Les lois sur l'urbanisme sont censées être les mêmes sur tout le territoire, et les enquêtes publiques qui ont lieu avant l'adoption des PLU et autres documents d'urbanisme doivent fournir une information éclairée au public, à défaut de voir les avis divergents réellement pris en compte. Pourtant dans le territoire du Chablais, en Haute-Savoie, un certain nombre d’élu.e.s n'admettent pas que le passage d'une révision d'un PLUi (plan local d’urbanisme intercommunal) pour y ajouter une autoroute qui avait été judicieusement oubliée lors de sa rédaction soit nécessaire : ces irréductibles élu.e.s résistent encore et toujours à l’environnement, fervents défenseurs d’un projet d’autoroute d’un autre temps !

Chaque année en France, ce sont entre 20 000 et 30 000 hectares de terres qui sont artificialisés par les activités humaines, ce qui altère durablement les fonctions écologiques des sols. Cette artificialisation augmente presque quatre fois plus vite que la population et pose de très graves problèmes environnementaux ayant des impacts directs sur la vie des citoyennes et citoyens. Tant et si bien que même la majorité actuelle, qui ne s’est pourtant pas illustrée particulièrement par une défense acharnée de l’écologie, s’est fixée dans sa loi Climat et Résilience l’objectif du « zéro artificialisation net » (ZAN). Face à l’ampleur du défi climatique et de l’effondrement de la biodiversité, la lutte nécessaire contre la bétonisation fait au moins l’objet d’un consensus politique assez largement partagé.
Véritable serpent de mer qui revient sur la table régulièrement, la liaison autoroutière entre Machilly et Thonon-les-Bains fait l’objet d’un combat acharné entre ses partisans et ses opposants depuis plus de trente ans. Après maintes péripéties politiques et juridiques, le projet est déclaré d’utilité publique en décembre 2019, sous le gouvernement d’Edouard Philippe. Or deux mois plus tard, en février 2020, le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté de communes du Bas-Chablais est adopté sans prise en compte du futur tracé de l’autoroute. Ce document d’urbanisme détermine les conditions d’aménagement et d’utilisation des sols et a un caractère obligatoire et opposable. Postérieur à la déclaration d‘utilité publique, il annule donc les mises en conformité et la réservation de l’ensemble des terrains concernés par l’autoroute ! Ainsi en décembre 2021, la Mission régionale d’autorité environnementale d’Auvergne-Rhône-Alpes révèle la non-conformité du PLUi et demande aux communes concernées, en particulier l’agglomération de Thonon-les-Bains, de le réviser en conséquence. Sauf que cela prend du temps, ce qui est totalement inacceptable pour les partisans de l’autoroute du Chablais.
Et c’est ainsi que deux sénateurs Les Républicains de Haute-Savoie, Sylviane Noël et Cyril Pellevat déposent au bureau du Sénat le 5 octobre 2022 une proposition de loi « visant à régulariser le PLUi de la Communauté de communes du Bas Chablais ». En clair une loi de circonstance permettant en l’espèce de passer outre les procédures habituelles pour accélérer le lancement de la construction de l’autoroute du Chablais. Il n’est pas vain à ce stade de rappeler d’abord que la loi est « l’expression de la volonté générale » (article 6 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789). De souligner ensuite que si à chaque fois qu’un plan local d’urbanisme entrave le calendrier des promoteurs d’un projet, une loi de circonstance est adoptée par le Parlement, en passant outre le droit positif et les prérogatives des collectivités, autant en finir tout de suite avec les procédures démocratiques et juridiques locales.
Au-delà de la grossièreté de la manœuvre et de la piètre image qu’elle donne du sens de l’intérêt général et de l’état de droit dans notre pays, il est urgent de réorienter les transports dans le Chablais, à l’instar de nombre de nos territoires périurbains et ruraux, avec un autre projet politique : une politique qui favorise les transports en commun et qui en finisse avec le tout routier, une vision totalement obsolète à l’heure de l’urgence climatique absolue. Il serait notamment judicieux d'investir dans la modernisation de la partie savoyarde du Léman Express, train express régional transfrontalier inauguré fin 2019, afin d’en améliorer l’offre et d’inciter les travailleurs frontaliers du Chablais à l’emprunter davantage. De l’autre côté du lac Léman, cette nouvelle liaison ferroviaire, largement défendue par les autorités locales suisses, a permis de diminuer drastiquement les mouvements pendulaires routiers entre Lausanne et Genève. La municipalité genevoise s’oppose d’ailleurs logiquement au projet d’autoroute du Chablais, s’étant fixée une diminution de 40% des trajets motorisées individuels en 2030.
Pour le climat, pour la défense de la biodiversité, pour le maintien de bonnes relations franco-genevoise, pour aller dans le sens de l’Histoire et de l’intérêt général, ce n’est pas d’une loi de circonstance dont nous avons besoin mais d’une vision politique enfin digne du 21e siècle.
Fabienne Grébert, Conseillère régionale de Haute-Savoie
Benjamin Joyeux, Conseiller régional de Haute-Savoie
Elisabeth Charmot, ancienne élue à Thonon-les-Bains, administratrice d'associations
Sophie Boussemart, EELV Chablais
Raymonde Poncet, Sénatrice du Rhône
Daniel Salmon, Sénateur d’Ille et Vilaine
Guillaume Gontard, Sénateur de l’Isère
Guy Benarroche, Sénateur des Bouches-du-Rhône
Daniel Breuiller, Sénateur du Val-de-Marne
Thomas Dossus, Sénateur du Rhône
Monique De Marco, Sénatrice de la Gironde
Jacques Fernique, Sénateur du Bas Rhin