la responsabilité de la France dans l’arrestation et la déportation de nombreux Juifs français et étrangers voués à l’extermination dans les camps de la mort érigés par le régime totalitaire nazi. En ce 8 mai 202…, bien que les actes perpétrés en Algérie soient d’une autre nature, il est temps de reconnaître que l’Etat français et ses forces armées ont commis le crime précité. A l’adresse de toutes celles et de tous ceux qui, hier, ont souffert dans leur chair en raison de l’ordre colonial, discriminatoire et raciste qui leur était imposé par la métropole, et de ses terribles méthodes militaires et répressives, à leurs descendants qui vivent aujourd’hui dans de nombreux pays indépendants, et en France, nous disons avec solennité, gravité et tristesse : « Oui, d’Alger à Brazzaville en passant par Dakar sans oublier Saïgon, Tananarive, Yaoundé et Nouméa, notamment, la colonisation fut un crime contre votre humanité et un crime contre l’humanité. »

En devenant impériale et en participant à la « course à l’Afrique », au lendemain de la conférence de Berlin en 1885, la République n’a cessé de violer ses principes. Les multiples opérations armées conduites contre des peuples libres et des Etats indépendants en témoignent, sinistrement. Elles étaient pourtant proscrites par l’article V du préambule de la constitution de la Seconde République (4 novembre 1848) qui est ainsi rédigé : la République française « respecte les nationalités étrangères (…), elle n’entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n’emploie jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. » Admirable article qui permet d’exhumer des conceptions précieuses mais trop souvent oubliées pour ne pas dire occultées. S’il ne fut, hélas, jamais appliqué, cet article nous oblige pour le présent comme pour l’avenir. Mieux, en quelques mots, il dit de façon remarquable ce qui aurait dû être tout en nous permettant de juger les actes commis par la Troisième, la Quatrième et la Cinquième République.

En ce qui concerne les colonisé-e-s, elles ont constamment bafoué les principes du célèbre triptyque républicain : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Les libertés individuelles et collectives furent réduites à néant, l’égalité foulée au pied par l’Etat et le droit colonial qui reposaient sur des représentations hiérarchisées du genre humain. Et par voie de conséquence, ces dernières ont substitué à la fraternité, le mépris et la haine racistes avec leur cortège de discriminations et d’humiliations quotidiennes, d’insultes et de violences symboliques incessantes. Ainsi appréhendé et stigmatisé, l’autre n’était plus un frère, un semblable, un égal en droit et en dignité mais un « indigène » réputé inférieur, violent et dangereux pour la stabilité de l’ordre colonial et la sécurité des biens et des personnes. De là, ces sanglantes répressions, ces tueries et, parfois, ces guerres totales menées contre ceux qui luttaient pour la liberté et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. N’oublions pas les populations civiles massacrées et les terribles destructions d’oasis, de villages et d’agglomérations diverses anéanties par les colonnes infernales de Bugeaud, par l’armée en 1945 puis après le 1er novembre 1954. De là, enfin, ce bilan accablant : près d’un million de morts dans les possessions françaises entre le 8 mai 1945 et la fin de la dernière guerre d’Algérie, le 19 mars 1962. D’un côté, la paix rétablie, célébrée et préservée en Europe ; de l’autre, des conflits incessants et particulièrement meurtriers, et des répressions sanglantes. Telles sont les vérités qu’ils nous faut aujourd’hui admettre et proclamer, et qu’il nous faudra répéter dans les années qui viennent afin que nul n’oublie. Loué par beaucoup, le devoir de mémoire n’est qu’une vaine exigence sans ce devoir préalable et majeur : celui de la reconnaissance.

Mesdames et messieurs, reconnaître ce qui a été perpétré, ce n’est pas seulement rendre hommage aux victimes, c’est aussi leur rendre une justice symbolique car celle des hommes, des tribunaux, le jugement des coupables et leur condamnation ne sont évidemment plus possibles puisque ces derniers sont décédés. Ajoutons, c’est également essentiel, qu’agir de la sorte c’est aussi reconnaître les souffrances familiales, personnelles et intimes de leurs héritier-e-s en leur signifiant de façon solennelle et publique qu’ils sont des égaux et que leur histoire singulière et si souvent douloureuse aura désormais droit de Cité. Elle aura droit de Cité car elle sera présente dans les manuels scolaires, enseignée et inscrite dans l’espace public grâce à des plaques commémoratives, des stèles et des monuments. A ces fins, un musée de la colonisation sera aussi construit pour que tous, à tous âges, puissent apprendre, lire, se documenter et se rappeler ce qui fut commis au nom de la France et de la République dans les territoires de l’empire. De plus, dans les jours qui viennent, je demanderai, au gouvernement d’élaborer, avec les services compétents, un projet de loi afin de rendre l’accès aux archives aussi libre que possible pour que les chercheurs, bien sûr, mais aussi pour que les citoyen-ne-s et tous ceux qui le souhaitent puissent les consulter.

Vingt-quatre ans après la célèbre conférence de Durban et ses suites, nous serons ainsi fidèles aux recommandations formulées quelques années plus tard. Elles rappellent « que l’esclavage et la traite des esclaves, en particulier la traite transatlantique, l’apartheid, le colonialisme et le génocide ne doivent jamais être oubliés. » De plus, les participants se sont félicités alors « des mesures prises pour honorer la mémoire des victimes » et ont salué les « pays qui (…) ont exprimé des remords, présenté leurs excuses, créé des mécanismes institutionnels tels que les commissions vérité et réconciliation et/ou restitué des objets culturels. » A ceux « qui n’ont pas encore contribué à restaurer la dignité des victimes », ils ont demandé « de trouver des moyens appropriés de le faire. » De nombreux Etats nous ont précédé dans cette voie ; en s’y engageant à son tour, notre pays met enfin un terme à une situation scandaleuse et inique.

C’est pourquoi, pour faire droit aux demandes depuis longtemps formulées par plusieurs Etats du Maghreb, d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique sub-saharienne, et par des organisations de certains de nos territoires, je pense en particulier à la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, j’ai chargé la ministre de la Culture de procéder au recensement de l’ensemble des biens, qu’ils soient culturels, artistiques ou religieux pillés à l’époque coloniale, transportés en France et souvent exposés dans de nombreux musées. Au terme de ce travail, dans quelques mois, ils seront donc restitués à leurs propriétaires légitimes. Plus encore, nous sommes prêts à les soutenir financièrement afin qu’ils puissent les réunir dans des institutions publiques adaptées permettant leur conservation et leur exposition dans les meilleures conditions. Reconnaissance, réparations et restitutions, tels sont les principes fondamentaux auxquels nous devons être désormais fidèles, et je veillerai personnellement à ce que le gouvernement, jour après jour, les respecte.

Enfin, mesdames et messieurs, lors des prochaines commémorations du 8 mai 1945, je demanderai aux préfets qu’ils rappellent ce qu’il s’est passé en Algérie et je souhaite que les élu-e-s de l’ensemble de nos territoires fassent de même.

Vive la République sociale, écologique et solidaire. »

Le Cour Grandmaison, universitaire. Dernier ouvrage paru : Racismes d’Etat, Etats racistes. Une brève histoire, éditions Amsterdam, 2024.

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